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Le caractère impératif et de loi de police des dispositions relatives au contrat de partenariat commercial

Par Pierre Demolin

Mardi 21.06.22

Les dispositions du Code de droit économique relatives au contrat de partenariat commercial (articles X.26 à X.34) sont impératives. En effet, l’article X.26 stipule que « les dispositions de ce titre sont d’application aux accords de partenariat commercial tels que définis à l’article I.11, 2°, nonobstant toute clause contractuelle contraire ».

En conséquence, les parties ne peuvent y renoncer qu’après la survenance de l’événement justifiant la protection et dans le respect du formalisme édicté par le nouvel article X.30 dernier alinéa du CDE (voir ci-dessus).


A. Rappel des principes : loi d’ordre public, loi impérative et loi de police

Faisons tout d’abord un rappel des trois notions distinctes de « loi d’ordre public », « loi impérative » et « loi de police ».

Depuis l’arrêt de la Cour de Cassation du 9 décembre 1948, il est constant que les lois d’ordre public sont celles qui touchent « aux intérêts essentiels de l’Etat ou de la collectivité, ou qui fixent dans le droit privé les bases juridiques sur lesquelles repose l’ordre économique ou moral de la société (cf. Note 1)».

Les lois impératives sont celles « auxquelles il est interdit de déroger mais qui ne sont pas d’ordre public parce qu’elles protègent principalement des intérêts privés, et qui, dès lors, n’entraînent que la nullité relative des clauses ou des actes qui y dérogent sans exclure une renonciation ou une confirmation dans les conditions fixées par le droit commun et, en outre, par chaque loi particulière » (cf. Note 2).

Les lois d’ordre public et les lois impératives se distinguent par leurs effets sur deux points :

- la nature de la nullité et les pouvoirs subséquents du juge ;
- la faculté de renonciation à la protection offerte.

Les lois d’ordre public peuvent être invoquées par toute personne pour obtenir la nullité du contrat conclu en contravention de celles-ci et cette nullité absolue peut être soulevée d’office par le juge. En ce qui concerne les lois impératives, seule la partie protégée pourra s’en prévaloir pour obtenir la nullité relative que le juge n’est pas autorisé à soulever d’office.

Il n’est pas permis de renoncer à la protection offerte par une loi d’ordre public, tandis que la partie protégée par une loi impérative peut y renoncer après la survenance de l’événement justifiant la protection et en connaissance de cause.

Les lois de police désignent « les dispositions de droit privé auxquelles le législateur entend assurer un effet territorial. L’application des lois de police procède d’une dérogation à la loi d’autonomie guidée par le souci de protéger l’une des parties au moyen de dispositions impératives » (cf. Note 3). Concrètement, il y a loi de police lorsque le but poursuivi par le législateur dépasse le pur intérêt privé de la partie protégée, cette loi méritant alors d’être appliquée en tout état de cause dans une situation internationale. Il en est généralement ainsi des dispositions protectrices des travailleurs salariés.

Il convient de noter que la notion de loi de police a été redéfinie à l’occasion de l’adoption du Règlement « Rome I » du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (cf. Note 4). A cet égard, le législateur communautaire a clairement distingué d’une part la loi de police du for et d’autre part la loi de police étrangère. L’article 9 §1 du Règlement prévoit qu’ « une loi de police est une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d’en exiger l’application à toute situation entrant dans son champ d’application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d’après le présent Règlement ». Selon le paragraphe 2 du même article, les dispositions du Règlement ne pourront porter atteinte à l’application des lois de police du juge saisi.

Quant à la loi de police étrangère, le paragraphe 3 dispose qu’ « il pourra également être donné effet aux lois de police du pays dans lequel les obligations découlant du contrat doivent être où ont été exécutées, dans la mesure où lesdites lois de police rendent l’exécution du contrat illégale. Pour décider si effet doit être donné à ces lois de police, il est tenu compte de leur nature et de leur objet, ainsi que des conséquences de leur application ou de leur non-application ». Le législateur a, par conséquent, encadré strictement l’application des lois de police étrangères. Celles-ci doivent désormais remplir deux conditions : d’une part, la loi de police doit rendre l’exécution du contrat illégale et, d’autre part, seule est visée la loi de police de l’Etat du lieu d’exécution du contrat.

