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Marchés publics : du nouveau en matière de recours et d´information des soumissionnaires (loi du 23.12.09)

Par Véronique Vanden Acker [FFW LLP]

Lundi 22.02.10


Après l'arrêté royal du 29 septembre 20091 visant essentiellement à finaliser la transposition des directives 2004/17/CE et 2007/18/CE, et l'entrée en vigueur ce 1er janvier 2010 des nouveaux seuils "européens", voici la loi du 23 décembre 2009 transposant la directive 2007/66/CE relative à l'information et aux recours en matière de marchés (publics).

Elle introduit un livre II bis dans la loi du 24 décembre 1993 et en abroge les articles qui traitaient jusque là de l'information des candidats/soumissionnaires et du "stand still" (articles 21bis, 41sexies et 62bis).

Elle entre en vigueur ce 25 février 2010, pour tous les marchés annoncés après cette date. C'est l'arrêté royal du 10 février 2010, publié au Moniteur belge du 16 février, qui a fixé l'entrée en vigueur et modifie les AR du 8 janvier, 10 janvier et 18 juin, pour les mettre en ligne avec les nouvelles règles introduites par la loi du 23 décembre 2009.

Voici un très bref résumé des principales innovations.

A. Pour ce qui concerne les obligations d'information ou de motivation, la loi prévoit des règles communes pour les marchés dont le montant atteint le seuil pour la publicité européenne (les " marchés européens ") et pour ceux qui n'atteignent pas ce seuil (" les marchés belges ").

Les décisions motivées de sélection, d'attribution et d'arrêt de procédure doivent être communiquées " dès que la décision a été prise ". La décision motivée de recourir à la procédure négociée peut être communiquée ultérieurement à la prise de décision.

Pour les " marchés belges " toutefois, aucune mention concernant le délai d'attente ne doit être reprise dans la décision motivée d'attribution, vu qu'il n'est pas applicable. Par ailleurs, l'arrêté royal du10 février 2010 prévoit des exemptions aux obligations d'information et de motivation formelle pour certains marchés.

B. Le régime des " marchés européens " est caractérisé par trois mesures :

1) l'obligation pour l'autorité adjudicatrice de respecter un délai d'attente de 15 jours avant de conclure le marché pour permettre aux soumissionnaires de saisir le juge compétent d'une demande de suspension de la décision d'attribution (accompagnée le cas échéant d'une demande de mesures provisoires). Toutefois, il n'y a pas de " délai d'attente " à respecter (i) lorsqu'une publicité européenne préalable n'est pas obligatoire (par ex., pour les marchés de services repris en annexe 2B) et (ii) lorsqu'une seule offre a été déposée.

La loi précise en outre:

• le point de départ du délai d'attente de 15 jours et ses modalités de calcul ;

• qu'il suffit qu'un recours en suspension soit introduit endéans ce délai pour qu'il emporte l'interdiction de conclure le marché tant que le juge saisi n'a pas statué (en première instance, le cas échéant) sur la demande de suspension (et/ou de mesures provisoires).

• que, pour être recevable, le recours en suspension doit être introduit endéans le délai d'attente. L'information de l'autorité adjudicatrice, endéans le délai d'attente (de ce qu'un recours a été introduit) n'est plus une condition de recevabilité. Elle est toutefois vivement " recommandée ", surtout lorsque le recours est introduit le dernier jour du délai, pour éviter la politique du fait accompli.


2) En cas de suspension de la décision d'attribution par le juge compétent, l'exécution du marché est automatiquement suspendue également (dans les cas où il aurait été conclu). L'objectif du législateur est d'éviter un rejet du recours en suspension pour défaut d'intérêt, comme le prévoit actuellement la jurisprudence du Conseil d'Etat.


3) Un nouveau recours peut être introduit par " toute personne intéressée " pour obtenir une " déclaration d'absence d'effets " d'un marché conclu (càd une annulation rétroactive du contrat/marché). Elle doit être introduite dans les délais prévus par la loi, devant le juge judiciaire, qui siège "comme en référé". Cette déclaration d'absence d'effet ne peut être prononcée que dans deux hypothèses de violation caractérisée du droit des marchés publics, à savoir:

• lorsqu'un marché a été passé sans aucune publicité préalable alors que cette publicité s'imposait en vertu du droit des marchés publics (càd en cas d'usage abusif de la procédure négociée sans publicité préalable ou d'application abusive des exemptions notamment pour les transactions financières ou immobilières) OU

• lorsque le marché a été conclu sans respecter le "délai d'attente" pour autant que cette violation (i) d'une part ait privé un soumissionnaire d'entamer ou de mener à son terme une demande de suspension de la décision d'attribution et (ii), d'autre part, s'accompagne d'une violation du droit des marchés publics qui a compromis les chances d'un soumissionnaire d'obtenir le marché.

