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Lutte contre la fraude fiscale : dénonciation, concertation, intégration et imputation

Par François Collon

Lundi 05.08.19

A la suite de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 15 novembre 2016 « A et B contre Norvège », le législateur belge a adapté profondément le régime « una via » qui tend à organiser de manière aussi efficace que possible la lutte contre la fraude fiscale.

L’arrêt « A et B contre Norvège » rendu par la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme le 15 novembre 2016 adopte une interprétation plus restrictive du principe général de droit non bis in idem qui interdit qu’une même personne fasse l’objet d’une seconde condamnation pour des faits identiques à ceux ayant entraîné une première condamnation.

Ce principe revêt une grande importance en matière de lutte contre la fraude fiscale puisque des procédures concurrentes, pénale et fiscale, pourraient exister et aboutir chacune à des sanctions de nature pénale à charge d’une même personne.

Selon la nouvelle interprétation de la Cour, des procédures parallèles peuvent exister à charge d’une même personne et aboutir à des sanctions distinctes pour autant que ces procédures soient unies par un « lien matériel et temporel suffisamment étroit » et qu’elles forment un tout « intégré et cohérent ».

Sur la base de cette nouvelle interprétation du principe non bis in idem, le législateur belge a revu profondément les rapports entre l’administration et le pouvoir judiciaire dans le cadre de la lutte contre la fraude fiscale. Ces adaptations s’articulent principalement autour de deux phases des poursuites : l’enquête et le jugement.


Dénonciation et concertation obligatoires

Les faits dont l’examen fait apparaître des indices sérieux de « fraude fiscale grave, organisée ou non » devront obligatoirement (ce n’était qu’une faculté auparavant) faire l’objet d’une dénonciation au procureur du Roi.

Suivra dans le mois de cette dénonciation, une concertation, elle-même obligatoire, entre le procureur du Roi et l’administration fiscale. Au terme de celle-ci, et dans un délai de trois mois suivant la dénonciation initiale, le procureur du Roi devra indiquer par écrit à l’administration fiscale s’il décide d’engager ou non les poursuites pénales.

Reste à savoir précisément ce qui relèvera de la « fraude fiscale grave, organisée ou non », question qui agite la doctrine fiscale et pénale depuis l’apparition de cette étrange notion en 2013. A cet égard, le législateur a chargé le Roi de déterminer les critères permettant de déterminer l’existence d’une telle fraude présumée.


Intégration et imputation

La loi vise également l’hypothèse où l’action publique est ouverte alors que l’administration fiscale a déjà établi pour les mêmes faits des impôts « incluant les centimes et décimes additionnels, les accroissements et les amendes administratives et fiscales ».

A ce stade, il faut retenir que, dans le cadre d’une interprétation plus stricte du principe non bis in idem, l’action publique ne peut être jugée irrecevable lorsque des poursuites administratives préexistent pour autant que les poursuites forment un « tout cohérent d’un point de vue temporel et matériel ».

Le principe d’intégration veut que le juge pénal se saisira tant de l’action publique que de l’action civile en vue du paiement de l’impôt. Il n’y aura donc plus une succession de procédures mais une procédure unique. Le juge pénal statuera donc désormais sur la dette d’impôt et sa décision aura valeur de titre exécutoire pour l’administration fiscale qui sera partie intervenante au procès pénal. Si une procédure fiscale devait déjà être pendante par ailleurs, elle devra être interrompue.

Il faut noter que, nonobstant le principe d’intégration, l’action « fiscale » est qualifiée d’« autonome » à l’action publique de sorte que, même en cas d’acquittement « au pénal », le juge devra se prononcer sur l’action « fiscale » et déterminer le montant de l’impôt éventuellement dû.

Le principe d’imputation, corollaire indispensable à celui d’intégration, a pour effet que le juge pénal devra tenir compte pour la fixation de la peine des amendes administratives et accroissements d’impôt dus afin d’éviter que le condamné soit soumis à une peine déraisonnablement lourde.


Confiscation

Enfin, et c’est une heureuse nouvelle, il faut relever que la loi du 5 mai 2019 tranche une question importante en matière de confiscation des avantages patrimoniaux tirés d’une infraction fiscale.

Fort du célèbre arrêt de la Cour de cassation du 22 octobre 2003, le ministre des Finances, en réponse à une question parlementaire, n’avait pas exclu qu’un cumul existe entre la peine de confiscation de l’avantage patrimonial tiré d’une infraction fiscale, à savoir donc l’impôt éludé, et le montant de ce même impôt s’il était perçu par ailleurs par l’administration fiscale.

Suivant la doctrine pénale et fiscale majoritaire, la loi précise désormais que le juge pénal ne pourra prononcer la confiscation de ces avantages patrimoniaux lorsque l’action de l’administration fiscale en vue du paiement de l’impôt est déclarée fondée et que cette créance est effectivement et intégralement payée par le contribuable.



François Collon
Avocat
Hirsch & Vanhaelst
(f.collon@hvlaw.eu)






Source : DroitBelge.Net - Actualités - 05.08.2019


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