Ce sont en définitive des lois qui font exception aux règles de rattachement élaborées en droit international privé pour trancher les conflits de lois.

Il faut en tirer deux enseignements. Premièrement, une loi peut être à la fois une loi impérative et une loi de police, le premier qualificatif étant utilisé en droit interne tandis que le deuxième vise le droit international. Deuxièmement, toute loi impérative ou d’ordre public en droit interne ne sera pas une loi de police, car elle doit, pour cela, avoir également vocation à s’appliquer par priorité dans des situations internationales et surtout être reconnue comme telle par le législateur national qui apprécie l’affectation des intérêts publics.

Qu’en est-il alors des dispositions du Code de droit économique relatives au contrat de partenariat commercial ?


B. Les dispositions du Code de droit économique relatives au contrat de partenariat commercial (articles X.26 à X.33) sont impératives

Ces dispositions sont impératives. En effet, l’article X.26 stipule que « Les dispositions de ce titre sont d’application aux accords de partenariat commercial tels que définis à l’article I.11, 2°, nonobstant toute clause contractuelle contraire ».

L’avis du Conseil d’Etat sur l’avant-projet de loi du 19 décembre 2005 indique que « les dispositions légales en projet sont impératives et priment toute clause contractuelle contraire » (cf. Note 5). Or, l’article X.26 du Code de droit économique est la transposition littérale de l’article 8 de la loi du 19 décembre 2005 qui a fait l’objet de l’avis du Conseil d’Etat. Il ne fait donc aucun doute que le Titre 2 du Livre X du Code de droit économique où sont insérées les dispositions relatives à l’information contractuelle a un caractère impératif. En conséquence, on ne peut y renoncer qu’après la survenance de l’événement justifiant la protection et dans le respect du formalisme édicté par le nouvel article X.30 alinéa 3 du Code de droit économique.


C. Les dispositions du Code de droit économique relatives au contrat de partenariat commercial (articles X.26 à X.33) ne sont pas d’ordre public

Il est incontestable que la loi du 19 décembre 2005 transposée dans le Code de droit économique vise à protéger la partie prétendument faible au contrat.

Il est permis à cette partie d’y renoncer. L’article X.30 alinéa 3 du Code de droit économique le prévoit expressément mais précise que cette renonciation à cette protection ne sera valable que dans le respect d’un formalisme précis qui vise à respecter tant le caractère impératif de la loi que son objectif de protection de la partie plus faible : « La personne qui reçoit le droit ne peut valablement renoncer au droit de demander la nullité de l’accord ou l’une des dispositions de celui-ci qu’après l’écoulement d’un délai d’un mois suivant sa conclusion. Cette renonciation doit expressément mentionner les causes de la nullité à laquelle il est renoncé ».


D. Les dispositions du Code de droit économique relatives au contrat de partenariat commercial (articles X.26 à X.33) sont d’application immédiate et peuvent être qualifiées de loi de police

L’article X.33 du Code de droit économique dispose que « La phase précontractuelle de l'accord de partenariat commercial relève de la loi belge et de la compétence des tribunaux belges, lorsque la personne qui reçoit le droit exerce l'activité à laquelle se rapporte l'accord principalement en Belgique ».

Il ressort des travaux préparatoires que le législateur a inséré cette disposition afin « d’éviter une érosion de cette législation en rendant le droit belge applicable et les tribunaux belges compétents, lorsque la personne qui obtient le droit exercera l’activité à laquelle se rapporte l’accord de partenariat commercial principalement dans notre pays » (cf. Note 6).

Le libellé de l’article X.33 se rapproche de la formulation tant de l’article X.39 relatif à la résiliation unilatérale des concessions de vente exclusive à durée indéterminée que de l’article X.25 relatif à l’agence commerciale :

- Article X.39 : « Le concessionnaire lésé lors d'une résiliation d'une concession de vente produisant ses effets dans tout ou partie du territoire belge, peut en tout cas assigner le concédant, en Belgique, soit devant le juge de son propre domicile, soit devant le juge du domicile ou du siège du concédant. Dans le cas où le litige est porté devant un tribunal belge, celui-ci appliquera exclusivement la loi belge ».