La loi contient une série de nuances, exceptions ou échappatoires à cette déclaration de nullité qui permettent de refuser ou de limiter les effets de l'annulation du marché. La loi prévoit également des sanctions de substitution (pénalité financière à charge de l'autorité adjudicatrice ou réduction de la durée du marché) que le juge judiciaire peut prononcer d'office (en cas de rejet total ou partiel d'une demande de déclaration d'absence d'effet) ou à la demande de " toute personne intéressée ", dans les délais fixés par la loi.


C. Le régime applicable aux "marchés belges " reste identique dans sa substance en ce sens que les seuls recours ouverts restent (i) les requêtes en suspension ou annulation des décisions prises par l'autorité adjudicatrice dans le cadre d'une procédure d'attribution d'un marché public et (ii) l'action en dommages et intérêts lorsque le marché est conclu. Il n'y a toujours pas d'obligation de respecter un délai d'attente avant de conclure le marché. Le Conseil d'Etat reste compétent lorsque l'autorité adjudicatrice est une autorité administrative et le juge judiciaire est compétent dans tous les autres cas. Devant le Conseil d'Etat, le recours en suspension doit être traité dans le cadre d'une procédure d'extrême urgence et, devant le juge judiciaire, dans le cadre d'une procédure en référé.

La principale innovation vient du fait que la loi instaure des règles communes, de procédure et au fond, qui s'appliquent indépendamment du juge saisi et donc du statut de l'autorité adjudicatrice, de sorte que tous les soumissionnaires évincés soient traités de manière égale et puissent obtenir la suspension ou l'annulation d'une décision dans les mêmes conditions et sur la base des mêmes arguments. Ainsi, par exemple, désormais, la preuve d'un préjudice grave et difficilement réparable ne doit plus être apportée pour obtenir la suspension de la décision d'attribution. Par ailleurs, les recours en suspension ou en annulation ne peuvent être dirigés que contre les décisions de l'autorité adjudicatrice et seules ces décisions, qualifiées 'd'actes détachables (du contrat), peuvent être sanctionnées par le juge compétent.


D. Enfin, nous soulignerons quatre points importants qui caractérisent les nouvelles dispositions légales et qui visent l'efficacité des recours ou la sécurité juridique :

1) puisque le régime applicable dépend de l'estimation de la valeur du marché (pour déterminer s'il atteint ou non les seuils de publicité européenne), la loi met en place un système de correction lorsque l'autorité constate, à la réception des offres, qu'elle avait sous évalué la valeur du marché. Il s'agit de la règle des "20%" : lorsque l'estimation initiale de la valeur du marché est inférieure au seuil de publicité européenne mais que le montant de l'offre à approuver est supérieur de plus de 20% à ce seuil, l'autorité adjudicatrice devra respecter le régime applicable aux "marchés européens" et donc, notamment, mettre en œuvre le délai d'attente de 15 jours;


2) la loi assimile aux "marchés européens", les "marchés belges" de travaux d'une " valeur significative ", càd soumis à la publicité belge et d'une valeur supérieure à la moitié du seuil "européen". A ces marchés s'appliquent donc (i) l'obligation de mettre en œuvre un délai d'attente avant de conclure le marché, (ii) la suspension automatique du contrat en cas de suspension de la décision d'attribution ainsi que (iii) la sanction de l'absence de déclaration d'effet. C'est en tout état de cause la volonté du législateur telle qu'elle ressort notamment de l'Exposé des Motifs. Toutefois, dans le texte de la loi, la référence à l'article relatif à la sanction de l'absence d'effet n'a pas été faite lorsqu'il est question de ces marchés belges de travaux d'une valeur significative. Cet" oubli " ne devrait pas tarder à être corrigé;


3) dans les cas où une autorité adjudicatrice décide de faire volontairement application du délai d'attente avant de conclure " un marché belge ", les autres dispositions du régime applicable aux " marchés européens " ne sont pas d'application : (i) pas de suspension de plein droit du marché (conclu) en cas de suspension de la décision d'attribution (ii) pas de possibilité de déclaration d'absence d'effet ni, dès lors, de sanctions de substitution;


4) La loi prévoit expressément que, après leur conclusion, les " marchés belge" ne peuvent plus être ni suspendus ni annulés au motif d'une violation du droit belge des marchés publics. Quant aux " marchés européens " (et les marchés belges de travaux d'une valeur significative), ils ne peuvent être suspendus ou annulés que dans les hypothèses prévues par la loi.






Véronique Vanden Acker
Avocat - Partner Field Fisher Waterhouse LLP








Source : DroitBelge.Net - Actualités - 22 février 2010


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