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Dutroux a-t-il un droit à l'image ?

Par Par Marc Isgour

Jeudi 22.04.04


Au début de son procès, le 1er mars 2004, Marc Dutroux s’était opposé à ce que son image soit reproduite et diffusée par les journalistes qui assistaient à ce procès à la Cour d’Assises d’Arlon.

Malgré cette interdiction, relayée par le Président de la Cour (1), le quotidien flamand « Het Laatste Nieuws » publiait, dès le mercredi 3 mars 2004, deux photographies « non masquées (2) » de M. Dutroux. Quelques jours plus tard, c’était à l’hebdomadaire « La Libre Match » de publier non seulement des photographies de M. Dutroux prises durant le procès (alors qu’il se trouvait dans le box des accusés), mais également des photographies de M. Dutroux et de sa cellule, prises alors qu’il était incarcéré à la prison d’Arlon.

On s’est alors interrogé sur le fait de savoir si M. Dutroux avait le droit de s’opposer ainsi à la reproduction et à la diffusion de son image et/ou d’éléments de sa vie privée.


1. Le principe de l'autorisation préalable

Le principe veut que le droit d’autoriser ou de refuser la fixation, l’exposition ou la reproduction de l’image d’une personne appartienne exclusivement à cette personne (3). En effet, même si, dans certains cas, il est admis que le droit à l’image puisse se monnayer (par exemple pour les mannequins ou les vedettes), il s’agit d’un droit de la personnalité (4) et donc lié intimement à la personne. L’article 10 de la Loi du 30 juin 1994 relative au droit d’auteur et aux droits voisins précise quant à lui que « ni l’auteur, ni le propriétaire d’un portrait, ni tout autre possesseur ou détenteur d’un portrait n’a le droit de le reproduire ou de le communiquer au public sans l’assentiment de la personne représentée ou celui de ses ayants droit pendant vingt ans à partir de son décès »(5).

La reproduction de l’image d’une personne sans l’autorisation de celle-ci pourrait donc constituer un quasi-délit qui serait susceptible de donner lieu à réparation.


2. Exceptions au principe ... ou présomptions d'autorisation

Cependant, pour certains, il existe des exceptions à ce principe (et donc au droit à l’image). En réalité, il ne s’agit pas réellement d’exception mais plutôt de circonstances d’espèces dans lesquels l’autorisation de la personne représentée pourra être présumée. Cette autorisation (qui est contractuelle) pourra, par exemple, être déduite du comportement de la personne représentée ou même, tout simplement, de sa position sociale, professionnelle ou encore de circonstances liées à l’actualité. Ainsi, cette présomption pourra jouer pour les personnes publiques (dans le cadre de leur activité publique), pour les particuliers accédant momentanément à l’actualité (par ex. la victime d’un accident, l’accusé lors d’un procès, etc.), pour les personnes se trouvant dans un lieu public, pour les personnes incidemment présentes dans un groupe, etc.

Cette présomption d’autorisation (de la reproduction et de la diffusion de l’image d’une personne) est cependant réfragable, c’est-à-dire qu’elle peut être renversée à tout moment par la personne représentée.


3. Le droit à l'image face à d'autres valeurs fondamentales

Un membre de la famille royale, un ministre ou une personnalité (politique ou autre) pourrait-il ainsi s’opposer à la reproduction ou à la diffusion d’images qui concerneraient son activité publique ?

Il faut sans doute répondre par la négative.

En effet, si la présomption d’autorisation est bien réfragable, il existe cependant des cas, comme dans les dispositions relatives à la protection de la vie privée (6), qui permettent, lorsqu’ils sont prévus par la loi, de « porter atteinte » au droit à l’image ou d’en réduire la portée. Il s’agit principalement de circonstances liées à l’exercice du droit à l’information (liberté de la presse) et du droit pour le public d’être informé des questions d’intérêt public (7) (droits garantis par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme et les articles 19 et 25 de la Constitution) (8) . D’autres valeurs telles que la sécurité nationale, la sûreté publique, la défense de l’ordre et la prévention du crime peuvent également engendrer des restrictions au droit à l’image (on ne pourrait imaginer s’opposer à la représentation de son image sur sa carte d’identité).


