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Le no fault en droit médical enfin une réalité ?

Par Pascal Staquet

Lundi 10.09.07

Le 6 juillet 2007 paraissait au Moniteur Belge la loi du 15 mai 2007 relative à l’indemnisation des dommages résultant de soins de santé.

Une nouvelle réparation d’un dommage sans qu’aucune responsabilité ne doive être établie est née.

Une prise en charge des dommages en lien avec un « aléa médical » est ainsi organisée par le législateur.

Pour obtenir réparation de leur dommage, les victimes d’une faute médicale ne devront donc plus établir la reconnaissance d’une responsabilité civile ou pénale du ou des prestataires de soins ayant commis une faute professionnelle.

Si cette loi était attendue, va-t-elle rencontrer les espoirs des patients ?

Une étude exhaustive de cette loi nécessiterait de trop longs développements. C’est pourquoi il ne sera question ici que de donner un aperçu global des dispositions législatives et non d’en faire une analyse critique.


I. Qui est concerné par cette loi ?

Le législateur commence par définir l’objectif de la loi et les acteurs à qui elle s’adresse.

L’objectif de la loi est de réparer, dans certaines conditions, les dommages subis par les patients et leurs ayants-droit, causés en Belgique par un prestataire de soins.

Le prestataire de soins est défini par le législateur comme étant un praticien visé à l’Arrêté Royal n° 78 du 10 novembre 1967 relative à l’exercice des professions des soins de santé.

Sont ainsi concernés les médecins, les infirmiers, les pharmaciens, les dentistes, les kinésithérapeutes, les sage-femmes ainsi que les professions para-médicales au sens large telles que logopèdes, technologues de laboratoire médical, diététicien, ergothérapeute, …

Par prestation de soins de santé, le législateur entend tous les services dispensés par un prestataire de soins dans le cadre de l’exercice de sa profession en vue :

- de promouvoir, de déterminer, de conserver, de restaurer ou d’améliorer l’état de santé ou l’esthétique du patient ;

- d’un don par le patient de matériel corporel humain ;

- de procéder à la contraception ou à une interruption volontaire de grossesse ;

- de procéder à des accouchements ;

- d’accompagner le patient en fin de vie.

Enfin, le patient est défini comme la personne physique à qui des soins de santé sont dispensés, à sa demande ou non.

Le législateur définit encore l’ensemble des acteurs impliqués par la présente loi et détaille de manière précise notamment ce qu’il y a lieu d’entendre par ayant-droit d’un patient décédé.

Ayant précisé le but poursuivi par la nouvelle loi, le législateur a entendu exclure explicitement de son champ d’application certains dommages et notamment ceux résultant d’une expérimentation sur la personne humaine et ceux causés uniquement par un tiers autre que le prestataire.

Cependant, si un tiers commet un acte qui cause un dommage et qu’ensuite ce dommage est aggravé par un prestataire de soins, ou inversément, seule la partie relative au dommage causé par le prestataire de soins sera couverte par la présente loi, sauf s’il n’est pas possible d’établir cette distinction. Dans ce dernier cas, la présente loi s’appliquera pour le tout.


II. Quels sont les dommages indemnisés ?

Sont indemnisés les dommages résultant :

1. d’une prestation de soins de santé ;

2. de l’absence d’une prestation de soins de santé que le patient pourrait légitimement attendre compte tenu de l’état de la science ;

3. d’une infection contractée à l’occasion d’une prestation de soins de santé.

Ne sont pas indemnisés, les dommages qui résultent :

1. de l’état initial du patient et/ou de l’évolution prévisible de cet état, compte tenu de l’état du patient et des données de la science au moment de la prestation de soins de santé ;

2. de la faute intentionnelle du patient ou du refus du patient ou de son représentant de recevoir les soins proposés après avoir été dûment informé ;

3. des risques ou des effets secondaires normaux et prévisibles liés à la prestation de soins de santé compte tenu de l’état initial du patient et des données de la science au moment de la prestation de soins de santé.

N’ayant pas défini ce qu’il y a lieu d’entendre par risques ou effets secondaires normaux et prévisibles, la question risque de poser quelques difficultés qui devront sans doute être solutionnées par les tribunaux.

Le législateur a encore estimé devoir préciser que nul ne pouvait se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance.

Une personne née avec un handicap provoqué par une prestation de soins de santé pourra cependant obtenir la réparation de son préjudice.

Enfin, lorsque les parents d’un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d’une faute lourde ou intentionnelle d’un prestataire subissent un préjudice au sens de la présente loi, ces parents pourront demander une réparation de leur seul dommage. Ce dommage ne saurait inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie, de ce handicap.


III. A quels montants s’élèveront les indemnités ?

Les règles en matière d’indemnisation ne sont pas encore déterminées et devront l’être par arrêté royal.

Le préjudice réparé comprend tant les dommages économiques que non économiques.

