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Levée du secret bancaire : état des lieux

Par E. Boigelot & F. Collon

Mardi 14.04.09

Sous la pression conjointe du G20 et de l’OCDE laquelle, à la demande de l’Allemagne et de la France, a établi une nouvelle liste de pays non-coopératifs en matière d’échange d’informations fiscales, plusieurs Etats, dont la Belgique, ont consenti à assouplir, voire lever, leur secret bancaire.

On a pu légitimement s’étonner d’entendre que la Belgique faisait partie de ces pays jugés non-coopératifs aux côtés de paradis fiscaux célèbres tels que Jersey ou les Iles Marshall par exemple.

C’est oublier que si la Belgique peut apparaître comme un « enfer fiscal » pour les personnes qui y travaillent, elle peut avoir a l’allure d’un véritable « paradis fiscal » pour ceux qui disposent d’un patrimoine mobilier. Les Français fortunés qui choisissent l’exil fiscal belge en sont la preuve. C’est oublier surtout qu’un Etat peut être considéré comme un paradis fiscal non pas parce qu’il offre la fiscalité la plus favorable mais parce qu’il pratique le secret et s’interdit de transmettre à d’autres Etats les informations que ceux-ci attendent de lui. Et la Belgique entre bien dans cette catégorie d’Etats.

Dans le présent article, nous présentons les différents aspects du secret bancaire belge : en droit interne d’abord, sur le plan du droit européen dans le cadre de la directive relative à la fiscalité de l’épargne ensuite, au niveau international enfin.


Le secret bancaire belge

Avant toute chose, existe-t-il en Belgique ? Le terme est utilisé, certes, mais il ne recouvre qu’une bien petite réalité tant il est limité dans son application, au point que nous lui préférerons la notion d’un « devoir de discrétion bancaire ».

Le secret, s’il faut le trouver, réside essentiellement dans l’article 318, alinéa 1er du Code des impôts sur les revenus 1992 qui dispose que « l’administration n’est pas autorisée à recueillir, dans les comptes, livres et documents des établissements de banque, de change, de crédit et d’épargne, des renseignements en vue de l’imposition de leurs clients ».

Le secret bancaire n’est donc affirmé que dans la matière des impôts directs. Il n’a par conséquent aucune influence pour d’autres impôts importants comme la TVA ou les droits de succession par exemple. Il connaît, en outre, un nombre important d’exceptions. Ainsi, il cède le pas si l’administration fiscale est en mensure de prouver qu’il existe des éléments concrets permettant de présumer l’existence ou la préparation d’un mécanisme de fraude fiscale. On considère également que l’introduction d’une réclamation par le contribuable emporte d’office la levée du secret bancaire à l’égard de celui-ci. L’article 374, alinéa 2 du Code des impôts sur les revenus 1992 prévoit en effet qu’aux fins de l’instruction d’une réclamation, l’administration fiscale peut exiger des établissements de crédit tous renseignements à leur connaissance qui peuvent être utiles.

Bien qu’aucune annonce n’ait encore été faite à cet égard, on peut prédire et regretter – où s’arrêtera la frénésie du « tout contrôler » et du « tout savoir », grands pourfendeurs comme le montre l’histoire des libertés fondamentales sous couvert de principes d’apparence légitimes (le débat philosophique est malheureusement toujours largement oublié ou écarté quand il s’agit de servir la cause de l’Etat ou, plus généralement, quand il s’agit de faire de la politique) – que ce pseudo-secret bancaire, réduit déjà à peau de chagrin, devrait disparaître sous peu de la législation fiscale belge.


L’échange de renseignements dans la cadre de la directive européenne sur la fiscalité de l’épargne

La directive 2003/48/CE adoptée le 3 juin 2003 en matière de fiscalité des revenus de l'épargne sous forme de paiement d'intérêts, vise à permettre que les revenus de l'épargne, sous forme de paiements d'intérêts effectués dans un Etat membre en faveur de « bénéficiaires effectifs », qui sont des personnes physiques ayant leur résidence dans un autre Etat membre, soient effectivement imposés conformément aux dispositions législatives de ce dernier Etat membre. Le moyen retenu pour permettre l'imposition effective des paiements d'intérêts dans l'Etat membre où le « bénéficiaire effectif » a sa résidence fiscale est l'échange automatique d'informations entre les Etats membres concernant ces « paiements d'intérêts ».

