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Spécificités de l’attribution bénéficiaire en assurance-vie et son autonomie par rapport au droit successoral au regard de la loi du 13 janvier 2012

Par Estelle Delaunoy [Thelius]

Lundi 27.02.12

Spécificités de l’attribution bénéficiaire en assurance-vie et son autonomie par rapport au droit successoral

Introduction

Le droit successoral a pour vocation de régler les conséquences patrimoniales du décès. Toutefois, certaines conséquences patrimoniales du décès sont régies, de façon parallèle et autonome, par le droit des assurances, et en particulier le droit de l’assurance vie.(cf Note 1 )

L’interaction entre le droit de l’assurance vie et le droit successoral donne parfois lieu à des discussions, surtout lorsque l’attribution bénéficiaire du contrat d’assurance ne correspond pas avec la volonté du de cujus telle qu’exprimée dans son testament.

Prenons l’exemple suivant :

Un preneur d’assurance souscrit, sur sa propre tête, un contrat d’assurance vie individuelle de la branche 21. Les conditions particulières du contrat indiquent que les bénéficiaires en cas de décès de l’assuré sont « les enfants nés et/ou à naître de la personne assurée, par parts égales ; à défaut, les héritiers légaux de la personne assurée, par parts égales. »

Avant de souscrire ce contrat d’assurance vie, le preneur d’assurance avait rédigé un testament olographe, déposé au rang des minutes d’un notaire, par lequel il avait institué deux de ses trois enfants comme légataires universels.

Au moment du décès du preneur d’assurance, deux des trois enfants qu’eut l’assuré étaient prédécédés. Le seul enfant survivant de l’assuré est un des deux légataires.

Le testament ne prévoyant pas de représentation pour le cas de prédécès des légataires universels, la quotité disponible initialement dévolue au légataire universel prédécédé vient accroître celle recueillie par le légataire universel survivant.

Comment l’assureur doit-il liquider les prestations d’assurance ? Doit-il tenir compte des dispositions testamentaires ? Le produit des prestations d’assurance doit-il en d’autres termes revenir au légataire universel survivant ou la clause bénéficiaire du contrat d’assurance mène-t-elle à une autre solution ?


On examinera ci-dessous les principes qui régissent l’attribution bénéficiaire en assurance vie, ainsi que son corollaire, la révocation du bénéfice. On verra ensuite si et dans quelle mesure il y a lieu de tenir compte des dispositions testamentaires (qui ne seraient pas en adéquation avec l’attribution bénéficiaire du contrat d’assurance) lors de la liquidation du contrat d’assurance.


1. L’attribution bénéficiaire

Le preneur d’assurance peut désigner un (ou plusieurs) bénéficiaire(s). Ce droit lui appartient à titre exclusif et ne peut être exercé ni par son conjoint, ni par ses représentants légaux, ni par ses héritiers ou ayants cause, ni par ses créanciers (article 106, §1 de la loi sur le contrat d’assurance terrestre, ci-après LCAT).

Le bénéficiaire doit être une personne soit nommément désignée dans la police, soit dont l'identité est déterminable lorsque les prestations assurées deviennent exigibles (article 106, §2 LCAT).

L’attribution bénéficiaire n’est soumise à aucune forme. La preuve en est établie conformément à l’article 10 LCAT, c’est-à-dire par un écrit.


2. La révocation du bénéfice

Tant que le bénéficiaire originairement désigné n’a pas accepté le bénéfice de la garantie d’assurance, le preneur d’assurance peut révoquer l'attribution bénéficiaire et ce jusqu’au moment de l’exigibilité des prestations assurées (article 112 LCAT).

L’acceptation par le bénéficiaire rend en effet irrévocable le droit du bénéficiaire à la prestation d’assurance (article 121 LCAT). ( cf Note 2 )

Le droit de révocation appartient exclusivement au preneur d'assurance. Il peut seul l'exercer, à l'exclusion de son conjoint, de ses représentants légaux, de ses créanciers et, sauf le cas visé à l'article 957 du Code civil ( cf Note 3 ), de ses héritiers ou ayants droits (article 112 LCAT).

