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Apport d’actions – Plus-value interne

Par Mikaël GOSSIAUX

Mardi 10.01.17

Les plus-values internes ?

1. Il y avait en Belgique un contexte fiscal incitant les entrepreneurs à prendre des risques.

Animés par un projet, ils travaillaient sans compter et, souvent, sans se rémunérer. Si le projet capotait, ils en étaient pour leurs frais. Si le succès était au rendez-vous et que le projet parvenait à être vendu, la plus-value dégagée n’était pas imposable, le tout dans un certain équilibre, que certains défendront et d’autres pourfendront.

Voilà des mois que cet équilibre vacille, de déclarations politiques en sorties médiatiques, de promesses de réduction de l’impôt des sociétés en compensations visant à l’équilibre budgétaire.

Au final, les augmentations d’impôts sont au rendez-vous. Pour la réduction de l’impôt des sociétés, il faudra repasser.

2. Nous voulons ici nous attarder sur une mesure concrète, qui affecte l’une des facultés dont disposaient les entrepreneurs pour réaliser une plus-value non-imposable.

L’opération est relativement simple : un contribuable a développé une activité économique au travers d’une société. Son capital de départ était de 20.000 €. La société vaut aujourd’hui 1.000.000 €, soit une plus-value latente de 980.000 €.

Le contribuable pouvait apporter les titres de cette société à une autre société, dite holding, dont il était actionnaire, en tout ou en partie. Suite à cet apport, la holding disposait d’un capital réellement libéré de 1.0000.000 €, dont le remboursement ultérieur était exempt de tout impôt.

Face à ce type d’opération, l’administration fiscale n’était pas dépourvue. En effet, elle aurait pu considérer que ces actes sortaient du cadre de la gestion normale du patrimoine privé de l’entrepreneur pour taxer la plus-value réalisée, au titre de revenus divers, au taux de 33 %, soit un taux supérieur à celui applicable en cas de distribution de dividendes.

Néanmoins, lorsque le contexte économique le justifiait et sous réserve de certaines conditions, l’administration fiscale reconnaissait le caractère non imposable de cette opération. Nous ne reviendrons pas sur les multiples décisions rendues en la matière, que le lecteur curieux peut retrouver sur le site internet de l’administration fiscale (www.fisconet.be).


Quelle modification légale ?

3. Le législateur a décidé de mettre un terme à cette pratique, en modifiant la notion de capital réellement libéré, définie à l’article 184 du CIR 92.

Le capital réellement libéré est le capital statutaire dans la mesure où il est formé des apports réellement libérés (au moment de la constitution ou ultérieurement) et où il n’a fait l’objet d’aucune réduction (CIR92, art. 184, alinéa 1er).

Cette définition n’est pas modifiée.

Mais avant l’entrée en vigueur de la loi du 22 décembre 2016, l’apport des titres de la société à une holding, pour une valeur de 1.000.000 €, augmentait le capital réellement libéré de la holding à due concurrence.

4. Depuis le 1er janvier 2017, deux situations sont envisageables :

- Soit l’apport des actions à la holding n’est pas imposable au titre de revenus divers, considérant que l’opération relève de la gestion normale du patrimoine privé de l’entrepreneur ;

L’article 184, alinéa 3, CIR 92 prévoit alors que le capital réellement libéré de la holding n’est augmenté qu’à concurrence du capital libéré représenté par les titres apportés dans le capital de la société (pour faire simple, dans notre exemple, les 20.000 € de départ). La différence, c’est-à-dire le montant de la plus-value (980.000 €), est à reprendre en réserves taxées.

La comptabilisation de cette réserve taxée implique la réalisation d’un bénéfice taxable dans le chef de la holding. Les travaux parlementaires indiquent que ce bénéfice sera neutralisé par une augmentation équivalente de la situation de début des réserves dans la déclaration fiscale de la holding.

Cette écriture comptable est donc sans conséquence pour la holding mais est désastreuse pour notre entrepreneur. En effet, ultérieurement à cette opération, le capital réellement libéré reste à son niveau historique (20.000 €) et la distribution des réserves taxées emportera une taxation au titre de dividendes, au taux de 30 % (tarif en vigueur depuis le 1er janvier 2017).

