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Double imposition des dividendes français: dernier acte

Par François Collon

Mardi 08.12.20

Le 15 octobre 2020, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi introduit par l’Etat belge à la suite de l’arrêt rendu par la cour d’appel de Bruxelles le 20 septembre 2018. Il est permis de penser que cet arrêt marque la fin d’une saga judiciaire qui n’aura que trop duré pour les contribuables belges injustement privés du bénéfice de l’imputation d’une quotité forfaitaire d’impôt étranger sur leurs dividendes de source française.


La double imposition des dividendes français perçus par des résidents fiscaux belges

La convention préventive de la double imposition conclue entre la France et la Belgique prévoit que les dividendes sont imposables dans l’Etat de résidence du bénéficiaire. Elle autorise toutefois l’Etat de la source, en l’espèce la France, à retenir un impôt qui ne peut excéder 15 %.

Afin d’éviter la double imposition qui résulte de cette disposition, l’article 19.A.1. de la convention prévoit que « […] l’impôt dû en Belgique sur leur montant net de retenue française sera diminué, d’une part, de précompte mobilier perçu au taux normal et, d’autre part, de la quotité forfaitaire d’impôt étranger déductible dans les conditions fixées par la législation belge, sans que cette quotité puisse être inférieure à 15 p.c. dudit montant net ».

Cette disposition prévoit donc l’imputation par la Belgique d’une quotité forfaitaire d’impôt étranger « dans les conditions fixées par la législation belge ». Malheureusement, la législation belge ne prévoit plus d’imputation d’un tel crédit d’impôt pour les dividendes d’origine étrangère depuis 1988. C’est là que réside tout le débat actuellement mené devant les juridictions belges puisque, depuis cette date, l’administration fiscale a toujours refusé d’imputer cette quotité aux personnes résidentes fiscales belges qui invoquaient cette disposition conventionnelle, aux motifs que ce crédit ne peut être accordé que « dans les conditions fixées par la législation belge » et que celle-ci est muette à cet égard.

La jurisprudence s’était toujours ralliée à la position défendue par l’administration fiscale. Ce fut notamment le cas de la cour d’appel de Gand dans un arrêt du 18 novembre 2014. Le contribuable lésé s’était toutefois pourvu en cassation. Bien lui en a pris puisque par son arrêt du 16 juin 2017, la Cour de Cassation avait cassé l’arrêt rendu par la cour d’appel, rejetant ainsi la position administrative et rappelant la primauté du droit international, et des conventions conclues par la Belgique, sur la législation nationale.


L’arrêt de la Cour de cassation du 16 juin 2017

Selon la Cour de cassation, il ressort du texte même de la convention que les deux Etats ont voulu imputer, sans égard à la législation belge, un crédit d’impôt qui devrait s’élever au minimum à 15 % du montant net frontière du dividende versé. La Cour se fonde ainsi sur les derniers mots de l’article 19.A.1. : « sans que cette quotité puisse être inférieure à 15 p.c. dudit montant net ».

Selon elle, la Belgique ne peut donc se retrancher derrière sa législation interne (ou plutôt l’absence de législation interne) pour refuser d’appliquer cette disposition conventionnelle.

L’administration fiscale avait fait savoir qu’elle ne se plierait pas aux conclusions de la Cour de cassation et qu’elle attendrait, pour revoir éventuellement sa position, l’arrêt qui serait rendu par la cour d’appel d’Anvers, saisie sur renvoi de la Cour de cassation.


La cour d’appel de Bruxelles…

Sur ces entrefaites, la cour d’appel de Bruxelles, dans un arrêt du 20 septembre 2018, avait statué dans le même sens que la Cour de cassation et avait ordonné l’imputation de la quotité forfaitaire d’impôt étranger telle que prévue à l’article 19.A.1 de la convention préventive de double imposition conclue entre la Belgique et la France.

L’administration fiscale belge, qui n’entendait décidément pas se soumettre, avait introduit un pourvoi en cassation à la suite de cet arrêt.


La cour d’appel de Mons…

Amenée à trancher dans une affaire similaire, la cour d’appel de Mons, s’écartant de manière particulièrement étonnante des conclusions de l’arrêt de la Cour de cassation du 16 juin 2017, avait décidé dans un arrêt rendu le 28 juin 2019 qu’aucune quotité forfaitaire d’impôt étranger ne pouvait être imputée dès lors que celle-ci n’était pas prévue par la législation fiscale belge.

Retour à la case départ donc…


… la cour d’appel d’Anvers

Le 17 décembre 2019, sur renvoi de la Cour de cassation, la cour d’appel d’Anvers avait rendu un arrêt conforme celui de la Cour de cassation du 16 juin 2017, confirmant donc la primauté du droit international sur le droit belge et confirmant l’application d’une QFIE sur les dividendes de source français perçus par des résidents fiscaux belges.


…et, enfin, à nouveau la Cour de cassation

Dans son arrêt du 15 octobre 2020, la Cour de cassation a confirmé sa jurisprudence antérieure en rejetant le pouvoir introduit par l’Etat belge contre l’arrêt rendu par la cour d’appel de Bruxelles le 20 septembre 2018.


Conclusions

Cette saga judiciaire au long cours, qui a mobilisé quatre cours d’appel et la Cour de cassation à deux reprises, résulte essentiellement de l’attitude de l’administration fiscale qui n’a pas entendu se soumettre à l’arrêt de la Cour de cassation du 16 juin 2017 et a continué à poursuivre, jusqu’à l’acharnement, la défense de sa thèse.



Alors que la Cour de cassation et les cours d’appel d’Anvers et de Bruxelles s’étaient toutes deux prononcées en faveur des contribuables affirmant la primauté du droit international sur le droit interne, les cours d’appel de Gand et de Mons (cette dernière ayant connaissance de l’arrêt du 16 juin 2017) étaient venues jouer les trouble-fêtes en adoptant le parti de l’administration fiscale.

L’arrêt rendu le 15 octobre 2020 paraît constituer le dernier acte de ce triste épisode judiciaire puisqu’il semble que l’administration fiscale n’ait désormais d’autre choix que d’accepter sa défaite et de s’incliner enfin.

Les contribuables belges ayant perçu des dividendes de source française devraient donc se voir rembourser une quotité forfaitaire d’impôt étranger pour autant bien évidemment qu’ils aient introduit des réclamations ou des demandes de dégrèvement en ce sens.

Pour ceux qui ne l’auraient pas encore fait, il n’est pas trop tard mais, pour éviter qu’une année supplémentaire ne soit prescrite, on ne saurait trop leur recommander d’agir avant le 31 décembre de cette année.




François Collon
Avocat
Hirsch & Vanhaelst
(f.collon@hvlaw.eu)






Source : DroitBelge.Net - Actualités - 08.12.2020


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