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[EN PRATIQUE] L´évaluation du dommage corporel des jeunes victimes

Par D. Mayerus [Mayerus & Staquet]

Vendredi 26.09.08

I. INTRODUCTION.

Il n’est pas aisé d’évaluer correctement le dommage corporel de victimes encore jeunes.

Pour illustrer notre propos, nous évoquerons le dommage matériel professionnel (économique) et extra-professionnel (principalement ménager).


II. LE DOMMAGE MATERIEL PROFESSIONNEL.


1. Définition

Le dommage matériel se range parmi les préjudices économiques (patrimoniaux).

Il se manifeste par la perte de revenus ou par la nécessité d’accomplir des efforts accrus pour compenser la diminution de la rentabilité professionnelle due à l’incapacité de travail.

Toute atteinte à l’intégrité physique ayant une répercussion sur la capacité de travail d’une victime peut constituer un dommage matériel distinct du dommage moral.


2. Evaluation de ce dommage lorsque la victime est jeune


2.1. Dommage temporaire (avant la consolidation des lésions) dans le chef de la victime


2.1.1. Considérations générales

Lorsque la victime est encore aux études, son dommage matériel peut se manifester par l’accomplissement d’efforts accrus pour reprendre et poursuivre sa scolarité (généralement à partir de la période d’incapacité temporaire partielle) ou pour rattraper le retard accumulé (généralement durant la ou les périodes d’incapacité temporaire totale).

Le dommage matériel peut également consister en une perte d’année(s) scolaire(s).


2.1.2. Indemnisation des efforts accrus

Les efforts sont consentis pendant les heures de cours et/ou durant les périodes de congé.

L’évaluation se fera ex aequo & bono sur la base d’une indemnité journalière qui sera soit accordée par jour calendrier soit durant les seuls jours où les efforts ont été fournis.

D’autre part, la cour d’appel de Bruxelles a estimé à 17,50 € par jour à 100% le dommage matériel résultant des efforts consentis par un enfant en vue de se maintenir à un niveau scolaire acceptable malgré son handicap qui donna finalement lieu à une incapacité permanente partielle de 10% (Bruxelles, 28.03.2001, R.G.A.R. 2002, 13.534).

Une indemnité pour efforts accrus doit également être accordée pour les périodes durant lesquelles le taux d’incapacité temporaire est relativement plus élevé.

La victime a en effet droit à une réparation intégrale de son préjudice.

Cela vise aussi les pourcentages moins élevés.

Ce principe s’applique également aux étudiants (Civ. Mechelen, 17 juin 2003, Dr. circ., 2003/135).


2.1.3. Indemnisation d’une perte d’année d’études

• Remarques préalables

Il arrive que malgré les efforts consentis, un étudiant ne peut éviter de doubler une année d’études, ce qui entraîne un dommage notamment matériel évaluable distinctement.

Ce dommage matériel est de deux ordres.

-d’une part, le coût lié à cette année d’études perdue ;

-d’autre part, la perte d’une année de rémunération résultant du retard à entrer dans la vie professionnelle.

Il est à noter que la perte d’une année d’étude engendre également un dommage moral qui sera évalué forfaitairement (ainsi le tableau indicatif, version mai 2004 – prévoit une indemnité de 3.750,00 €, quel que soit le type d’enseignement).


• Estimation monétaire de la perte d’une année d’études

L’indemnité sera généralement fonction du niveau des études poursuivi par la victime au moment du fait illicite.

Ainsi, le tableau indicatif (version mai 2004) prévoit l’indemnisation forfaitaire suivante :

-école primaire: 375,00 €

-enseignement secondaire – professionnel : 1.000,00 €

-enseignement supérieur en kot: 3.750,00 €

-enseignement supérieur en externe: 2.000,00 €

-enseignement universitaire en kot: 3.500,00 €

-enseignement universitaire en externe: 1.750,00 €

Force est cependant de constater que la jurisprudence a généralement été plus généreuse.

Ainsi par exemple pour la perte d’une année d’études universitaires :

-9.915,74 € pour un étudiant en premier doctorat en médecin

-4.957,87 € pour un étudiant ingénieur agronome


2.1.4. Indemnisation du retard dans la carrière

Généralement, aucune indemnité n’est due à ce titre lorsque la victime était encore aux études primaires, dès lors que la perte d’une année d’études à ce niveau n’entraîne pas ipso facto la perte d’une chance d’obtenir plus tôt des revenus professionnels.

En revanche, lorsque la victime perd une année d’études secondaires et a fortiori d’études supérieures (– études universitaires – cycle de formation ou de spécialisation professionnelle), elle peut établir que la perte d’une année d’études à ce niveau a retardé son entrée dans la vie professionnelle et l’a privée par conséquent d’une année de revenus.

Le juge pourra tenir compte des résultats scolaires antérieurs et postérieurs aux faits litigieux ainsi que de la situation professionnelle entre-temps acquise par la victime au moment où il statue.

Cette perte de rémunération future sera estimée de différentes manières :

-soit le juge octroie une indemnité provisionnelle et attend de disposer de la preuve du revenu de la victime pour statuer définitivement ;

-soit le juge octroie une indemnité forfaitaire.

Ainsi, le tribunal de police de Namur a alloué une somme de 1.363,41 € ex aequo & bono à une victime qui ne démontrait pas à suffisance qu’elle aurait nécessairement trouvé immédiatement l’emploi qu’elle souhaitait ;

-soit le juge octroie le montant de la rémunération perçue durant la première année par la victime. C’est la solution préconisée par le tableau indicatif.
Certains ont considéré qu’il fallait en fait allouer une indemnité correspondant à la dernière année de rémunération dès lors qu’elle est généralement la plus lucrative. Dans ce cas, l’indemnité sera évaluée de manière forfaitaire en tenant compte de l’évolution probable des gains de la victime.