Le système peut être résumé comme suit : lorsque le « bénéficiaire effectif » d'intérêts est résident d'un Etat membre autre que celui où est établi l'agent payeur, la directive impose à ce dernier de communiquer à l'autorité compétente de l'Etat membre où il est établi, un contenu minimal d'informations telles que l'identité et la résidence du « bénéficiaire effectif », le nom ou la dénomination et l'adresse de « l'agent payeur », le numéro de compte du « bénéficiaire effectif » ou, à défaut, l'identification de la créance génératrice des intérêts, et des informations concernant le paiement d'intérêts.

La Belgique, qui est évidemment partie à cette directive, a toutefois souhaité pouvoir bénéficier, avec le Luxembourg et l’Autriche, d’un régime transitoire et de ne pas participer immédiatement à cet échange automatique d’informations de manière à maintenir encore pendant quelques années son secret bancaire.

Pendant une période transitoire, ces trois pays peuvent donc s'abstenir d'échanger l'information sur les revenus de l'épargne couverts par la directive s'ils appliquent un système de retenue à la source aux mêmes revenus. Il s’agit donc d’un système, relativement critiquable sur le plan éthique, qui consiste à pouvoir « payer pour frauder ».

Le système de retenue à la source prévoit que lorsque le « bénéficiaire effectif » des intérêts est résident d'un Etat membre autre que celui où est établi « l'agent payeur », les trois pays prélèvent une retenue à la source de 15 % pendant les trois premières années (jusqu’au 1er juillet 2008), de 20 % pendant les trois années suivantes (jusqu’au 1er juillet 2011) et de 35 % par la suite.

La Belgique avait déjà annoncé que, n’ayant aucunement l’intention d’appliquer un taux de retenue à la source de 35 %, elle opterait pour l’échange automatique d’informations au 1er juillet 2011.

Sous la pression de l’OCDE et du G20 évoquée ci-dessus, la Belgique anticipe sa participation à l’échange automatique d’informations auquel elle contribuera à compter du 1er janvier 2010.


L’échange de renseignements au niveau international

La Belgique a conclu plusieurs dizaines de conventions préventives de la double imposition. La plupart ont été négociées à partir des modèles établis par le Comité des Affaires fiscales de l’OCDE.

Elles visent essentiellement à éviter que les contribuables résidant dans un Etat contractant subissent une double imposition juridique de leurs revenus lorsque ceux-ci trouvent leurs sources dans l’autre Etat contractant. Elles contiennent également un engagement des Etats d’échanger des renseignements, dont le libellé est inspiré par celui de l’article 26 du Modèle de convention de l’OCDE dont le premier paragraphe prévoit que :

« Les autorités compétentes des États contractants échangent les renseignements vraisemblablement pertinents pour appliquer les dispositions de la présente Convention ou pour l’administration ou l’application de la législation interne relative aux impôts de toute nature ou dénomination perçus pour le compte des États contractants, de leurs subdivisions politiques ou de leurs collectivités locales dans la mesure où l’imposition qu’elles prévoient n’est pas contraire à la Convention.»

Le paragraphe 3 de l’article 26 du Modèle de convention de l’OCDE prévoit une restriction importante à cet échange de renseignement en ce qu’il prévoit que celui-ci ne peut imposer « à un Etat contractant l’obligation de prendre des mesures administratives dérogeant à sa législation et à sa pratique administrative ou à celle de l’autre Etat contractant» ou « de fournir des renseignements qui ne pourraient être obtenus sur la base de sa législation ou dans le cadre de sa pratique administrative normale ou de celles de l’autre État contractant ».

Ce texte qui a été retenu par la Belgique dans les différentes conventions préventives de la double imposition qu’elle a conclue, interdit à l’administration des contributions directes belge de demander des renseignements à des banques étrangères, puisqu’elle ne peut en demander à des banques belges et, inversement, interdit à une administration étrangère de demander des renseignements à une banque belge, puisque l’administration des contributions belge ne peut le faire.

La convention conclue le 27 novembre 2006 avec les Etats-Unis d’Amérique prévoit toutefois en son article 25, § 5 que :

« Les dispositions du paragraphe 3 [voir ci-dessus] ne peuvent en aucun cas être interprétées comme permettant à un Etat contractant de refuser de communiquer des renseignements demandés par l’autre Etat contractant parce que ceux-ci sont détenus par une banque, un autre établissement financier, un mandataire ou une personne agissant en tant qu’agent ou fiduciaire ou parce que ces renseignements se rattachent aux droits de propriété d’une personne. En vue d’obtenir ces renseignements, l’administration fiscale de l’Etat contractant requis a le pouvoir de demander la communication de renseignements et de procéder à des investigations et à des auditions, nonobstant toute disposition contraire de sa législation fiscale interne.»