4. Et pour M. Dutroux ?

En l’espèce, si M. Dutroux avait sans aucun doute la possibilité théorique de s’opposer à la diffusion de son image dans le cadre de son procès, les principes de liberté d’expression et son corollaire la liberté de la presse, ainsi que le droit pour le public d’être informé devaient sans doute prévaloir sur le droit à l’image de ce dernier.

Cette prévalence d’un droit sur l’autre pouvait également se justifier par l’ampleur donnée depuis près de 10 ans tant par « le politique » que par la presse à « l’affaire Dutroux », par le principe de la publicité des débats d’un procès d’assises et par l’absence totale de préjudice pour M. Dutroux dans la mesure où ce dernier avait accepté, par le passé, que son image soit reproduite dans la presse.


5. Conclusion

Il ne faut par contre pas conclure de ce qui précède que, lorsqu’il existe un conflit entre la liberté de la presse par exemple et un droit de la personnalité, il faut trancher systématiquement dans le sens de la première.

En effet, il appartient d’abord au journaliste puis, le cas échéant, au juge en cas de litige, de rechercher un équilibre entre la protection de cette liberté fondamentale, d’une part, et le respect du droit subjectif à la vie privée, à la réputation d’autrui ou au droit à l’image, d’autre part. A cette fin, il y a lieu d’identifier celui des droits qui mérite le plus d’être protégé en raison des circonstances de l’espèce (9). Ainsi, il semble qu’une victime de M. Dutroux pourrait sans doute s’opposer à la reproduction de son image (et renverser ainsi la présomption d’autorisation) en invoquant son droit au respect de sa vie privée face au droit du public d’être informé ou à la liberté de la presse. L’attitude de cette victime et les circonstances d’espèce seront cependant déterminantes pour faire cette balance des intérêts.

On peut à cet égard se demander, si la publication des photographies de la cellule de M. Dutroux prises alors qu’il était incarcéré à la prison d’Arlon, ne porte pas elle atteinte à sa vie privée ? Dans un cas pareil, le droit à l’information devait-il primer ?




Marc Isgour
Avocat et assistant à l’ULB
mi@willemart.be



Notes:

(1) Le Président de la Cour exerçant la police de ses audiences, pouvait parfaitement s’opposer à la prise de photographies de M. Dutroux durant celles-ci. Il ne lui appartenait cependant pas de se prononcer sur la possibilité « légale » ou non de publier des photographies de M. Dutroux.

(2) La doctrine et la jurisprudence considèrent en général que pour qu’une personne puisse invoquer son droit à l’image il faut que celle-ci soit reconnaissable (Marc ISGOUR et Bernard VINÇOTTE, « Le droit à l’Image », Larcier, Bruxelles, 1998, p.72 ss.).

(3) Op. cit., p.49.

(4) La plupart des droits de la personnalité (droit à la vie, droit à l’intégrité physique, droit au nom, etc.) sont indisponibles, incessibles et intransmissibles.

(5) Cette règle qui « n’a rien à voir avec le droit d’auteur… a cependant été conservée à titre provisoire dans la loi sur le droit d’auteur, en attendant que le législateur règle dans le Code civil la question des droits de la personnalité (droit à l’image et à la vie privée) » (A. et B. STROWEL, « La nouvelle législation belge sur le droit d’auteur », J.T., 1995, p.131).

(6) Voyez l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

(7) Voyez notamment l’Arrêt De Haes et Gijsels du 29 février 1997 de la Cour européenne des droits de l’homme (Journal des Procès, n°323, 21 mars 1997, p. 27 ss.).

(8) Cette « impossibilité » pour une personnalité de s’opposer à la reproduction et à la diffusion de son image dans le cadre de son activité publique ne pourra cependant être invoquée que lorsque la finalité de la diffusion de l’image est l’information. Ainsi, la personnalité dont l’image serait par exemple utilisée à des fins publicitaires pourra bien évidemment s’opposer à cette utilisation.

(9) J. MILQUET, « La responsabilité aquilienne de la presse », Ann. Dr. Louvain, 1989, p.43 et 70 ; J. VELU et R. ERGEC, R.P.D.B., compl., t.VII, 1980, v° Convention européenne des droits de l’homme.




Source : DroitBelge.Net - 22 avril 2004


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