Il est cependant rare que les magistrats accordent l’intégralité de la rémunération de la période prise en compte, préférant allouer une indemnité fixée forfaitairement.


2.2. Dommage temporaire (avant la consolidation des lésions) dans le chef des parents

Certaines décisions de justice octroient une indemnité spécifique aux parents distincte de celle allouée à leur enfant.

Ce dommage est censé couvrir :

-les frais exposés en pure perte pendant l’année perdue (minerval…)

-le préjudice causé par le fait que leur enfant est resté à leur charge un an de plus

Certains magistrats considèrent cependant que ces dommages matériels sont déjà couverts par l’indemnité octroyée pour perte d’année d’étude à la victime.

D’autres s’opposent à toute indemnisation des parents en raison de l’obligation naturelle et légale dans leur chef d’élever et de donner une formation adéquate à leur enfant, ce qui constitue une cause juridique propre rompant ainsi le lien de causalité entre la faute et le dommage.

D’autres enfin considèrent qu’à défaut de dommage matériel, il existe un dommage moral indemnisable dans le chef des parents dont l’enfant a dû doubler une année d’études à cause du fait litigieux.


2.3. Dommage permanent (après la consolidation des lésions)

A partir de la consolidation des lésions, la situation est censée stabilisée d’un point de vue médical si bien que l’on peut parler non plus de dommage temporaire mais bien de dommage permanent.

L’évaluation du dommage permanent futur peut être obtenue en recourant à la méthode actuarielle de la capitalisation.

Or, ce mode de calcul fait référence à la valeur économique de la victime.

Celle-ci peut être calculée soit sur base du revenu de la victime, soit de façon forfaitaire.

Qu’en est-il si la victime n’a pas encore travaillé au moment de l’évaluation de son dommage permanent futur ?

Si son cursus scolaire est suffisamment avancé pour avoir une idée précise des activités professionnelles qu’elle sera susceptible d’exercer ultérieurement, on peut s’inspirer de la valeur économique moyenne dans le ou les secteurs professionnels concernés.

Cela reste néanmoins une approche approximative qui amène bon nombre de juges du fond à préférer dans ce cas une évaluation forfaitaire qui s’avère cependant (nettement) moins avantageuse pour la victime que la méthode de la capitalisation.

Si le dommage matériel peut être évalué en recourant à la méthode de la capitalisation (par exemple si le taux d’I.P.P. est supérieur à 15%), le mieux est de réserver à statuer en attendant précisément que la victime exerce une activité professionnelle qui permette de mieux cerner sa valeur économique en se référant à sa rémunération.

Il a ainsi été jugé « qu'il ne peut être fait grief à H.H. ... qui estimait que le préjudice matériel important qu'il subissait du fait de la perte de son incapacité de travail de 25 % devait être réparé sur la base d'une capitalisation, d'avoir attendu, pour chiffrer au plus juste son préjudice, de bénéficier de revenus représentatifs de ses activités professionnelles ; que l'on ne peut en effet perdre de vue que H.H. ... a été victime d'un accident alors qu'il était encore aux études et devra supporter pendant la totalité de sa vie professionnelle la perte du quart de sa capacité de travail ; qu'il pouvait légitimement espérer, dans ces conditions, que la réparation de son préjudice serait évaluée sur la base d'un calcul de capitalisation ... » (Bruxelles, 3.06.1998, R.G.A.R. 2000, 13.208).


III. LE DOMMAGE MATERIEL EXTRA-PROFESSIONNEL (principalement ménager).


1. Définition

Le dommage matériel extra-professionnel se range parmi les préjudices économiques (patrimoniaux).

De ce fait, il ne peut s’envisager que si l’atteinte à l’intégrité physique a une répercussion sur la capacité de travail de la victime.

Ce dommage spécifique concerne en fait tous les actes de la vie quotidienne qui ne s’inscrivent pas dans la sphère professionnelle de la victime, à savoir le bricolage, la culture d’un jardin potager, l’aide dans le ménage…

Cette dernière composante qualifiée de « dommage ménager » est la plus importante.


2. Evaluation de ce dommage lorsque la victime est jeune


2.1. Dommage temporaire (avant la consolidation des lésions)

Un dommage extra-professionnel existe en fonction de l’âge de la victime et de son milieu social, de l’importance de la fratrie, etc.

Ainsi, on peut concevoir qu’une jeune fille dans une famille nombreuse contribuera aux tâches ménagères voire même éducatives vers 15-16 ans surtout si les deux parents travaillent à plein temps.

L’indemnité de base sera néanmoins réduite (par exemple à 2 euros par jour à 100%).


2.2. Dommage permanent (après consolidation des lésions)

Le dommage extra-professionnel – principalement ménager – est évalué après la consolidation des lésions soit de manière forfaitaire, soit en recourant à la méthode de la capitalisation.

L’importance de ce préjudice sera fonction de la composition du ménage de la victime.

Or il va sans dire qu’une jeune victime n’a pas encore eu l’occasion de fonder un foyer et d’avoir des enfants.

Du reste, il est possible qu’elle reste célibataire.

Ces éléments étant comme il est dit ci-avant essentiels pour calculer l’importance de ce préjudice, il serait dans bon nombre de cas préférable de réserver à statuer en attendant de connaître « le parcours » de la victime quitte à lui allouer une provision à valoir sur son dommage.




Dominique MAYERUS
Avocat au barreau de Bruxelles - Cabinet Mayerus & Staquet






Source : DroitBelge.Net - Actualités


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