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Vendre les actions de sa société opérationnelle à une société holding : bonne ou mauvaise idée ?

Par Mikaël Gossiaux [Hirsch & Vanhaelst]

Jeudi 08.02.24

Imaginez la situation d’une personne physique, actionnaire d’une société opérationnelle fructueuse, qui a accumulé des réserves importantes. Pour sortir ces bénéfices accumulés, une distribution de dividendes est envisageable avec, à la clef, une imposition de 30%.

Il y a plus de trente ans, une alternative a toutefois été imaginée : vendre les actions de cette société à une autre société, que l’actionnaire contrôle par ailleurs. Il réalise alors une plus-value sur actions qui, en Belgique, est exonérée si elle relève de la gestion normale du patrimoine privé.

Risque fiscal ?

Avant l’entrée en vigueur de la disposition anti-abus, c’est-à-dire avant le 1er janvier 2012, cette opération présentait des risques de contestation fiscale. Il fallait effectivement déterminer si cette vente relevait ou non de la gestion normale du patrimoine privé, en tenant compte de l’ensemble des critères habituellement retenus par la jurisprudence (notamment le laps de temps écoulé, la valorisation adéquate de la société opérationnelle, etc.).

Le débat était essentiellement factuel et le risque était celui d’une taxation au titre de revenus divers au taux de 33 %.

Abus fiscal

L’administration fiscale remet désormais plus volontiers en cause ces opérations sous l’angle de l’abus fiscal, pour taxer le contribuable au titre de dividendes, au taux de 30 %. Elle doit cependant démontrer que les conditions d’application de cette disposition sont remplies.

Ces conditions sont nombreuses et complexes. Il faut notamment démontrer que :

• l’opération contrevient à l’intention du législateur ou, pour reprendre les termes de l’article 344, §1er, CIR, viole « les objectifs d’une disposition » du Code ou de son arrêté royal d’exécution ;

• et que le contribuable avait l’intention d’éviter l’impôt, celui-ci pouvant par ailleurs toujours démontrer qu’il était animé par d’autres motifs, c’est-à-dire les motifs non fiscaux.

Selon nous l’abus fiscal n’est pas la disposition adéquate pour remettre ces opérations en cause. Il faut effectivement faire preuve d’une interprétation très conciliante avec la thèse administrative pour admettre que l’opération contrevient à l’intention dont était animé le législateur, en 1998, lors du vote du texte de l’article 18, alinéa 1er,1 1°, CIR, identifié par le fisc comme la disposition abusée.

La recherche de cette intention, dans l’usage d’un mot plutôt qu’un autre, comme le fait la Cour d’appel d’Anvers dans son récent arrêt du 17 octobre 2023, dissimule maladroitement une volonté de taxer ces opérations, jugées aujourd’hui critiquables.

Question

Pourquoi l’administration fiscale invoque-t-elle cette disposition anti-abus alors qu’elle pourrait soutenir, comme par le passé, que l’opération ne relève pas de la gestion normale du patrimoine privé du contribuable et taxer le contribuable au taux de 33 %, soit un taux supérieur à celui applicable aux dividendes ?

La réponse à cette question est évidente : l’administration fiscale ne contrôle manifestement pas ces opérations de vente d’actions à une société holding, de sorte que, lorsqu’elle identifie un dossier particulier, les délais de prescription ne lui permettent plus de poursuivre une taxation au titre de revenus divers. Tel était d’ailleurs le cas du dossier soumis à l’appréciation de la Cour d’appel d’Anvers.

La disposition anti-abus est donc une bouée de sauvetage qui devrait permettre à l’administration fiscale, qui n’a pas taxé en temps et en heure une plus-value sur actions, de néanmoins réclamer un impôt sur les sommes effectivement perçues par l’actionnaire à charge de la société holding, suite à un remboursement d’un compte-courant ou une réduction de capital.

Cet effet de rattrapage n’est évidemment pas l’objectif de la disposition anti-abus dont l’administration fiscale et la jurisprudence élargissent alors le champ d’application en attribuant au législateur de l’époque des intentions jamais exprimées.

Que faire ?

Si la vente des actions de la société opérationnelle à la société holding est intervenue avant le 1er janvier 2012, la nouvelle disposition anti-abus ne s’applique pas et ce risque est écarté.

Si la vente des actions de la société opérationnelle à la société holding est intervenue après le 1er janvier 2012, le remboursement de l’actionnaire doit être considéré comme risqué, au regard de la jurisprudence actuelle et il faut s’interroger sur les motifs autres que fiscaux qui ont justifié la vente.

Enfin, ces opérations ne sont certainement pas à proscrire pour l’avenir, les circonstances factuelles pouvant effectivement justifier cette réorganisation. On pense notamment au redéveloppement de la société opérationnelle par l’entrée au capital d’un nouvel associé ou à la transmission de l’entreprise à la génération suivante pour assurer sa pérennité.


Mikaël Gossiaux
Avocat associé chez Hirsch & Vanhaelst






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