La révocation de l'attribution bénéficiaire fait perdre le droit au bénéfice des prestations assurées (article 113 LCAT).


2.1. Révocation explicite

La preuve de la modification (révocation) est établie conformément à l’article 10 LCAT (c’est-à-dire la preuve par écrit entre parties).

Elle peut se faire par un avenant au contrat. Aucune forme particulière n’est requise. L’avenant ne doit par exemple pas être signé par le bénéficiaire originaire, qui n’est souvent même pas au courant de sa désignation en tant que bénéficiaire.

La révocation peut également se faire dans un testament. La doctrine majoritaire est d’avis que dans ce cas la révocation doit être explicite. Un testament qui ne ferait que déroger à la clause bénéficiaire d’un contrat d’assurance vie ne pourrait être considéré comme une révocation implicite. ( cf Note 4 ) Si l’intention du testateur est de révoquer une désignation bénéficiaire, il lui appartient de l’exprimer de façon non équivoque et de viser expressément « les désignations bénéficiaires des contrats d’assurance vie. »

Lorsque la révocation ne se fait pas par un avenant au contrat, il convient d’en informer l’assureur par écrit, car, en cas de modification, l'assureur est libéré de toute obligation lorsqu'il a fait de bonne foi le paiement au bénéficiaire avant la réception de tout écrit modifiant la désignation (article 106, §3 et article 10 LCAT).


2.2. Révocation implicite

Tant que le bénéfice n’a pas été accepté par le bénéficiaire, le preneur d’assurance peut exercer certains droits qui impliquent une révocation totale ou partielle de l’attribution bénéficiaire, tels que le rachat, l’avance, la mise en gage ou la cession des droits résultant du contrat d’assurance. En cas d'acceptation du bénéfice, l'exercice de ces droits est subordonné au consentement du bénéficiaire.

Il y a également révocation lorsque le preneur s’attribue par la suite le bénéfice à lui-même. ( cf Note 5 )


3. Stipulation pour soi-même

En l’absence de la désignation d’un bénéficiaire (ou de désignation de bénéficiaire qui puisse produire effet, ou lorsque la désignation du bénéficiaire a été révoquée), le bénéfice du contrat revient au preneur d’assurance ou à la succession de celui-ci (article 107 LCAT). Cette disposition constitue une application de l’article 1122 du Code civil, aux termes duquel on est censé avoir stipulé, sauf convention contraire, pour soi-même et pour ses héritiers et ayants cause. ( cf Note 6 )

Cette règle vaut en principe aussi en cas de prédécès du bénéficiaire, à moins que le preneur n’ait désigné un autre bénéficiaire à titre subsidiaire (article 111 LCAT). Cette disposition a donc pour conséquence que le droit au bénéfice du bénéficiaire est un droit conditionnel, car il dépend de la survie de ce dernier au moment de l’exigibilité des prestations assurées. ( cf Note 7 ) En cas de prédécès du bénéficiaire, le bénéfice ne revient donc pas à la succession de celui-ci, mais bien au preneur ou à la succession de ce dernier.


4. Stipulation pour autrui

Lorsque le contrat d’assurance comporte une clause bénéficiaire au profit d’un tiers, cette clause s’analyse en une stipulation pour autrui, expressément prévue par l’article 22 LCAT. Tout comme l’article 106 §2 LCAT, l’article 22 LCAT énonce comme seule condition que le tiers soit déterminable au jour de l'exigibilité des prestations d'assurance. Il ne doit donc pas nécessairement être désigné ni même être conçu au moment de la stipulation.