- Article X.25 : « Sous réserve de l'application des conventions internationales auxquelles la Belgique est partie et nonobstant des clauses contraires dans le contrat d’agence commerciale, toute activité d'un agent commercial ayant son établissement principal en Belgique relève de la loi belge et de la compétence des tribunaux belges ».

La plupart des auteurs soutiennent que ces deux dispositions légales sont considérées comme des lois de police régissant impérativement la situation quelle que soit la loi applicable au contrat (cf. Note 7). La doctrine en a déduit que la loi du 19 décembre 2005, et donc a fortiori les dispositions du Livre X, Titre 2 du Code de droit économique qui les reprend textuellement, doivent être considérées par les juges comme une loi de police (cf. Note 8). Elle n’aura ce caractère que pour la question qu’elle régit, à savoir l’information précontractuelle, les autres questions restant soumises à la loi du contrat.

Suite à une question préjudicielle posée par la Cour de cassation belge, la Cour de justice de l’Union européenne a interprété dans un arrêt du 17 octobre 2013 (cf. Note 9) les dispositions de la Convention de Rome portant sur les lois de police à l’occasion d’un litige consécutif à la résiliation d’un contrat d’agence commerciale.

La question préjudicielle portait sur le problème de savoir « si les articles 3 et 7, paragraphe 2, de la convention de Rome doivent être interprétés en ce sens que la loi d’un Etat membre qui satisfait à la protection minimale prescrite par la directive 86/653, choisie par les parties à un contrat d’agence commerciale, peut être écartée par la juridiction saisie, établie dans un Etat membre, en faveur de la lex fori pour un motif tiré du caractère impératif, dans l’ordre juridique de ce dernier Etat membre, des règles régissant la situation des agents commerciaux indépendants » (point 29).

Selon la Cour, l’interprétation de l’article 7 de la Convention de Rome est conforme à l’article 9, paragraphe 1 du règlement Rome I applicable aux relations contractuelles. Mais le choix des parties étant la pierre angulaire de la Convention, la Cour précise que l’exception tirée de l’existence d’une loi de police doit recevoir une interprétation stricte. La Cour donne ensuite une méthodologie à suivre au juge national dans son exercice d’appréciation du caractère de « loi de police » d’une loi nationale.

Après avoir relevé le caractère de loi de police de la loi belge relative à l’agence commerciale, la Cour décide que « la loi d’un Etat membre qui satisfait à la protection minimale prescrite par la directive 86/653, choisie par les parties à un contrat d’agence commerciale, peut être écartée par la juridiction d’un autre Etat membre saisie, en faveur de la lex fori pour un motif tiré du caractère impératif, dans l’ordre juridique de ce dernier Etat membre, des règles régissant la situation des agents commerciaux indépendants uniquement si la juridiction saisie constate de façon circonstanciée que dans le cadre de cette transposition, le législateur de l’Etat du for a jugé crucial, au sein de l’ordre juridique concerné, d’accorder à l’agent commercial une protection allant au-delà de celle prévue par ladite directive, en tenant compte à cet égard de la nature et de l’objet de telles dispositions impératives » (point 52).

Peut-on constater, de manière circonstanciée, que le législateur belge a jugé crucial pour l’organisation sociale et économique du pays d’accorder au candidat partenaire commercial une protection particulière lors de la négociation d’un contrat de partenariat commercial ?

Pour répondre à cette question, il faut consulter les travaux préparatoires de la loi du 19 décembre 2005 qui est à l’origine des dispositions transposées dans le Code de droit économique. Que disent ces travaux ?

« Exposé introductif de la ministre de l’agriculture et des classes moyennes:

La ministre explique que le projet de loi exécute un des points de l’Accord de Gouvernement.

La distribution est un élément clé de notre économie: elle représente 50% des dépenses de consommation privée, 10% du produit national brut et 475.000 travailleurs, dont 270.000 salariés.

La mondialisation de l’économie et le développement de la concurrence internationale réduisent les chances de survie des entreprises commerciales qui travaillent de manière totalement indépendante. Différentes formules de partenariat commercial, prévoyant, par exemple, l’octroi d’un droit d’exercer une activité commerciale sous une enseigne commune ou selon des normes d’exploitation définies, se sont fortement développées ces vingt dernières années.