Le Roi pourra fixer, dans certaines limites, une franchise ainsi qu’un montant maximum et ce, tant pour le préjudice économique que pour le dommage moral. Aucune franchise ni plafond ne pourront cependant être fixés pour l’indemnisation des prestations de soins nécessités par le dommage.

La réparation du préjudice telle que fixée par la loi est réputée indemniser intégralement les dommages subis par le patient ou les ayants droit de ce dernier.

La réparation intégrale est cependant limitée à la partie du dommage qui n’est pas réparée en vertu d’une autre réglementation.


IV. Que devient la responsabilité civile du prestataire de soins ?

Aucune action en justice ne pourra plus être intentée contre un prestataire de soins sauf en cas de faute intentionnelle ou lourde de ce dernier.

Les cas de fautes lourdes sont limitativement énumérés par la loi et concernent le dommage consécutif à un état d’intoxication alcoolique ou sous l’influence de stupéfiants, au refus d’assistance à une personne en danger ou enfin, à l’exercice d’activités interdites en application des dispositions de l’Arrêté Royal n° 78 relatif à l’exercice des professions de soins de santé.

La constitution de partie civile dans le cadre d’une action pénale initiée à l’encontre des prestataires de soins ne sera recevable que pour autant que celle-ci tend à une condamnation d’un dédommagement moral limité à 1 euro symbolique.


V. Souscription d’une assurance obligatoire

En vue de la réparation des dommages pris en compte dans le cadre de la loi, le prestataire de soins est tenu de souscrire une assurance.

Le contrat d’assurances doit couvrir toutes les prestations des personnes travaillant au sein de l’institution de soins, qu’ils y exercent une activité à titre principal ou accessoire, et toutes les prestations effectuées sous la responsabilité du praticien.

L’assureur doit répondre des dommages causés par le fait ou la faute, même lourde, du prestataire de soins ou du patient.

Il est prévu que chaque entreprise d’assurances doive transmettre au Fonds une liste des praticiens et des institutions de soins qui ont conclu un ou plusieurs contrat d’assurances avec elle en application de la présente et avertir le Fonds des modifications de cette liste au moins une fois par mois.

En outre, chaque année, les entreprises d’assurances transmettront au Fonds un rapport de gestion mentionnant les montants des primes d’assurance, les montants d’indemnisation, les accords conclus avec mention desdits montants et, enfin, les litiges portés devant les tribunaux en précisant les montants visés.


VI. Création d’un « Fonds des accidents soins de santé »


Le législateur crée un « Fonds des accidents soins de santé » placé sous l’autorité directe du Ministère de la Santé.

Le Fonds a notamment pour mission de :

- recevoir les demandes de réparation,

- solliciter les documents et informations manquants,

- accuser réception des demandes de réparation complètes et les transmettre à l’entreprise d’assurances concernée,

- marquer son accord avec le projet de décision de réparation que l’entreprise d’assurances lui aura soumis et, en cas de désaccord, formuler un contre-projet et le notifier à l’entreprise d’assurances concernée.

Il aura également dans sa mission de procéder au paiement de la réparation et de vérifier les délais de prises de décisions et de notifications de décisions par les entreprises d’assurances et de prononcer, le cas échéant, à l’encontre de celles-ci, une amende administrative par jour de retard.


VII. Procédure


1. Introduction de la demande

La demande de réparation doit être adressée au Fonds par lettre recommandée à la poste dans les 5 ans à partir du jour où la victime ou ses ayants-droit ont eu connaissance ou auraient dû raisonnablement avoir connaissance du dommage.

A peine de déchéance, la demande de réparation doit être adressée dans un délai maximum de 20 ans à compter du jour qui suit celui où s’est produit le fait qui a causé le dommage.

Les éléments à fournir à l’appui de la demande de réparation devront encore être déterminés par Arrêté Royal tout comme la somme forfaitaire dont devra s’acquitter le demandeur pour introduire son dossier.

Dans les 15 jours de la demande de réparation complète, le Fonds en accuse réception par courrier recommandé à la poste.

Si le Fonds estime la demande incomplète, il en informe dans les 15 jours par pli recommandé à la poste le demandeur qui dispose alors d’un délai de 30 jours pour compléter sa demande.


2. Traitement de la demande

Après avoir accusé réception de la demande de réparation, le Fonds la transmet, dans un délai de 15 jours, à l’entreprise d’assurances concernée.

Le législateur précise alors les délais devant être pris tant par le Fonds que par l’assureur interpellé pour que soit traitée la demande.

Enfin, l’entreprise d’assurances notifie une proposition motivée de décision au demandeur qui peut faire part de ses observations.

L’assureur notifie alors un projet motivé de décision de réparation au Fonds pour accord.

Soit le Fonds marque son accord, soit il fait une contre-proposition de décision motivée.

Si l’entreprise d’assurances se rallie au contre-projet de décision motivée, la décision née de cet accord est alors notifiée au demandeur.