5. Effets de la stipulation pour autrui

S’agissant d’une stipulation pour autrui, la clause bénéficiaire au profit d’un tiers ouvre, par le seul fait de la désignation, un droit propre et direct pour le bénéficiaire aux prestations d'assurance (article 121 LCAT).(cf Note 8)

Ce droit au bénéfice du contrat d’assurance est donc indépendant de la qualité d’héritier de la personne assurée qu’a éventuellement le bénéficiaire. Il s’agit d’un droit qui revient au bénéficiaire à titre personnel (« jure proprio ») et non en sa qualité d’héritier (« jure hereditario »).( cf Note 9)

Cette distinction est lourde de conséquences :

1. Le bénéfice du contrat d’assurance n’étant pas recueilli par les bénéficiaires en leur qualité d’héritiers, mais bien de destinataires d’une stipulation pour autrui, le bénéfice sera, en principe, sauf indications contraires, divisé entre eux par parts égales et non selon les règles de la dévolution successorale ou testamentaire.

2. Par ailleurs, les créanciers successoraux ne trouveront pas le bénéfice du contrat dans la masse successorale et ne pourront donc pas exercer leur action sur cet actif. Par contre, le droit au bénéfice du bénéficiaire étant un droit patrimonial, il peut être exercé par les créanciers du bénéficiaire.( cf Note 10)

3. Le bénéficiaire a droit à la prestation assurée même lorsqu’il renonce à ses droits successoraux.

La question s’est posée de savoir si la désignation des héritiers légaux (clause que l’on retrouve fréquemment dans les polices) doit être considérée comme une stipulation pour autrui ou s’il s’agit de l’application légale d’un mécanisme attribuant la succession aux héritiers. Bien que l’exposé des motifs de l’article 106 LCAT affirme qu’il s’agit bien d’une stipulation pour autrui, cette position ne semblait pas partagée par tous ( cf Note 11 ). Comme l’écrit Claude DEVOET, « le fait qu’un avantage revienne aux héritiers légaux d’une personne constitue précisément la conséquence d’une stipulation pour soi-même, comme l’énonce l’article 1122 du Code civil, ce qui est l’opposé d’une stipulation pour autrui. » L’auteur en conclut qu’afin d’éviter des discussions quant à la nature de la stipulation, il est recommandé au preneur d’assurance de préciser son intention en mentionnant par exemple que l’attribution est faite à l’avantage individuel de chacun des héritiers légaux.

Notons toutefois qu’en l’absence d’une clause bénéficiaire (ou en l’absence d’une clause bénéficiaire pouvant produire effet), le bénéfice du contrat est attribué, conformément à l’article 107 LCAT, au preneur d’assurance ou à la succession de celui-ci. L’article 1122 du Code civil, dont l’article 107 LCAT fait application en matière d’assurance vie, énonce quant à lui qu’on est censé avoir stipulé pour soi et pour ses héritiers et ayants cause.

Or, les notions d’héritiers légaux, de succession et d’héritiers ne sont pas identiques.

Il convient en effet de distinguer les notions de successible, d’héritier légal, d’héritier et de succession.

Le successible est celui qui est appelé à la succession, que ce soit par la loi ou par testament, indépendamment de son acceptation. L’héritier légal est celui qui est appelé à la succession par la loi, indépendamment de son acceptation.

L’héritier est le successible qui a accepté la succession. Il n’est donc pas forcément un héritier légal. Il peut aussi être celui qui est appelé à la succession à titre de légataire (universel/particulier).

La succession désigne l’ensemble des héritiers.

Une clause d’attribution bénéficiaire qui attribue les prestations d’assurance aux héritiers légaux est donc en principe une véritable stipulation pour autrui, car elle déroge au mécanisme prévu par la loi en l’absence d’une clause bénéficiaire (lequel attribue le bénéfice aux héritiers, non aux héritiers légaux).

