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L´envoi d’un contre-préavis par le preneur délie-t-il le bailleur de son obligation de respecter le motif invoqué dans le cadre de son renon ?

Par Florence Desternes [Xirius]

Jeudi 03.12.09

Le 26 novembre 2009, la Cour constitutionnelle a rendu un arrêt (n° 189/2009) très intéressant concernant l’article 3, § 2, du livre III, titre VII, chapitre II, section II, du Code civil (« des règles particulières aux baux relatifs à la résidence principale du preneur ») telle que cette section a été insérée par la loi du 20 février 1991, suite à une question préjudicielle posée par le Juge de paix du deuxième canton de Namur.


1. Les faits de la cause ayant donné lieu à la question préjudicielle

Les faits de la cause peuvent se résumer comme suit :

En 1999, Monsieur V. donne en location à Madame A. un appartement dans le cadre d’un contrat de bail de résidence principale d’une durée de neuf ans.

En 2006, Monsieur V. décide de mettre un terme au contrat de bail de résidence principale pour occupation personnelle, et ce conformément à l’article 3, § 2, alinéa 1er de la loi du 20 février 1991.

Pour ce faire, Monsieur V. notifie à Madame A. un congé avec un préavis légal de six mois.

Suite à la réception dudit courrier de renon, Madame A. se met à la recherche d’un nouveau logement et adresse à son tour à Monsieur V. un contre-préavis, en application de l’article 3, § 5, de la loi du 20 février 1991.

Par la suite, Madame A. saisit le Juge de paix du canton de Namur afin de faire constater que Monsieur V. n’avait pas occupé personnellement le bien dans le délai légal requis.

Madame A. postule, à titre principal, la condamnation de Monsieur V. à lui payer la somme correspondante à l’indemnité de 18 mois de loyer prévue par l’article 3, § 2, de la loi du 20 février 1991.

Monsieur V., se fondant sur deux arrêts de la Cour de cassation des 22 juin 1998 et 15 septembre 2006, s’oppose à cette demande en invoquant que le contre-préavis donné par Madame A. le dispense de respecter le motif du renon.

Pour rappel, la Cour de cassation (arrêt du 15 septembre 2006) estime que lorsque le preneur met fin au bail après s’être vu notifier un congé par le bailleur qui a l’intention d’occuper personnellement le bien loué, ledit bailleur n’a plus l’obligation d’occuper le bien.


2. La question préjudicielle

La question préjudicielle posée par le Juge de paix du deuxième canton de Namur à la Cour constitutionnelle était donc la suivante :

« L’article 3, § 2, de la loi du 20 février 1991, interprété en ce sens que si le preneur fait usage de la faculté de contre-préavis prévue au paragraphe 5, alinéa 3, le bailleur est libéré de son obligation de réaliser le motif du congé dans les conditions prévues au paragraphe 2, viole-t-il les articles 10, 11 et 23 de la constitution,

a) en ce que le preneur qui se voit notifier un congé sur pied du paragraphe 4 conserve le droit de réclamer l’indemnité prévue par cette disposition, même s’il fait usage de la faculté de contre-préavis,

b) en ce que le preneur qui se voit notifier un congé sur pied du paragraphe 2 et qui ne fait pas usage du contre-préavis prévu au paragraphe 5, alinéa 3, bénéficie du droit de réclamer une indemnité équivalente à 18 mois de loyer si le bailleur ne réalise pas le motif du congé dans les conditions prévues au paragraphe 2 ?
».


3. Position du Conseil des ministres

Selon le Conseil des ministres (partie intervenante à la procédure devant la Cour constitutionnelle au nom de l’auteur de la norme faisant l’objet de la question préjudicielle), le bailleur demeure tenu par l’obligation d’habiter le bien loué si l’occupation personnelle était invoquée à l’appui du renon.

En effet, selon le Conseil des ministres, les obligations consécutives au congé donné par le bailleur pour occupation personnelle naissent dès l’instant où le congé est notifié par le bailleur, en sorte que l’existence ultérieure d’un contre-préavis n’a pas pour effet de supprimer les obligations auxquelles le bailleur s’est engagé par la voie d’un acte juridique unilatéral antérieur.

Par conséquent, le fait que le bail prenne fin suite au contre-préavis du preneur est sans influence sur les obligations du bailleur, lesquelles sont nées de la notification du congé pour occupation personnelle.

Le Conseil des ministres rappelle, avec pertinence, à ce sujet, que le contre-préavis n’était jamais que « l’accessoire » du congé principal donné par le bailleur.

En effet, sans la notification du congé pour occupation personnelle par le bailleur, le preneur n’a pas la possibilité de notifier un contre-préavis.

