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Obligation de déclarer les "constructions juridiques" - Quid en cas d’oubli ?

S. Vanhaelst & V. Kervyn

Vendredi 07.10.22

Les fondateurs et bénéficiaires d’une «construction juridique» (tels , par exemple un trust ou une fondation liechtensteinoise) sont tenus de mentionner l’existence de celle-ci via leur déclaration à l'impôt des personnes physiques.

La notion de «fondateur» va au-delà de la personne physique qui a constitué la construction au sens strict. Sont également visés par cette obligation déclarative, les personnes qui apportent le patrimoine dans la construction juridique, les héritiers des fondateurs initialement tenus à la déclaration et les détenteurs de droits juridiques et économiques.


Quid en cas d’oubli ?

A l’origine, le législateur n’avait pas introduit dans le Code des impôts sur les revenus de sanction spécifique en cas de violation de cette obligation déclarative. L’amende qui pouvait être infligée s’élevait à un montant maximal de 1.250€ (amende prévue en cas de violation de l’obligation générale de déclaration).

Depuis juillet 2016, l’absence de déclaration est sanctionnée par une amende administrative spécifique s’élevant à 6.250 €, par année et par construction juridique non mentionnée (art. 445 § 2 CIR).

En pratique, l’administration fiscale n’hésite pas à infliger ces sanctions aux contribuables en défaut, même de bonne foi, considérant que l’amende est due par le simple fait de ne pas avoir déclaré la construction juridique.

La Cour constitutionnelle, saisie par le Tribunal de première instance du Luxembourg (division Marche-en-Famenne), s’est prononcée sur la constitutionnalité de cette disposition légale dans un arrêt du 14 octobre 2021.

Elle a confirmé la nature «pénale» au sens de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme de cette amende et jugé l’article 445 §2 CIR inconstitutionnel en ce qu’il ne permet pas aux Cours et Tribunaux d’accorder le bénéfice du sursis tel que prévu en matière pénale.

Ce constat ne fait pas obstacle à l’application de cette disposition, pour autant que les Cours et Tribunaux puissent exercer un contrôle de pleine juridiction et accorder une éventuelle mesure probatoire, comme un sursis.

Certaines juridictions n’ont heureusement pas attendu la modification législative à venir.

Dans une décision du 14 février 2022, le tribunal de première instance d’Anvers s’est rangée à la position de la Cour constitutionnelle en constatant le caractère prohibitif et répressif de l’amende.

Le tribunal a considéré qu’il pouvait exercer sur une décision administrative imposant une amende à caractère répressif un contrôle de pleine juridiction et ainsi examiner si une telle décision est justifiée en droit et respecte le principe de proportionnalité.

En l’espèce, le tribunal a estimé que l’amende était disproportionnée par rapport à l’infraction commise puisqu’il s’agissait de la première infraction du contribuable et que l’absence de déclaration n’avait causé aucun préjudice à l’administration fiscale. Le tribunal a réduit l’amende à 3.000€, ce qui reste très élevé néanmoins.

Une décision similaire avait été prise par le tribunal de Bruges le 26 octobre 2021 (2020/2188/A) concernant des amendes pour omission de l’existence d’une SPF luxembourgeoise. Le tribunal a réduit les amendes à 3.000€ par exercice d’imposition.

Dans un jugement plus récent du 28 février 2022, le tribunal d’Anvers a appliqué la même réduction (3.000€ par exercice d’imposition) à un contribuable qui avait omis, chaque année, de déclarer la construction juridique (Fondation liechtensteinoise) dont il était le bénéficiaire.

Si, contrairement à la position défendue par l’administration fiscale, les contribuables sanctionnés pourront soumettre au juge l’amende subie, dans le cadre d’un contrôle de pleine juridiction, il n’en reste pas moins que les décisions commentées démontrent que, même dans ce cas, les juridictions acceptent de valider des amendes élevées, pour ce qui reste, dans certains cas, un manquement purement administratif, c’est-à-dire une erreur commise de bonne foi, pouvant parfois même résulter d’une mauvaise interprétation de la loi.

Chaque cas particulier devra être analysé mais les Cours et Tribunaux devraient tenir compte de la complexité inhérente à la notion même de construction juridique et au régime de la taxation par transparence des constructions juridiques. En effet, face à ce niveau de complexité, le contribuable ordinaire a certainement le droit à l’erreur.

Les juridictions liégeoises semblent s’être appropriées de cet enseignement puisque, dans un arrêt du 10 juin 2022, la Cour d’appel de Liège a confirmé le dégrèvement intégral des amendes vu l’absence de disposition légale permettant d’accorder aux contribuables en question, le bénéfice d’un sursis (TPI Liège 10 décembre 2020, Cour d’appel Liège 10 juin 2022).



Sophie Vanhaelst & Valentine Kervyn
Avocats au barreau de Bruxelles - Hirsch & Vanhaelst



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