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La Cour de cassation permet des annonces de réduction de prix en période de pré-soldes

Par Jean-Sébastien Lenaerts

Lundi 03.12.12

La période d’attente (ou période de « pré-soldes »), pendant laquelle il est fait interdiction à certains commerçants d’annoncer des réductions de prix, débutera dans quelques jours (6 décembre 2012). Or, ce n’est un secret pour personne, le mois de décembre revêt une grande importance dans bon nombre de secteurs commerciaux dont le secteur de l’habillement. C’est dire si la tentation d’anticiper de quelques jours les soldes d’hiver (qui débuteront le 3 janvier 2013) et d’annoncer des réductions de prix peut être particulièrement grande en cette période.

L’article 32, §1er de la loi du 6 avril 2010 sur les pratiques du marché et la protection du consommateur (L.P.M.C.), interdit toutefois ces annonces : « durant les périodes débutant le 6 décembre et le 6 juin, chaque fois jusqu'au premier jour de la prochaine période des soldes, il est interdit, dans les secteurs de l'habillement, des articles de maroquinerie et des chaussures, d'annoncer des réductions de prix qui produisent leurs effets durant cette période, quels que soient le lieu ou les moyens de communication mis en œuvre ». Cette disposition ajoute que l’interdiction couvre également les annonces de réduction de prix effectuées avant la période d’attente si la réduction produit son effet durant la période d’attente.

Pour autant que de besoin, il est ici rappelé que l’interdiction ne vise que les annonces de réduction de prix, et non pas les réductions de prix en tant que telles qui restent, sous certaines réserves, en principe autorisées.

Si le texte de loi est clair, sa conformité au droit européen, en particulier avec la directive 2005/29/CE relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur, reste quant à elle sujette à discussions.

En mars 2011, la commission européenne avait envoyé un avis motivé à la Belgique, l’invitant notamment à supprimer de sa législation l’interdiction d’annoncer des réductions de prix en période de pré-soldes.

Les Cours et tribunaux belges ont déjà eu l’occasion de se prononcer à plusieurs reprises sur la conformité au droit européen de l’interdiction prévue par l’article 32 L.P.M.C. Pour certains, cette interdiction n’entre pas dans le champ d’application de la directive et, par conséquent, sa conformité au droit européen est indiscutable. Pour d’autres en revanche, l’annonce de réduction de prix en période de pré-soldes est une pratique qui entre dans le champ d’application de la directive. Or, la directive n’érige pas l’interdiction d’annoncer des réductions de prix en période de pré-soldes au rang des pratiques qui sont en toutes hypothèses interdites. Partant, le législateur belge ne peut purement et simplement interdire cette pratique.

La Cour de cassation a également eu l’occasion de se pencher récemment sur cette question.

Dans cette affaire, il était reproché à l’enseigne INNO d’avoir, par l’envoi d’une lettre à certaines personnes aux termes de laquelle celles-ci pouvaient bénéficier de réductions entre les 26 et 31 décembre 2007, illégalement pratiqué des annonces de réduction de prix juste avant les soldes d’hiver de janvier 2008 (cf. Note 1)1.

Tant le Président du Tribunal de commerce de Bruxelles, dans une ordonnance du 18 juin 2008, que la Cour d’appel de Bruxelles, dans son arrêt du 12 mai 2009, avaient considéré que la société INNO avait enfreint la réglementation en annonçant des réductions de prix en période d’attente. La Cour d’appel avait alors décidé que l’interdiction de l’article 53 L.P.C.C. (devenu article 32 L.P.M.C.) n’était pas contraire à la directive 2005/29/CE dès lors que cette interdiction a pour unique but de régler les relations entre les concurrents et n’a pas pour objectif de protéger les consommateurs. Cette pratique n’entre donc pas dans le champ d’application de la directive.

La société INNO s’est pourvue en cassation contre l’arrêt de la Cour d’appel. La Cour de cassation a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour de Justice une question préjudicielle quant aux finalités qu’il faut prendre en compte pour déterminer si une pratique entre bien dans le champ d’application de la directive (finalités déclarées ou finalités réelles ?). D’après certains en effet, il existe un décalage entre l’objectif poursuivi par le législateur, pour lequel l’interdiction d’annoncer des réductions de prix en période d’attente est une mesure qui tend à la fois à protéger les concurrents et les consommateurs, et l’objet réel de la mesure qui ne vise qu’à protéger la concurrence entre commerçants, les consommateurs étant déjà protégés par le biais d’autres dispositions de la loi.

Dans son ordonnance du 15 décembre 2011, la Cour de Justice n’a pas véritablement tranché cette question, se contentant d’indiquer conformément à sa jurisprudence qu’une disposition nationale n’est pas susceptible de relever du champ d’application de la directive sur les pratiques commerciales déloyales si elle se limite seulement à réglementer les relations concurrentielles entre commerçants et ne poursuit pas des finalités tenant à la protection des consommateurs.

Il appartenait donc à la Cour de cassation de trancher, ce qu’elle fit récemment dans son arrêt du 2 novembre 2012.

La Cour a finalement cassé l’arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles, considérant que le but du législateur, en adoptant la mesure d’interdiction des annonces de réduction de prix en période de pré-soldes, était de protéger également les intérêts des consommateurs. Par conséquent, cette mesure entre dans le champ d’application de la directive et ne peut faire l’objet d’une interdiction pure et simple par le législateur, pareille interdiction n’étant pas prévue par la directive. La Cour de cassation estime donc que l’interdiction de l’article 53 de la L.P.C.C., disposition aujourd’hui abrogée, est contraire au droit européen. Dans la mesure où leur libellé est pratiquement identique, il n’y aurait pas lieu de raisonner différemment aujourd’hui avec l’article 32 L.P.M.C.

La situation est donc pour le moins incertaine puisque l’article 32 L.P.M.C., dont la légalité peut sérieusement être remise en cause à la suite de l’arrêt de la Cour de cassation, est toujours actuellement en vigueur et que les responsables du gouvernement ont récemment fait savoir que l'interdiction restait pleinement d'application. Par ailleurs, les enseignements de la Cour de cassation ne permettent certainement pas d’affirmer que les annonces de réduction de prix en période d’attente sont désormais autorisées en toutes hypothèses. En effet, certaines annonces pourraient, en fonction des circonstances, être considérées comme déloyales. La plus grande prudence s’impose donc…

A quelques jours du début de la période de pré-soldes (6 décembre), le secteur concerné par l’interdiction (habillement, maroquinerie et chaussures) se serait certainement bien passé d’un tel scénario.



Jean-Sébastien Lenaerts
jslenaerts@buylelegal.eu
Avocat au barreau de Bruxelles,
Assistant à l’U.L.B.




Note:

(1) Les annonces de réduction de prix étaient également interdites sous l’empire la précédente législation (article 53 de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et la protection et l’information du consommateur). L’article 32 L.P.M.C. reprend intégralement le contenu de l’article 53 L.P.C.C., sous la seule réserve que la période d’attente, qui débutait le 15 novembre sous l’empire dans l’ancienne loi, a été réduite.


Source : DroitBelge.Net - Actualités - 3 décembre 2012


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