En d’autres termes, dans le cadre de l’application de la convention préventive de double imposition conclue avec les Etats-Unis, l’administration fiscale belge ne peut invoquer l’article 318 du Code des impôts sur les revenus pour empêcher de transmettre des informations détenues par une banque. Le secret bancaire belge s’efface et disparaît lorsque l’information est demandée par les Etats-Unis d’Amérique : on frise le tragi-comique puisqu’une banque belge peut révéler au fisc américain des renseignements qu’elle ne peut révéler à son administration fiscale nationale…

Le Ministre des Finances a annoncé que ce paragraphe serait progressivement intégré dans les nouvelles conventions préventives conclues par la Belgique ou celles qui seraient renégociées à l’avenir ce qui, conjugué avec les (re)négociations que la Suisse devra entreprendre (v.ci-dessous), promet à l’avenir de renforcer encore le treaty shopping


Et ailleurs…

La levée du secret bancaire ne concerne évidemment pas que la Belgique, loin de là.

La Suisse, place-forte du secret bancaire, qui en a été longtemps le coffre-fort même, a également accepté de se soumettre (en apparence en tous cas, car les concessions annoncées au Conseil fédéral ne paraissent que rendre plus générale une tendance déjà entamée par le passé dans certaines conventions bilatérales) aux exigences du G20 et de l’OCDE. La crainte d’être sur la liste noire de l’OCDE, stigmatisant les paradis fiscaux auxquels on assimilerait des pays qui ne coopèrent pas de façon constructive à l’échange d’informations pour les délits fiscaux, ainsi que de voir dénoncées des conventions préventives de la double imposition importantes pour son économie, a sans doute été trop forte.

Le Conseil fédéral a annoncé que la Confédération livrera désormais des renseignements sur des contribuables étrangers soupçonnés d’évasion fiscale dans leur pays d’origine : finie donc la distinction, du moins pour les non-nationaux de Suisse, entre évasion fiscale et fraude fiscale (c’est-à-dire pénalement punissable), qui faisait que la Suisse ne donnait jusqu’ici aucune information protégée par le secret bancaire pour les personnes se rendant coupable aux yeux de leur pays d’origine d’une fraude (en fait, d’une « évasion ») fiscale ordinaire (par exemple, ouvrir un compte en Suisse, et ne pas en déclarer les revenus).Des règles précises seront bien entendu adoptées mais l’accord de principe existe.

On sait déjà que la Suisse n’opérera pas de manière rétroactive, ni n’acceptera (selon ce que ses représentants affirment aujourd’hui, mais sait-on jamais … ?) un mécanisme automatique d’échange d’information : ce sera au « cas par cas », en réponse à des demandes concrètes et fondées du fisc étranger, dans le respect des règles de procédure et du principe de subsidiarité, et pour les impôts visés par la convention conclue avec le pays dont l’autorité sollicite l’information. On verra ce que l’avenir réservera, plus précisément.


Conclusions

Après la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, c’est la crise financière mondiale qui sert aujourd’hui de prétexte à la levée du secret bancaire. Les causes nombreuses de ces problèmes majeurs sont évidemment ailleurs et on n’en résoudra aucun en s’en tenant uniquement à contraindre les banques à plus de transparence et les citoyens à moins de vie privée.

Reste que la disparition progressive du secret bancaire, en tout cas son écornure, est une réalité dont doit désormais tenir compte toute personne qui dispose de fonds auprès d’établissement bancaire étrangers, suisses par exemple, dont l’existence est inconnue de l’administration fiscale.

Il nous apparaît opportun à cet égard de rappeler à ces personnes que, depuis le 1er janvier 2006, la législation belge offre à cet égard la possibilité d’une régularisation rapide et anonyme par l’intermédiaire du point de contact-régularisation créé au sein du service des décisions anticipées (pour de plus amples renseignements sur cette procédure, voyez l’article que nous avons publié à ce sujet le 9 mai 2006 : http://www.droitbelge.be/news_detail.asp?id=326.




Eric Boigelot & François Collon
Avocats
Dal & Veldekens




D'autres informations en Droit Fiscal sont disponibles en suivant ce lien: Fiches Pratiques > Droit Fiscal


Source : DroitBelge.Net - Actualités - 14 avril 2009


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