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La Cour constitutionnelle réinstaure l'obligation pour l'autorité publique d'entendre le travailleur contractuel préalablement à son licenciement

Par E. JACUBOWITZ et D. GUTIERREZ CACERES

Mercredi 19.07.17


A l’occasion d’un arrêt controversé du 12 octobre 2015, la Cour de cassation a dit pour droit que le licenciement des agents contractuels de la fonction publique ne doit être ni motivé formellement, ni précédé d’une audition préalable.

La motivation de cet arrêt a fait l’objet de commentaires et de critiques doctrinales, notamment en raison du fait que la Cour de cassation a répondu de manière succincte à une vaste problématique qui jusque-là avait fait couler beaucoup d’encre (cf. Note 1) (cf. Note 2).

Néanmoins, à la suite de cet arrêt, plusieurs juridictions ont conclu à l’absence d’obligation d’audition préalable au licenciement d’un agent contractuel (cf. Note 3). Même si d’autres juridictions n’ont pas partagé cette conclusion (cf. Note 4).

Par un jugement du 14 avril 2016, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles a posé deux questions préjudicielles à la Cour constitutionnelle pour savoir si le fait pour un travailleur d’une autorité publique de se faire licencier sans être au préalable auditionné constitue une violation des principes constitutionnels d’égalité et de non-discrimination (articles 10 et 11 de la Constitution) (cf. Note 5). (cf. Note 6)

Par son arrêt n° 86/2017 du 6 juillet 2017, la Cour constitutionnelle vient de trancher cette problématique. Elle a dit pour droit que :

« - Les articles 32, 3°, et 37, § 1er, de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, interprétés comme faisant obstacle au droit d’un travailleur employé par une autorité publique à être entendu préalablement à son licenciement pour des motifs liés à sa personne ou à son comportement, violent les articles 10 et 11 de la Constitution.
- Les mêmes dispositions, interprétées comme ne faisant pas obstacle au droit d’un travailleur employé par une autorité publique à être entendu préalablement à son licenciement pour des motifs liés à sa personne ou à son comportement, ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution
» (page 13 de l’arrêt n° 86/2017 du 6 juillet 2017).

Les principaux considérants de cet arrêt peuvent être restitués comme suit :

« B.6.1. Les agents statutaires ne sont, en principe, pas comparables aux agents contractuels puisqu’ils se trouvent dans une situation juridique fondamentalement différente. Toutefois, les règles juridiques différentes qui régissent la relation de travail de l’une et de l’autre catégorie d’agents n’empêchent pas qu’ils se trouvent, par rapport à une question de droit posée par leur action devant un juge, dans une situation comparable.

B.6.2. Les spécificités que présente le statut par rapport au contrat de travail peuvent s’analyser, selon le cas, comme des avantages (c’est notamment le cas de la plus grande stabilité d’emploi ou du régime de pension plus avantageux) ou comme des désavantages (tels la loi du changement, le devoir de discrétion et de neutralité ou le régime en matière de cumul ou d’incompatibilités).

Ces spécificités ne doivent toutefois être prises en considération que par rapport à l’objet et à la finalité des dispositions en cause. A cet égard, il n’apparaît pas que l’employé d’une autorité publique qui reçoit son congé soit dans une situation différente selon qu’il a été recruté comme agent statutaire ou comme agent contractuel, quant à l’application du principe général de bonne administration audi alteram partem.

B.7. Le principe général de bonne administration audi alteram partem impose à l’autorité publique d’entendre préalablement la personne à l’égard de laquelle est envisagée une mesure grave pour des motifs liés à sa personne ou à son comportement.

Ce principe s’impose à l’autorité publique en raison de sa nature particulière, à savoir qu’elle agit nécessairement en tant que gardienne de l’intérêt général et qu’elle doit statuer en pleine et entière connaissance de cause lorsqu’elle prend une mesure grave liée au comportement ou à la personne de son destinataire.

Le principe audi alteram partem implique que l’agent qui risque d’encourir une mesure grave en raison d’une appréciation négative de son comportement en soit préalablement informé et puisse faire valoir utilement ses observations. La différence objective entre la relation de travail statutaire et la relation de travail contractuelle ne peut justifier, pour les agents d’une autorité publique, une différence de traitement dans l’exercice du droit garanti par le principe de bonne administration audi alteram partem.