Ces notions n’étant pas toujours appliquées avec la même rigueur, le législateur a estimé devoir intervenir. Par une loi du 13 janvier 2012, il inséra un article 110/1 dans la LCAT. (cf Note 12 : Article 2 de la loi du 13 janvier 2012 insérant un article 110/1 dans la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre, pour ce qui concerne la désignation du bénéficiaire d'un contrat d'assurance-vie, M.B. 24 février 2012). Ce nouvel article est intitulé « Désignation des héritiers légaux comme bénéficiaires » et dispose que « lorsque les héritiers légaux sont désignés comme bénéficiaires sans indication de leurs noms, les prestations d'assurance sont dues, jusqu'à preuve du contraire ou sauf clause contraire, à la succession du preneur d'assurance. »

Cette disposition a incontestablement l’avantage de mettre fin au problème éventuel d’interprétation et à l’insécurité juridique qui en était la conséquence. La loi considère à présent que la désignation des héritiers légaux doit, à défaut de clause ou de preuve contraire, être assimilée, en cas de décès du preneur d’assurance, au cas d’absence de clause bénéficiaire et donc à une stipulation que l’on fait pour soi, puisque la prestation d’assurance revient dans les deux cas à la succession du preneur d’assurance.

On observe pourtant d’emblée l’incohérence du système : même en présence d’une clause bénéficiaire (désignant les héritiers légaux), c’est la succession du preneur d’assurance qui est appelée à recevoir le produit de l’assurance. Or, la succession désigne l’ensemble des héritiers, c’est-à-dire l’ensemble des successibles qui ont accepté la succession. Lorsque la clause bénéficiaire désigne les héritiers légaux, l’identité des bénéficiaires du produit d’assurance sera donc déterminée par le droit successoral et la décision des héritiers légaux d’accepter ou non la succession. Le législateur crée ainsi, volontairement ou non, un lien étroit entre le droit des assurances et le droit successoral.

Si, dans le cas d’une clause bénéficiaire en faveur des héritiers légaux, c’est donc le droit successoral qui détermine qui sont les héritiers à pouvoir bénéficier du produit d’assurance, son impact se limite toutefois à cela. En effet, le droit des héritiers désignés par une clause bénéficiaires est différent de celui des héritiers amenés à hériter du produit d’assurance en l’absence de toute désignation. Si dans le premier cas la désignation donne un droit propre aux héritiers (article 121 LCAT), ces mêmes héritiers hériteront dans le second cas (c’est-à-dire en l’absence de désignation) de la prestation d’assurance en leur qualité d’héritier (iure hereditario). En d’autres termes, les héritiers qui reçoivent le produit de l’assurance non pas dans leur qualité d’héritier mais bien en tant que bénéficiaires du contrat, recevront celui-ci par parts égales (sauf clause contraire) et ne se retrouveront pas en concurrence avec les créanciers successoraux. Le preneur d’assurance doit donc être attentif à cette distinction. S’il veut faire bénéficier ses héritiers d’un droit propre, la clause bénéficiaire reste indispensable.

Le preneur d’assurance peut toutefois toujours, s’il le souhaite, différencier les héritiers légaux de sa succession en précisant explicitement qu’il entend déroger au principe énoncé à l’article 110/1 LCAT. Ainsi, il peut notamment permettre qu’un héritier légal bénéficie du produit de l’assurance, même si ce dernier décide de refuser la succession.


6. Règles particulières pour certaines clauses bénéficiaires

La loi du 25 juin 1992 sur le contrat d’assurance terrestre (LCAT) règle certaines situations qui, en l’absence de précision apportée par le preneur d’assurance, auraient pu être sujettes à controverse.


6.1. Désignation des enfants

Lorsque les enfants ne sont pas nommément désignés comme bénéficiaires, le bénéfice du contrat est attribué aux personnes qui ont cette qualité lors de l’exigibilité des prestations assurées (article 109 LCAT).

