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Accident de la vente immobilière et 10%

Par Laurent Collon [Xirius]

Lundi 28.08.23

Le tribunal de première instance de Liège a pris une décision pour le moins originale en date du 1er décembre 2022 à propos de l’indemnisation d’une partie à un contrat de vente immobilière qui fait face à la défaillance de l’autre.


RAPPEL DES PRINCIPES APPLICABLES

Licéïté des clauses pénales

Les compromis de vente prévoient dans l’immense majorité des cas l’obligation pour le défaillant de payer une indemnité de résolution (ou encore une clause pénale) de 10% du prix de vente à son partenaire contractuel.

La licéité des clauses pénales est admise par les articles 1236 et suivants de l’ancien Code civil.

Ce n’est que lorsque la somme convenue « excède manifestement le montant que les parties pouvaient fixer pour réparer le dommage résultant de l'inexécution de la convention » que le Juge peut, d'office ou à la demande du débiteur, la réduire. (Art. 1231, §1er, al. 1, de l’ancien Code civil).

Par application de cette disposition légale, qui fait elle-même écho à une jurisprudence constante de la Cour de cassation jusqu’alors, « le juge est tenu de se placer au moment où les parties se sont accordées sur la clause pénale en vue de la confronter avec le préjudice qui, à ce moment, pouvait être prévu par les parties comme conséquence d’une inexécution éventuelle. Partant, le juge ne peut se référer qu’au dommage prévisible, à l’exclusion du préjudice effectivement subi. » (Ch. Biquet-Mathieu, « Aspects de la réparation du dommage en matière contractuelle », Les obligations contractuelles, Editions du Jeune Barreau de Bruxelles, 2000, p. 499 ; Cass., 15 janvier 1988, Pas., 1988, I, p. 574 ; Cass., 3 février 1995, Pas., 1995, I, p. 130 ; Cass., 17 février 1995, Pas., 1995, I, p. 189 – souligné par la concluante).

Or, la jurisprudence est quasiment unanime à considérer que la clause qui fixe à 10% du prix de vente l’indemnité à payer par le défaillant à son cocontractant rentre tout à fait dans les limites indemnitaires, et ne peut dès lors être réduite.

Il en est ainsi même lorsque l’indemnité porte sur un montant très important.

Indépendance des magistrats

L’article 151 de la Constitution belge prévoit :

« § 1er. Les juges sont indépendants dans l'exercice de leurs compétences juridictionnelles. (…) »


UNE DECISION POUR LE MOINS ORIGINALE

C’est en profitant de cette indépendance qui lui est consacrée par la Constitution que le président de la 3ème chambre du tribunal de première instance de Liège a prononcé une décision pour le moins originale en date du 1er décembre 2022.

Dans le cas qui lui était soumis, l’acheteur n’avait pas été en mesure de payer le prix à heure et à temps.

Le compromis prévoyait, comme de coutume, une indemnité de 10% à sa charge.

Après avoir rappelé les principes ci-dessus (notamment les dispositions de l’ancien Code civil qui étaient applicables au dossier concerné), le Tribunal dit pour droit que « le dommage prévisible au moment de la vente pouvait dès lors légitimement être fixé en ayant égard notamment aux éléments suivants :

- un prix d’achat de 575.000 euros. Il s’agit donc d’un bien de valeur pas nécessairement facile à vendre ;
- les coûts d’intervention de l’agence immobilière ;
- les coûts liés à l’entretien d’un immeuble (énergie, impôts) qui n’est pas nécessairement occupé au vu de la vente qui avait été conclue. ».


Le Tribunal poursuit en affirmant que « le dommage n’est (…) pas nécessairement linéaire en fonction de la valeur du bien. ».

Il en déduit qu’il convient de réduire la clause pénale fixée par le compromis de vente en tenant compte du barème suivant :

- de 1 à 150.000,00 EUR : 10% ;
- de 150.001 à 250.000 EUR : 7,5% ;
- de 250.001 à 400.000 EUR : 5%
- de 400.001 à 600.000 EUR : 3,5% ;
- de 600.001 à 1.000.000 EUR : 2,5% ;
- au-delà de 1.000.001 EUR : 1,5%.

Tenant compte d’un prix de vente de 575.000,00 EUR, le montant accordé au vendeur par le Tribunal s’élève ainsi à 36.999,85 EUR.

Comme quoi, rien n’est jamais acquis lorsque l’on décide d’agir en justice.

A bon entendeur …




Laurent Collon (spécialiste agréé en immobilier)
Avocat
(Xirius Immo - Avocats)


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