B.8. Il ressort de ce qui précède que les articles 32, 3°, et 37, § 1er, de la loi du 3 juillet 1978 précitée, interprétés comme autorisant une autorité publique à licencier un travailleur avec lequel elle a conclu un contrat de travail pour des motifs liés à sa personne ou à son comportement, sans être tenue d’entendre préalablement ce travailleur, ne sont pas compatibles avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

B.9. La Cour observe toutefois, avec le juge a quo, que les dispositions en cause peuvent faire l’objet d’une autre interprétation, comme celle qu’il retient dans la seconde question préjudicielle.
»
La Cour constitutionnelle a donc décidé que s’agissant de la fin à la relation de travail, la différence de traitement entre un agent contractuel et un agent statutaire quant au droit d’être entendu préalable à pareille décision n’est pas conforme aux règles constitutionnelles d’égalité et de non-discrimination.

Au vu des motifs de l’arrêt, en particulier le considérant 8.7. précité, il n’est pas exclu que cet enseignement soit étendu à toute situation dans laquelle un l’agent d’un pouvoir public, qu’il soit contractuel ou statutaire, risque d’encourir une mesure grave en raison d’une appréciation négative de son comportement.

Enfin, il reste à régler la question de savoir si une décision de licenciement à l’encontre d’un agent contractuel d’un employeur public doit, ou non, répondre aux exigences de motivation formelle des décisions administratives, conformément à la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs.

Cette question qui est également fort controversée depuis longtemps trouvera peut-être également un jour prochain une réponse dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle.





Emmanuel JACUBOWITZ et Diego GUTIERREZ CACERES
Avocats au Barreau de Bruxelles, XIRIUS PUBLIC.



Notes:

(1) S. GILSON, Fr. LAMBINET, Z. TRUSGNACH, Les obligations particulières de l’employeur public lors du licenciement des travailleurs contractuels Les méandres de la doctrine et de la jurisprudence à la croisée des droits administratif et social, Limal, Anthemis, 2016, p. 12.

(2) Il est à noter que certains auteurs estiment que cet arrêt ne peut être interprété comme rejetant l’obligation de procéder à l’audition préalable de l’agent contractuel. L’arrêt casserait en réalité sur le concept de la faute (P. JOASSART et N. BONBLED, « Les principes généraux de droit administratif en droit social », in. P.-O. DE BROUX, B. LOMBAERT et F. TULKENS (dir.), Actualité des principes généraux en droit administratif , social et fiscal, Coll. Recyclage du droit, Limal, Anthemis, 2015, p. 106-107). Il n’y aurait dès lors, selon ces auteurs, pas de conséquence quant à l’obligation de procéder à l’audition de l’agent contractuel. Concernant l’obligation de motivation formelle, certains auteurs estiment que l’arrêt ne porte pas atteinte à l’obligation de motiver l’acte administratif par lequel la décision de licencier est prise mais sur la motivation du congé qui lui ne devrait pas être motivé (S. GILSON, Fr. LAMBINET, Z. TRUSGNACH, Les obligations particulières de l’employeur public lors du licenciement des travailleurs contractuels Les méandres de la doctrine et de la jurisprudence à la croisée des droits administratif et social, Limal, Anthemis, 2016, p. 67-70).

(3) C.E., n° 235.871, 27 septembre 2016, SOCIÉTÉ COOPÉRATIVE À RESPONSABILITÉ LIMITÉE INTERCOMMUNALE D'ÉTUDE ET DE GESTION (IEG) ; C. trav. Mons, 8 décembre 2015, R.G. 2014/AM/422, inédit ; C. trav. Liège (div. Namur) (6e ch.) 14 avril 2016.

(4) Trib. Trav. Liège, Division Dinant, 18 janvier 2016, R.G., 14/481//A, inédit.

(5) Les questions préjudicielles s’énonçaient comme suit : « 1. Les articles 32, 3° et 37 § 1er de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, interprétés comme faisant obstacle au droit d’un travailleur employé par une autorité publique à être entendu préalablement à son licenciement, violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution, alors que ce droit est garanti aux agents statutaires conformément à l’adage « audi alteram partem » ?
2. Les mêmes articles, interprétés comme ne faisant pas obstacle au droit d’un travailleur employé par une autorité publique à être entendu préalablement à son licenciement, violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution ? »

(6) A cette occasion, le tribunal estime notamment que l’arrêt de la Cour de cassation entre en conflit avec la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme. Il rappelle l’arrêt KMC c/ HONGRIE (C.E.D.H., 10 juillet 2012, KMC c/ HONGRIE, Req. n° 19.554/11). Dans cette décision, la Cour européenne a considéré que le défaut de motivation d’une décision révoquant un fonctionnaire violait le droit d’accès au juge garanti par l’article 6, § 1er, de la C.E.D.H.




Source : DroitBelge.Net - actualités - 19 juillet 2017


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