On a vu qu’il est de principe que lorsque le bénéficiaire décède avant l'exigibilité des prestations d'assurance et même si le bénéficiaire en avait accepté le bénéfice, ces prestations sont dues au preneur d'assurance ou à la succession de celui-ci, à moins qu'il ait désigné un autre bénéficiaire à titre subsidiaire (articles 107 et 111 LCAT).

Le législateur a cependant prévu une dérogation à ce principe lorsque les enfants sont désignés comme bénéficiaires.( cf Note 12 ) Dans ce cas, les descendants en ligne directe viennent par représentation de l'enfant prédécédé (article 109 LCAT).

Un problème d’interprétation existe toutefois à ce sujet. Les deux phrases de l’article 109 LCAT (celle énonçant que lorsque les enfants ne sont pas nommément désignés comme bénéficiaires, le bénéfice du contrat est attribué aux personnes qui ont cette qualité lors de l’exigibilité des prestations assurées et celle prévoyant que les descendants en ligne directe viennent par représentation de l'enfant prédécédé) se suivent dans un même paragraphe, ce qui pourrait donner l’impression que la règle de la représentation ne vaut que lorsque les enfants ne sont pas nommément désignés. Ne voyant toutefois aucune justification valable à cette distinction, il peut à notre avis être légitiment considéré que la règle de la représentation s’applique indépendamment du fait que les enfants aient été ou non nommément désignés.( cf Note 13 )


6.2. Désignation du conjoint

Lorsque le conjoint est nommément désigné comme bénéficiaire, le bénéfice du contrat lui est maintenu en cas de remariage du preneur d'assurance, sauf stipulation contraire ou application de l'article 299 du Code civil (article 108, 1er alinéa LCAT).

Lorsque le conjoint n'est pas nommément désigné comme bénéficiaire, le bénéfice du contrat est attribué à la personne qui a cette qualité lors de l'exigibilité des prestations assurées (article 108, 2ème alinéa LCAT).

La loi n’a pas prévu le cas du partenaire cohabitant. Il est donc recommandé au preneur d’assurance qui voudrait attribuer le bénéfice du contrat à son partenaire cohabitant d’être très précis lors de la rédaction de la clause, par exemple en désignant nommément son partenaire tout en prévoyant d’emblée le sort de cette attribution en cas de séparation.


6.3. Désignation conjointe des enfants et du conjoint

Lorsque le conjoint et les enfants, avec ou sans indication de leurs noms, sont désignés conjointement comme bénéficiaires, le bénéfice du contrat est attribué, sauf stipulation contraire, pour moitié au conjoint et pour moitié aux enfants (article 110 LCAT).

Cette disposition autorisant la stipulation contraire (cf Note 14 ), il est loisible au preneur de préférer une autre solution, par exemple le partage égal par tête.


6.4. Désignation des héritiers légaux

L’article 2 de la loi du 13 janvier 2012 (cf Note 15 : M.B. 24 février 2012) insère un article 110/1 dans la LCAT. Ce nouvel article est intitulé « Désignation des héritiers légaux comme bénéficiaires » et dispose que « lorsque les héritiers légaux sont désignés comme bénéficiaires sans indication de leurs noms, les prestations d'assurance sont dues, jusqu'à preuve du contraire ou sauf clause contraire, à la succession du preneur d'assurance. »

On a déjà émis quelques observations concernant cette nouvelle disposition (cf le titre 5 ci-dessus).

L’article 3 de la loi du 13 janvier 2012 contient les dispositions transitoires. Il prévoit que les dispositions de la nouvelle loi sont applicables aux contrats d'assurance-vie conclus à partir de son entrée en vigueur. La nouvelle loi a été publiée le 24 février 2012. Elle entre donc en vigueur le 6 mars 2012.

Pour les contrats d'assurance-vie en cours conclus avant son entrée en vigueur, le preneur d'assurance peut, pendant un délai de deux ans à partir de l'entrée en vigueur de la nouvelle loi, déclarer explicitement, à l'initiative de l'assureur, qu'il renonce à l'application de l'article 110/1, par le biais d'un avenant à la police, signé par le preneur d'assurance et l'assureur.
En l'absence d'une telle déclaration, les contrats d'assurance-vie en cours conclus avant l'entrée en vigueur de la nouvelle loi seront soumis, au terme dudit délai, aux dispositions de cette loi.