- Soit l’apport des actions à la holding est taxable au titre de revenus divers, au taux de 33 %, considérant que l’opération sort du cadre de la gestion normale du patrimoine privé de l’entrepreneur ;

L’apport ainsi taxé emporte alors une augmentation équivalente du capital réellement libéré de la holding, à défaut de quoi il y aurait double imposition.

En d’autres termes, en cas d’apport des titres à une holding qu’il contrôle par ailleurs, notre entrepreneur encourt :

- une taxation immédiate au titre de revenus divers, au taux de 33 % ;

- ou une taxation à terme, au titre de dividendes, lors de la distribution de la réservée taxée.
L’intérêt fiscal de l’opération disparaît donc complètement, nonobstant le fait qu’elle serait économiquement justifiée et pourrait, par exemple, favoriser la pérennité de l’entreprise (motif régulièrement pris en compte par l’administration fiscale).

5. Enfin, ce régime ne vise pas uniquement les apports d’actions à une société que l’entrepreneur contrôle mais toute opération d’apport d’actions, en ce compris donc l’apport qui serait réalisé au profit d’une société tierce, détenue par un autre actionnaire, et avec laquelle l’entrepreneur aurait, par exemple, décidé de s’associer (en dehors donc de toute hypothèse d’une plus-value dite « interne »).


A l’avenir ?

6. Pour réaliser sa plus-value, il reste à l’entrepreneur la vente (et non plus d’apport) des titres de sa société à une holding (qu’il contrôle par ailleurs) ou à une société tierce à laquelle il aurait décidé de s’associer.

Cette opération n’emporte jamais une augmentation du capital réellement libéré, en sorte que deux situations peuvent être envisagées :

- soit l’opération relève de la gestion normale du patrimoine privé et la plus-value réalisée n’est pas taxable ;

- soit l’opération excède cette gestion normale et la plus-value réalisée est taxable, au titre de revenus divers, au taux de 33 %.

Tout est alors une question de fait, de motifs autres que fiscaux et de motifs économiques. A cet égard, la jurisprudence est particulièrement abondante.

A titre d’exemple, relevons un arrêt de la Cour d’appel de Gand du 14 avril 2015 (2010/AR/2735) qui a jugé qu’une plus-value interne de 5.840.000 €, réalisée sur une période de 5 ans, n’était pas révélatrice d’une gestion anormale ou d’une intention spéculative et n’était donc pas taxable au titre de revenus divers.

Ce faisant, elle réforme néanmoins la décision du Tribunal de première instance de Gand qui avait, pour sa part, jugé la plus-value taxable…


Pour le passé ?

7. Les nouvelles dispositions légales entrent en vigueur le 1er janvier 2017. Les opérations accomplies jusqu’au 31 décembre 2016 ne sont donc pas visées.

Les travaux parlementaires précisent toutefois que l’opération d’apport de titres à une holding suivie d’une réduction du capital de la holding pourrait « dans certains cas » tomber dans le champ d’application de la mesure anti-abus de l’article 344, §1er, du CIR 92.

L’objectif est de taxer ces opérations au titre de distributions de dividendes, au taux de 30 %.

Ce risque d’abus fiscal nous paraît limité. Les contribuables ayant réalisé l’apport des titres à la holding, il y a plusieurs années et, a fortiori, avant l’entrée en vigueur de la nouvelle disposition anti-abus (pour rappel, le 1er janvier 2012), ne seront pas être inquiétés en cas de réduction de capital de la holding, surtout si la constitution de cette holding est économiquement justifiée.


Commentaire critique

8. Le rapport fait au nom de la Commission des Finances et du Budget indique que cette nouvelle mesure a pour objectif une fiscalité plus juste, en évitant que « l’impôt normalement dû ne puisse être éludé via une structuration déterminée des opérations ».

Un objectif auquel nous devrions tous adhérer.

Mais comment voir une once de justice dans ce fouillis de règles fiscales que nous subissons ? Et comment une couche de complexité supplémentaire pourrait être la solution ?

Au contraire, il faut simplifier les règles pour qu’elles puissent être comprises par tous et finalement acceptées. A défaut, on ne retient jamais qu’un seul objectif réel : l’augmentation des recettes.




Mikaël GOSSIAUX
m.gossiaux@vanhaelst-avocats.eu
Avocat chez Hirsch & Vanhaelst



Source : DroitBelge.Net - Actualités - 10 janvier 2017


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