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Projet de modernisation du droit des sociétés luxembourgeois

Par N. Thieltgen & M. Bena

Lundi 10.12.07

En date du 8 juin 2007, le Gouvernement luxembourgeois a déposé un projet de loi portant modernisation de la loi modifiée du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales (le « Projet »).

L’objectif essentiel du Projet est d’achever une entreprise de modernisation du droit luxembourgeois des sociétés initiée par la loi du 25 août 2006 concernant la société européenne (SE), la société anonyme à directoire et conseil de surveillance et la société anonyme unipersonnelle et par les lois du 23 mars 2007 réformant la matière des fusions et scissions de sociétés.

Le Projet s’inscrit dans l’axe des deux principes directeurs ayant animé les travaux des Professeurs A. NYSSENS et de J. CORBIAU, lesquels avaient en leurs temps abouti à la rédaction et de l’adoption de la loi du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales, à savoir la liberté contractuelle pour les associés et la sécurité pour les tiers, tout en s’inspirant des innovations législatives récentes des pays voisins et notamment de la France et de la Belgique, ainsi que de la pratique du droit des sociétés sur la place financière de Luxembourg, pratique qui est de plus en plus inspirée par certains mécanismes de droit anglo-saxon.

Le Projet est volumineux et prévoit de nombreuses innovations pour tous les types de sociétés actuellement connues en droit luxembourgeois, même si une attention particulière a été apportée au régime des sociétés anonymes et des sociétés à responsabilité limitée.

Le présent article apporte un bref aperçu sur certaines nouveautés qui retiendront plus particulièrement l’attention des praticiens. Un texte complet présentant l’ensemble de la proposition de réforme est disponible sur demande auprès des auteurs à l’adresse e-mail suivante : nicolas.thieltgen@brucherlaw.lu .


1. Constitution et nullité des sociétés

1.1. La modification du régime des clauses léonines

Le Projet prévoit l’insertion d’un nouvel alinéa 3 à l’article 1855 du Code Civil qui prohibe l’usage des clauses léonines entre associés.

Ce nouvel alinéa 3 codifie les enseignements issus des jurisprudences française et belge récentes et permettra notamment que l’élaboration des montages destinés à assurer la cession de droits sociaux puisse se faire dans la sécurité juridique, notamment les conventions de portage, qui posent a priori problème au regard du régime actuel de prohibition des clauses léonines.


1.2. La Société par actions simplifiée (la « S.A.S »)

Le Projet propose d’introduire en droit luxembourgeois une société par actions simplifiée sur le modèle du droit français, s’agissant d’un type de société caractérisé par une grande liberté contractuelle et ayant, depuis son introduction en France en 1994, rencontré un succès certain dans la pratique.

Pour peu que les dispositions de la Loi du 10 août 1915 applicables aux sociétés anonymes soient compatibles avec le régime de la S.A.S., lesdites dispositions relatives aux S.A. trouveront à s’appliquer aux S.A.S., à l’exception des dispositions applicables aux conseil d’administration, directoire et conseil de surveillance d’une S.A., des dispositions relatives à la tenue et au fonctionnement des conseil d’administration, conseil de surveillance, directoire et assemblée générale (à l’exception, dans ce dernier cas, des règles relatives à la réduction de capital d’une S.A., qui sont applicables aux S.A.S.).

Les principales caractéristiques de la S.A.S. luxembourgeoises seront :

• la dévolution à un président des compétences généralement attribuées au conseil d’administration dans le cadre de la S.A. ;

• une grande liberté laissée aux statuts quant à la détermination des décisions devant être prises collectivement par les associés de la S.A.S. ainsi que quant aux formes et conditions de telles décisions;

• un régime clair et assez souple en ce qui concerne les clauses relatives aux cessions d’actions (possibilité de prévoir des clauses d’inaliénabilité des actions pour une durée maximum de dix ans, possibilité de prévoir des clauses d’agrément et de préemption, possibilité d’insérer une clause prévoyant qu’un associé peut être obligé, dans certaines conditions, de céder ses actions, procédure spéciale de fixation du prix de cession des actions dans les hypothèses prévues ci-avant, nullité des cessions effectuées en violation des statuts) ;


2. Fonctionnement des sociétés

2.1. L’action sociale minoritaire

Le Projet prévoit l’introduction de l’action sociale minoritaire en droit luxembourgeois.