7. Application des principes au cas d’espèce exposé dans l’introduction

Revenons à l’exemple que nous avions pris dans l’introduction de cette fiche.

Au décès de l’assuré, qui était également le preneur d’assurance, l’assureur se posera les questions suivantes :

(a) Y a-t-il une clause d’attribution bénéficiaire ?
(b) Y a-t-il eu une révocation (expresse ou tacite) de l’attribution bénéficiaire ?
(c) Qui sont les bénéficiaires du contrat ?
(d) En cas de prédécès d’un des bénéficiaires, faut-il appliquer la règle de la représentation ?

Nous répondons ci-dessous à ces questions.


(a) Y a-t-il une clause d’attribution bénéficiaire ?

Réponse : oui.

Le contrat indique que les bénéficiaires en cas de décès de l’assuré sont « les enfants nés et/ou à naître de la personne assurée, par parts égales ; à défaut, les héritiers légaux de la personne assurée, par parts égales. »

Il s’agit bien là d’une stipulation pour autrui, puisque le bénéfice ne revient ni au preneur d’assurance ni à sa succession et que le bénéfice est attribué par parts égales.


(b) Y a-t-il eu une révocation (expresse ou tacite) de l’attribution bénéficiaire ?

Réponse : non.

Le preneur d’assurance avait rédigé un testament avant de souscrire le contrat d’assurance vie.

Par ce testament, le preneur avait institué deux de ses trois enfants comme légataires universels.

Faut-il y voir une révocation de l’attribution bénéficiaire en faveur des trois enfants ?

Le testament ayant été rédigé avant la souscription du contrat d’assurance vie, et donc avant la stipulation de la clause bénéficiaire attribuant les prestations d’assurance aux enfants nés et/ou à naître de la personne assurée, il ne peut d’aucune façon être considéré comme une révocation de l’attribution bénéficiaire qui a été faite postérieurement à la rédaction de ce testament.

De même, l’attribution bénéficiaire du contrat d’assurance vie ne révoque pas les legs institués par testament (la révocation des testaments est en effet soumise à des règles strictes : voy. l’article 1035 du Code civil).

Au surplus, on a vu que si la révocation peut se faire dans un testament, elle doit être explicite. Or, le simple fait de prévoir des legs qui ne sont pas en adéquation avec la clause bénéficiaire d’un contrat d’assurance vie ne signifie pas que le testateur a eu l’intention de révoquer cette attribution bénéficiaire.

Il faudra donc, suite au décès de l’assuré, faire application de deux régimes différents, d’une part celui du contrat d’assurance vie en ce qui concerne les prestations d’assurance et d’autre part celui du droit des successions en ce qui concerne la masse successorale (dont ne fait pas partie le bénéfice du contrat d’assurance).

Observons que si le preneur d’assurance souhaite une adéquation parfaite entre ses légataires et la clause bénéficiaire d’un contrat d’assurance, il lui suffit soit de ne rien stipuler ou de révoquer purement et simplement toute clause bénéficiaire antérieure, soit de stipuler que le bénéfice du contrat revient à sa succession. Si le bénéfice du contrat d’assurance est par contre attribué à ses enfants ou à ses héritiers légaux, la prestation d’assurance reviendra à ceux-ci, par parts égales, et les dispositions testamentaires resteront sans conséquences pour la liquidation de ce capital.

Dans notre exemple, il faut donc considérer que les bénéficiaires du contrat d’assurance sont les enfants de l’assuré, à défauts ses héritiers légaux. Les légataires universels n’ont, en cette qualité, pas de droits à faire valoir sur la prestation d’assurance.


(c) Qui sont les bénéficiaires du contrat ?