Ces formules permettent à des entreprises commerciales indépendantes de bénéficier de l’appui logistique, de l’expertise et des conseils de grands groupes de la distribution. Pour ces derniers, elles permettent de confier la vente de leurs produits ou services à des entreprises indépendantes, bien ancrées dans le tissu économique local, et mieux à même de répondre aux aspirations des consommateurs.

En cas d’accords de partenariat commercial, il arrive souvent que celui qui obtient le droit d’exploiter par exemple un nom commercial commun ou une enseigne commune, se trouve dans une position économique plus faible et ne dispose pas de moyens équivalents à ceux de celui qui octroie le droit. Ceci cause sans aucun doute une certaine réticence dans le chef d’éventuels candidats. Pourtant, les accords de partenariat commercial peuvent être bénéfiques à toutes les parties concernées.

Le présent projet de loi a pour objectif de rééquilibrer cette relation commerciale. » (cf. Note 10)

La ministre conclut la discussion générale de la loi qui eut lieu au Parlement le 1er juillet 2005 comme suit :

« La ministre énonce alors les éléments qui lui paraissent essentiels:

– reconnaître l’importance du secteur de la franchise;
– éviter les entraves inutiles au développement de la franchise;
– protéger et/ou donner les garanties maximales à la partie la plus faible au contrat, à savoir le franchisé » (cf. Note 11).

Ces propos révèlent que la législation sur l’information précontractuelle s’est focalisée sur le contrat de franchise mais pour éviter que la loi ne soit détournée, son application a été étendue aux contrats de partenariat commercial.

Ces propos révèlent aussi que ce qui a motivé les parlementaires, c’est non seulement la protection de la partie faible à un contrat mais aussi la mondialisation de l’économie et le développement de la concurrence internationale réduisant les chances de succès des entreprises qui ne s’intègrent pas dans un réseau de distribution commerciale. Pour que cette intégration soit efficace, ne conduise pas à des abus et qu’il n’y ait pas d’entrave à cette méthode de distribution qui est selon la ministre un élément clé de notre économie, il a été décidé d’adopter la nouvelle loi.

La réponse à la question que doit se poser le juge lorsqu’il détermine le caractère de loi de police des dispositions relatives à l’obligation d’information précontractuelle se trouve donc en toutes lettres dans les travaux préparatoires de la loi.




Pierre Demolin
Avocat aux barreaux de Mons et de Paris
Cabinet DBB Law(www.dbblaw.eu)




Notes:

(1) Cass., 9 décembre 1948, Pas., 1948, I, p. 699.

(2) A. MEEUS, La notion de loi impérative et son incidence sur la procédure en cassation et sur l'office du juge , note sous Cass., 17 mars 1986, R.C.J.B., 1988, p. 527.

(3) F. RIGAUX et M. FALLON, Droit international privé, t. II, Droit positif belge, 2è éd., Larcier, Bruxelles, 1993, pp. 515-516.

(4) Règlement (CE) n°593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I), J.O.U.E., L. 177, du 4 juillet 2008, p. 6.

(5) Avis de la section législation du Conseil d’Etat sur l’avant-projet de loi relatif à l’information précontractuelle dans le cadre d’accords de partenariat commercial n° 37.952/1 du 13 janvier 2005.

(6) Doc. Parl., Ch. repr., n° 51-1687/001, p. 10.

(7) F. RIGAUX et M. FALLON, op. cit., p. 565 ; A. NUYTS, « L’application des lois de police dans l’espace », R.C.D.I.P.,, 1999, p. 31 et s.

(8) A. MOTTET HAUGAARD et M. VERHULST, « La nouvelle loi relative à l'information précontractuelle dans le cadre d'accords de partenariat commercial », D.A.O.R., 2006, p. 131 à 134 ; P. KILESTE et A. SOMERS, « L’information précontractuelle dans le cadre d’accords de partenariat commercial », J.T., 2006, p. 265.

(9) C.J.U.E., 17 octobre 2013 (United Antwerp Maritime Agencies (Unamar) NV/ Navigation Maritime Bulgare), C-184/12, J.T., 2014, p. 302 à 306.

(10) Doc. Parl., Ch. repr., n° 51-1687/005, p. 4.

(11) Doc Parl., Ch. Repr., n° 51-1687/005 p. 64




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