Selon le Conseil des ministres, l’argumentation de la Cour de cassation développée dans son arrêt du 15 septembre 2006 ne peut donc être suivie.

La Cour de cassation était arrivée à la conclusion de ce que l’envoi d’un contre-préavis déliait le bailleur de son obligation de respecter le motif de renon dès lors que, selon elle, le législateur, en s’abstenant de modifier la disposition relative au calcul du point de départ de l’occupation obligatoire par le bailleur dans l’hypothèse où un contre-préavis lui était notifié par le preneur, avait de manière implicite délié le bailleur de son droit d’occupation personnelle.

Cette position n’est pas partagée par le Conseil des ministres qui estime quant à lui que, si le législateur avait modifié le point de départ de l’obligation obligatoire par le bailleur dans le sens suggéré par la Cour de cassation, il aurait ainsi créé une grande insécurité pour le bailleur.

En effet, si le point de départ de l’obligation pour le bailleur d’occuper personnellement les lieux devait dépendre d’un aléa (l’éventuel contre-préavis du preneur), ceci aurait pour effet d’avancer le point de départ initial d’occupation personnelle des lieux, présentant ainsi des inconvénients et une insécurité dans le chef du bailleur qui ne se justifient pas.

C’est donc parce qu’il était parfaitement conscient de ces inconvénients pour le bailleur que le législateur n’a pas souhaité modifier le point de départ du délai de réalisation du motif du congé en cas de notification d’un contre-préavis, et ce sans que ceci n’ait une quelconque influence – même implicite – sur le respect par le bailleur du motif du renon.

Partant de ce qui précède, le Conseil des ministres conclut donc que l’article 3, § 2, de la loi du 20 février 1991 interprété en ce sens que si le preneur fait usage de la faculté de contre-préavis prévue au paragraphe 5, alinéa 3, le bailleur est libéré de son obligation de réaliser le motif du congé dans les conditions prévues au paragraphe 2, viole les articles 10, 11 et 23 de la Constitution.


4. L’arrêt de la Cour constitutionnelle

A l’instar du Conseil des ministres, la Cour constitutionnelle considère qu’ « il n’a jamais été envisagé au cours des travaux préparatoires de prévoir que le contre-préavis du preneur délierait le bailleur de ses obligations.

En outre, il n’a jamais été envisagé que l’insertion d’une possibilité de contre-préavis s’inscrive à contre-courant de l’objectif poursuivi par le législateur d’une protection accrue du droit au logement du locataire.

Cette possibilité s’explique au contraire dans la perspective du renforcement de ce droit.
»

Il en résulte donc pour la Cour constitutionnelle que « les obligations consécutives au congé données par le bailleur pour occupation personnelle, l’obligation de réaliser le motif invoqué et à défaut, le versement d’une indemnité d’éviction, naissent dès l’instant où le congé est notifié.

Le contre-préavis n’est, par conséquent, que l’accessoire du congé principal donné par le bailleur, le preneur ne pouvant notifier ce contre-préavis à défaut pour le bailleur d’avoir notifié le congé pour occupation personnelle du bien.

Dès lors que l’indemnité d’éviction en cause tend à garantir la sécurité de logement du preneur et que cette sécurité de logement est en tout état de cause affectée par un congé donné par le bailleur, indépendamment du moment où le preneur trouve un autre logement, le moment où est donné le contre-préavis ou son absence, ne peut être considéré comme un élément pertinent pour maintenir ou non l’indemnité d’éviction
».

Dans son dispositif, la Cour constitutionnelle considère donc « qu’interprétée en ce sens que, si le preneur fait usage de la faculté de préavis prévu à l’article 3, §5, alinéa 3, le bailleur est libéré de son obligation de réaliser le motif du congé dans les conditions prévues au paragraphe 2, l’article 3, §2, du livre III, titre VIII, chapitre II, section II, du Code civil, avant sa modification par la loi du 27 décembre 2006, viole les articles 10, 11 et 23 de la Constitution ».


5. En conclusion

La Cour constitutionnelle a suivi en tous points l’avis rendu par le Conseil des ministres en considérant que l’article 3, § 2, de la loi du 20 février 1991, interprété dans le sens où l’envoi d’un contre-préavis est de nature à délier le bailleur de son obligation de respecter le motif de son renon, est anticonstitutionnel.

Cet arrêt de la Cour constitutionnelle augure, on l’imagine, et à raison selon nous, un revirement de jurisprudence à venir.



Florence Desternes
Avocat au barreau de Bruxelles - Collon, Dirix & Associés (Xirius)



Source : DroitBelge.Net - Actualités - 3 décembre 2009


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