Le nouvel article 63bis, alinéa 1er de la Loi du 10 août 1915 retient ainsi qu’« Une action peut être intentée contre les administrateurs ou membres du directoire ou du conseil de surveillance, selon le cas, pour le compte de la société par des actionnaires minoritaires ou titulaires de parts bénéficiaires. Cette action minoritaire est intentée par un ou plusieurs actionnaires ou titulaires de parts bénéficiaires possédant, à l’assemblée générale qui s’est prononcée sur la décharge, des titres ayant le droit de voter à cette assemblée représentant au moins 1% des voix attachées à l’ensemble de ces titres ».

Il faut noter que le Projet prend en compte la situation des actions sans droit de vote puisqu’il prévoit au deuxième alinéa du nouvel article 63bis de la Loi du 10 août 1915 que « Pour les détenteurs d’actions sans droit de vote, l’action ne peut être intentée que dans les cas où ils disposent d’un droit de vote conformément aux articles 44, paragraphe (2), et 46 et pour les actes afférents aux décisions prises en exécution de ces articles ».


2.2. La gestion de la s.àr.l.

Le Projet prévoit la possibilité d’instaurer un collège de gestion et autorise l’établissement d’une délégation de la gestion journalière.

2.2.1. Le collège de gestion

Le Projet énonce la faculté pour les statuts de prévoir qu’en cas de pluralité de gérants, ceux-ci puissent former un collège.

2.2.2. La délégation de gestion journalière

Le nouvel article 191 (4) de la Loi du 10 août 1915 consacre la possibilité pour la s.àr.l. d’organiser une délégation de la gestion journalière.

Le paragraphe (5) du nouvel article 191 prévoit, quant à lui, que les statuts peuvent autoriser la gérance à déléguer ses pouvoirs de gestion à un comité de direction.

Ainsi, par la consécration légale du comité de direction, il s’agira d’offrir aux s.àr.l. un système par lequel elles peuvent scinder (et non pas superposer), d’une part, l’exercice des pouvoirs de gestion en les confiant à un comité de direction et, d’autre part, la surveillance et le contrôle de cet exercice en le confiant à la gérance.


3. Financement et capitaux des sociétés

Le Projet prévoit, dans une section contenant des dispositions générales de la Loi du 10 août 1915, un nouvel article 11ter permettant aux sociétés dotées de la personnalité juridique d’être investie de la faculté de recourir à l’emprunt obligataire simple (c'est-à-dire non convertible ou assorti de droit de souscription) par la voie d’une émission privée ou publique d’obligations nominatives ou au porteur.

A la lecture cet article 11ter, on peut constater que seules les sociétés anonymes et européennes ont la possibilité d’effectuer une émission d’obligations convertibles.

Le but recherché est en effet d’éviter que des sociétés conçues comme étant des sociétés fermées (ex. : la S.A.S.) puissent recourir à l’émission d’obligations convertibles ou assorties d’un droit de souscription.

Par ailleurs, on peut noter que le projet de loi, en prenant en compte les particularités et les besoins de la place financière luxembourgeoise, étend aux sociétés à responsabilité limitée la faculté de recourir à une émission d’obligations convertibles.