Réponse : en premier rang les enfants (nés ou à naître) de l’assuré et en second rang (c’est-à-dire en l’absence des bénéficiaires du premier rang) les (autres) héritiers légaux de l’assuré.

L’assuré a eu trois enfants, dont un seul est en vie au moment où les prestations d’assurance deviennent exigibles.


(d) En cas de prédécès d’un des bénéficiaires, faut-il appliquer la règle de la représentation ?

Réponse : oui.

La clause bénéficiaire désigne – en premier rang – les enfants nés et/ou à naître de l’assuré.

L’assuré a eu trois enfants. Deux sont prédécédés, chacun laissant des petits-enfants.

On a vu que l’article 109 LCAT prévoit que lorsque les enfants ne sont pas nommément désignés comme bénéficiaires, comme c’est le cas en l’espèce, le bénéfice du contrat est attribué aux personnes qui ont cette qualité lors de l’exigibilité des prestations assurées et que les descendants en ligne directe viennent par représentation de l'enfant prédécédé.

L’assureur doit donc liquider le bénéfice comme suit :

- 1/3 en faveur de l’enfant survivant de l’assuré

- 1/3 en faveur de l’ensemble des enfants du deuxième enfant prédécédé de l’assuré, à diviser entre eux par parts égales

- 1/3 en faveur de l’ensemble des enfants du troisième enfant prédécédé de l’assuré, à diviser entre eux par parts égales.



Estelle Delaunoy
Avocat - Associée chez Thelius


Notes:

(1) K., BERNAUW, “Verzekeringen en erfrecht”, Bull. Ass 2008, Dossier n° 14, 13-47.

(2) Voy. également la seconde phrase de l’article 1121 du Code civil : « Celui qui a fait cette stipulation, ne peut plus la révoquer, si le tiers a déclaré vouloir en profiter. »

(3) à savoir la demande en révocation pour cause d'ingratitude.

(4) K., BERNAUW, “Verzekeringen en erfrecht”, Bull. Ass. 2008, Dossier n° 14, 25-26.

(5) C., DEVOET, Les assurances de personnes, Anthemis, Louvain-La-Neuve, 2006, n° 1028. L’auteur considère qu’il s’agit alors d’une révocation expresse.

(6) P., COLLE, « Les contrats d’assurance réglementés », Bruylant, Bruxelles, 1998, p. 215, n° 329.

(7) C., DEVOET, Les assurances de personnes, Anthemis, Louvain-La-Neuve, 2006, n° 1076.

(8) Cass. (3e ch.) RG C.04.0302.F, 16 janvier 2006, Pas. 2006, liv. 1, 163 ; P., COLLE, Handboek bijzonder gereglementeerde verzekeringscontracten, Antwerpen, Intersentia, 2001, p. 209 e.v. en L. SCHUERMANS, Grondslagen van het Belgisch verzekeringsrecht, Antwerpen, Intersentia, 2001, p. 435 e.s.

(9) Liège 27 avril 1994, Bull. ass. 1994, 571, note ANDRE-DUMONT, J.

(10) C., DEVOET, Les assurances de personnes, Anthemis, Louvain-La-Neuve, 2006, n° 1076.

(11) C., DEVOET, Les assurances de personnes, Anthemis, Louvain-La-Neuve, 2006, n° 996-997.

(12) P. COLLE, « Les contrats d’assurance réglementés », Bruylant, Bruxelles, 1998, p. 215, n° 330.

(13) P. COLLE, « Les contrats d’assurance réglementés », Bruylant, Bruxelles, 1998, p. 215, n° 330.

(14) On rappellera que, sauf lorsque la possibilité d'y déroger par des conventions particulières résulte de leur rédaction même, les dispositions de la loi sur le contrat d’assurance terrestre sont impératives (article 3 LCAT).

(15) M.B. 24 février 2012


Source : DroitBelge.Net - Actualités


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