3. Délais de traitement et décision

Dans un délai de 210 jours (hors périodes de suspension) suivant l’accusé de réception de la demande complète de réparation, l’entreprise d’assurances notifie par courrier recommandé à la poste au demandeur soit la décision de motiver une réparation soit les raisons motivant son refus d’indemniser le préjudice, soit la décision provisionnelle.

En cas de retard, l’entreprise d’assurances verse au Fonds une somme de 25,00 € par jour de retard.


4. En cas de désaccord entre le Fonds et l’entreprise d’assurances

Si l’entreprise d’assurances ne se rallie pas au contre-projet formulé par le Fonds, elle notifie une décision provisionnelle au demandeur et en adresse une copie au Fonds qui saisit un arbitre conformément à la loi du 15 mai 2007 concernant le règlement des différends dans le cadre de la loi du 15 mai 2007 relative à l’indemnisation des dommages résultant de soins de santé.

Conformément à cette autre loi du 15 mai 2007, le Fonds et l’entreprise d’assurances désignent chacun un arbitre qui en désignent un troisième de commun accord, ceux-ci formant un collège.

Ce collège a pour mission de concilier les points de vue et, le cas échéant, de formuler une décision qui sera réputée commune entre le Fonds et l’entreprise d’assurances.

Il dispose pour ce faire d’un délai de 80 jours et peut faire organiser une contre-expertise dont le coût est supporté pour moitié par l’entreprise d’assurances concernée et pour moitié par le Fonds.

Le collège entend le demandeur ou son représentant avant de prendre sa décision.

La décision du collège est réputée former la volonté commune du Fonds et de l’entreprise d’assurances.

L’entreprise d’assurances notifie cette décision au demandeur.

Il est à noter que tant le Fonds que l’entreprise d’assurances qui conteste la décision du collège d’arbitres peuvent introduire une requête contre cette décision dans le mois qui suit sa notification devant le tribunal du travail.


5. En cas de désaccord du demandeur

Que la décision soit prise par l’entreprise d’assurances ou le collège des arbitres, le demandeur dispose d’un recours de cette décision devant le tribunal du travail.


Le recours doit être introduit par requête déposée au greffe du tribunal du travail du domicile du demandeur dans les 90 jours suivants la date de réception de ladite décision.


6. Modalités de paiement des indemnités

Le montant des réparations est réparti entre le Fonds et l’entreprise d’assurances concernée selon des modalités qui devront encore être prises par le Roi.

L’entreprise d’assurances concernée verse au Fonds le montant dû par elle au demandeur, à charge pour le Fonds de liquider ensuite la totalité du montant.


7. Création d’un Fonds commun de Garantie.

Si un prestataire de soins devait s’avérer ne pas être assuré, le législateur a prévu de créer un Fonds commun de Garantie qui aura pour mission de réparer les dommages causés par celui-ci en application des dispositions de la présente loi.

Précisons que le Fonds commun de garantie pourra récupérer avec effet rétroactif les primes dues et non payées auprès de chaque prestataire de soins qui a provoqué un dommage au sens de la présente loi sans avoir souscrit d’assurance obligatoire prévue.

Notons encore que le législateur a prévu une sanction pénale à l’absence de couverture d’assurances telle que prévue par la présente loi. Ainsi, cette infraction est sanctionnée d’un emprisonnement de 8 jours à un an et d’une amende de 25 à 250,00 € ou d’une de ces peines seule.

Cette sanction concerne tant les praticiens professionnels que les institutions de soins.


VIII. Subrogation

Tant le Fonds des accidents soins de santé, le Fonds commun de garantie que les entreprises d’assurances concernées peuvent exercer un recours contre le responsable du dommage en cas de faute intentionnelle ou de faute lourde commise par le prestataire de soins.

De plus, pour autant que le dommage soit dû au défaut d’un produit et à concurrence de ce qu’ils ont payé, les organismes assureurs, le Fonds, le Fonds commun de Garantie ou l’entreprise d’assurance sont subrogés dans les droits dont dispose la victime sur base de la présente loi.


IX. Financement des indemnités qui seront versées

Le législateur a prévu que le financement des indemnités allouées en application de la présente loi est assuré par le Fonds d’une part et par les primes payées par les prestataires de soins aux entreprises d’assurances en application de la présente loi d’autre part.

Le plafond annuel des contributions payées par les entreprises d’assurances sera fixé par le Roi par arrêté royal délibéré en Conseil des Ministres.


X. Entrée en vigueur de la loi

La présente loi entre en vigueur le 1er janvier 2008.

Toutefois, il faudra attendre les arrêtés d’exécution pour que cette loi trouve réellement à s’appliquer.

Précision non négligeable, la loi ne s’applique cependant pas aux dommages résultants d’un fait antérieur à son entrée en vigueur.




Pascal Staquet
Avocat au barreau de Bruxelles
p.staquet@avocat.be





Source : DroitBelge.Net - Actualités


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