Toutefois, le Projet entend également tenir compte du caractère fermé de la s.àr.l.. En effet, cette dernière étant à la fois une société de capitaux et une société de personnes où tout nouvel associé doit en principe être agréé selon les conditions et majorités prescrites par l’article 189 de la loi 15 août 1915, le Projet ne permet pas qu’un obligataire puisse devenir associé d’une s.àr.l. du seul fait de la conversion de ses obligations. Le Projet requiert que les conditions de majorités énoncées par l’article 189 précité soient satisfaites également en ce qui le concerne. Il devra donc être agréé. Il prévoit ainsi que dans la mesure où l’exercice de la faculté de conversion et le moment de cet exercice sont l’apanage du titulaire des obligations, l’agrément le concernant devra intervenir au moment de l’émission de l’emprunt obligataire. Par ailleurs, le Projet exige également qu’un tel agrément intervienne en cas de cession.


4. Restructuration des sociétés : les nouveautés

Le Projet introduit un régime complet pour la transformation de la société. La finalité poursuivie par le Projet sur ce point est de permettre à toute entité dotée de la personnalité juridique de se transformer en une autre entité dotée de la personnalité juridique.


5. Liquidation – dissolution : les nouveautés

5.1. Liquidation

Le Projet propose de réformer le régime de la liquidation. L’objectif poursuivi par le législateur est de prévoir un ensemble de règles communes pour les sociétés commerciales et les sociétés civiles.

5.2. Dissolution

5.2.1. Retrait et exclusion d’un associé

En ce qui concerne les modifications apportées quant à la dissolution, il convient de relever que le Projet consacre la possibilité pour un associé dans une s.àr.l. d’être exclu ou de se retirer sur la base de la démonstration d’un juste motif afin d’éviter la dissolution.

5.2.2. Dissolution sans liquidation à l’occasion de la réunion des parts sociales entre les mains d’un seul associé

Le Projet introduit également une règle générale applicable à toutes les sociétés portant dissolution sans liquidation à l’occasion de la réunion des parts sociales entre les mains d’un seul associé calquée sur l’article 1844-5, al. 3, du Code civil français (nouvel article 1865bis du Code Civil luxembourgeois).

Prenant acte de pratiques notariales consistant à dissoudre sans ou avec (durant un instant de raison) liquidation des sociétés dont tous les actifs et passifs sont repris par une personne physique ou morale devenue associé unique, le Projet édicte une réglementation régissant la “dissolution-confusion“ s’inspirant de l’article 1844-5 du Code civil français, réglementation qui serait applicable à toutes les sociétés, de manière à assurer la protection des créanciers de la société dissoute selon un mécanisme comparable à celui qui est mis en œuvre dans le cadre des opérations de fusion-scission et de réduction du capital.


6. Disposition transitoires


Le Projet prévoit que les sociétés antérieurement constituées à son adoption devront mettre leurs statuts en harmonie avec ses dispositions dans un délai de 24 mois à compter de son entrée en vigueur. Dans l’intervalle, ces sociétés demeureront régies par les dispositions législatives et réglementaires antérieures.


7. Conclusion : la codification

En guise de conclusion, il y a lieu de relever que le Projet contient une disposition habilitant le Grand-Duc à procéder par voie de règlement grand-ducal à une codification des dispositions du Titre IX-“Des sociétés“, du Code civil et des dispositions de la Loi du 10 août 1915 en un Code des sociétés.

Afin de rendre le texte plus harmonieux et plus compréhensible, le Projet prévoit que le Grand-Duc soit habilité à regrouper dans un Code des sociétés les dispositions du Code civil relatives aux sociétés et celles de la Loi du 10 août 1915.





Me Nicolas THIELTGEN
Me Marie BENA
Avocats à la Cour (Barreau de Luxembourg)
Brucher & Associés - www.brucherlaw.lu



N.B. : Un texte complet présentant l’ensemble de la proposition de réforme est disponible sur demande auprès des auteurs à l’adresse e-mail suivante : nicolas.thieltgen@brucherlaw.lu .








Source : DroitBelge.Net - Actualités - 12 décembre 2007


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