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Fisc et vie privée: Tax Brother is watching you !

Par François Collon [Hirsch & Vanhaelst]

Lundi 27.08.12


La presse s’est fait récemment l’écho d’une loi publiée le vendredi 24 août dernier et qui tendrait à donner à l’administration fiscale des pouvoirs plus importants encore que ceux d’un juge d’instruction, la rendant ainsi toute puissante.

Il faut tempérer quelque peu cette affirmation.

La loi du 3 août 2012 portant dispositions relatives aux traitements de données à caractère personnel réalisés par le Service public fédéral Finances dans le cadre de ses missions (puisque c’est d’elle qu’il s’agit), a principalement pour objet de mettre la pratique actuelle d’échanges de données au sein du Service public fédéral Finances en conformité avec la loi du 8 décembre 1992 relative à la protection de la vie privée à l’égard des traitements de données à caractère personnel. Elle n’a donc pas pour objectif d’attribuer plus de pouvoirs à l’administration fiscale.

Il n’en reste pas moins qu’en certains de ses aspects cette loi vient heurter de manière assez inquiétante le droit à la vie privée, ce que n’a pas manqué de relever, immédiatement après la publication de la loi, la Commission de la protection de la vie privée, par la voix de son président.

La super banque de données fiscales

Outre la mise en conformité de la pratique administrative avec la loi du 8 décembre 1992 telle qu’évoquée ci-dessus, la loi du 3 août 2012 confirme la création de la désormais fameuse super banque de données fiscales.

Cette banque de données rassemblera dans un fichier centralisé l’ensemble des informations récoltées dans le cadre de leurs missions par l’ensemble des départements du Service public fédéral Finances. L’administration fiscale pourra en principe y puiser les informations qui lui sont nécessaires soit dans le cadre du traitement de ses dossiers soit pour établir des relevés statistiques en matière d’infractions fiscales en vue d’améliorer la politique fiscale.

On ne s’étendra guère, à ce stade, sur le fonctionnement de cette banque de données, le texte de loi renvoyant à ce sujet à des arrêtés royaux dont on attend encore la publication. Retenons simplement que les informations apportées à la banque de données seront codées et que le décodage ne pourra intervenir qu’à certaines conditions et sous le contrôle d’un organisme nouvellement créé répondant au nom (que George Orwell, l’auteur de 1984, n’aurait sans doute pas renié) de Service de Sécurité de l'Information et de Protection de la vie privée.

Le point qui fâche

L’article 11 de la loi du 3 août 2012 prive tout contribuable de son droit à l’information, de ses droits d’accès et de rectification durant la période dans laquelle celui-ci est l’objet d’un contrôle ou d’une enquête ou d’actes préparatoires à ceux-ci effectués par le Service public fédéral Finances dans le cadre de l’exécution de ses missions légales.

En effet, selon l’exposé des motifs de la loi, la mission de lutte contre la fraude et la tâche de contrôle pourraient être mises à mal par l’exercice du droit d’accès de celui qui précisément cherche à frauder l’impôt et pourrait grâce à l’accès aux données connaître les éléments en possession de l’administration.

Le législateur cite les exemples suivants :

«
•  organisation des activités de taxation et de contrôle (par exemple: instructions internes relatives aux méthodes de vérification, procès-verbaux de réunions à propos de la stratégie de contrôle, liste des dossiers sélectionnés pour le contrôle ou des opérations particulières qui sont prévues dans certains secteurs, etc.);

•  les outils de sélection de dossier dans lequel les données disponibles au sein de l’Administration sont utilisées dans un modèle mathématique pouvant être appliqué sur une partie ou l’ensemble de la population à contrôler. Le datamining doit permettre de détecter le risque de fraude chez les contribuables et de déterminer ainsi, d’une manière plus efficace, les contribuables à contrôler. Pour des raisons évidentes, de plus amples renseignements et données concernant les facteurs de risques et la méthodologie utilisés ne peuvent être divulgués ;

•  action de recouvrement des dettes fiscales à l’égard d’un contribuable organisant son insolvabilité: divulguer la manière et le moment du recouvrement des dettes fiscales augmenterait le risque de voir des contribuables essayer de tout mettre en œuvre pour ne pas s‘acquitter, ne pas s‘acquitter à temps ou ne s‘acquitter que partiellement après les premières mesures de recouvrement forcées de leurs dettes fiscales;

•  consultation du dossier au stade de l’investigation: à ce stade, le contribuable pourrait obtenir des renseignements dans le seul but d’organiser des mécanismes de fraude ou de mettre sur pied des manœuvres dilatoires. »

En d’autres termes, dès que le contribuable fera l’objet d’un contrôle ou même d’actes préparatoires à un contrôle, sans que la loi ne précise plus amplement le contenu de cette dernière notion, il sera privé de tout droit d’accès à ses données personnelles.

Ce faisant, et pour s’en référer aux commentaires qui ont été jusqu’à présent fournis par la presse, l’accès à ses données personnelles est purement et simplement dénié au contribuable pendant toute la phase de contrôle sans qu’il puisse même le demander, ce qui n’est pas le cas en cas d’instruction pénale.

Comme l’a indiqué le Conseil d’Etat, l’article 11 de la loi du 3 août 2012 paraît en ce sens violer la directive 95/46 du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995 « relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données », que la loi du 8 décembre 1992 précitée transpose en droit belge et qui énonce en son article 13 les seules exceptions et limitations qu’elle autorise aux droits d’information, d’accès et de rectification.

En effet, l’article 13 de la directive permet aux Etats membres de prendre des mesures législatives visant à limiter les droits d’information, d’accès et de rectification, lorsqu’une telle limitation constitue une mesure nécessaire pour sauvegarder un intérêt économique ou financier important y compris dans le domaine fiscal. Cette exception s’applique également à l’exercice de la mission de contrôle ou d’inspection dès lors qu’elle s’inscrit dans le cadre de la sauvegarde de ce même intérêt économique ou financier important.

La limitation apportée aux droits d’information, d’accès et de rectification doit donc non seulement être légitime mais également proportionnée en ce qu’elle doit poursuivre un intérêt économique ou financier important à sauvegarder.

Or, la limite que prévoit l’article 11 concerne a priori tous les traitements de données à caractère personnel que va mettre en place le Service public fédéral Finances puisque, par définition, ce service a pour mission, en vue d’assurer la juste perception des impôts, taxes, droits et accises, d’exercer un contrôle, d’assurer le recouvrement et de gérer le contentieux de l’impôt. Cette formulation est par conséquent trop large et ne répond pas aux exigences de légitimité et de proportionnalité requises par la directive pour autoriser l’exception.

En outre, l’article 11 neutralise, sans autre précision que celles des besoins de l’enquête, les droits d’information, d’accès et de rectification du citoyen du début à la fin de cette dernière sans aucune limitation claire dans le temps.

Les exemples des situations concernées fournies dans l’exposé des motifs ou la création du Service de Sécurité de l’Information et Protection de la vie privée chargé de gérer la mise en œuvre de l’exception ne suffisent évidemment pas à cet égard.

Il nous paraît indispensable que le texte légal précise clairement les cas dans lesquels les droits d’information, d’accès et de rectification garantis par la loi du 8 décembre 1992 ne sont pas d’application.

On attend donc rapidement qu’une loi de « réparation » vienne quelque peu rétablir les droits du contribuable.


François Collon
Avocat
Hirsch & Vanhaelst
( f.collon@vanhaelst-avocats.eu )


Source : DroitBelge.Net - Actualités - 27 août 2012


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