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Contrefaçon sur l´internet - Réparation du dommage

Par Alain Berenboom

Jeudi 26.03.09

Certaines affaires ont été fortement médiatisées tant en Belgique qu’à l’étranger en ce domaine et même sans attendre une issue judiciaire définitive de nombreux livres apparaissent chez les meilleurs éditeurs juridiques.

Faire le point sur les principes applicables à la réparation du préjudice en matière de droit d’auteur s’avère des plus utiles aussi bien vis-à-vis des personnes concernées que des juristes et voire même du grand public qui ignore la plupart du temps les risques encourus.

Les dommages et intérêts nés de la contrefaçon sont la sanction essentielle infligée par le droit au contrefacteur pour réparer le trouble social qu’il a causé par ses agissements.

Ils sont souvent sans commune mesure par rapport aux sanctions pénales que pourraient infliger les juridictions répressives.


A.- LES PRINCIPES :

1. La réparation couvre différentes situations. Elle a d’abord pour objet de rétablir le préjudicié dans l’état où il serait si la faute n’avait pas été commise. La réparation doit couvrir toutes les composantes de son dommage.

Traditionnellement, on proclamait de façon théorique que l’indemnité doit compenser intégralement le préjudice sans procurer à la victime un enrichissement (cf. Note 1) mais ce principe a beaucoup évolué : doctrine et jurisprudence (expressément et souvent implicitement) conviennent que l’indemnité doit avoir un certain caractère punitif (cf. Note 2) faute de quoi le contrefacteur a souvent intérêt à violer le droit car la contrefaçon lui coûtera moins cher que l’autorisation (cf. Note 3) , d’où la condamnation systématique à un montant équivalent deux ou trois fois celui des droits éludés (on y reviendra) .

Pour déterminer la réparation intégrale à laquelle la victime a droit, le juge peut par exemple compenser les pertes de la victime de la contrefaçon, couvrir le profit qui aurait été le sien si c’était elle et non le contrefacteur qui avait exploité l’œuvre ou encore assurer l’indemnisation de l’utilisation de son œuvre faite sans son autorisation sur base du profit qui aurait été le sien si une autorisation avait été donnée.

La réparation est accordée même si le titulaire des droits n’aurait jamais accepté de donner au contrefacteur son autorisation si celui-ci le lui avait légalement demandé ou même si l’œuvre n’est pas exploitée (cf. Note 4) .

Le calcul des dommages et intérêts doit couvrir, outre les pertes de royalties, les conséquences de la banalisation de l’œuvre résultant d’une exploitation plus large que le titulaire de droits ne le souhaitait.

Il couvre aussi les frais entraînés par la constatation de la contrefaçon et les procédures nécessaires à la faire cesser.

2. Ce sont les règles du droit commun de la responsabilité délictuelle qui sont appliquées : la contrefaçon est assimilée à une faute civile délictuelle causant un dommage dont l’auteur doit réparation, par l’application de l’article 1382 du Code civil.

3. Dans le cas classique où le contrefacteur a exploité l’œuvre en « oubliant » de demander les autorisations nécessaires, le juge apprécie, in concreto, la rémunération que l’auteur aurait pu exiger en contrepartie de son autorisation. La mission du juge consiste à rechercher, au cas par cas, ce que l’auteur aurait pu conventionnellement percevoir si son autorisation d’utiliser son œuvre avait été requise.

Mais la rémunération doit parfois couvrir de façon plus large la valeur patrimoniale de l’œuvre. Car le dommage, on l’a dit, n’est pas seulement la perte mathématique du profit escompté ou des droits éludés. Il faut aussi indemniser la victime dont le contrefacteur a forcé le consentement alors qu’il n’aurait jamais pu obtenir de licence d’exploitation. Et, au-delà, de la perte directe résultant de l’utilisation de l’œuvre, le dommage couvrira la perte de valeur de l’œuvre si le titulaire de droits avait voulu limiter l’exploitation de celle-ci, sa banalisation, sa perte d’identification.

Le principe général sous-jacent à l'octroi de dommages est celui de la «restitutio in integrum » ou de l'exécution par équivalence, c’est-à-dire le paiement d'une somme d'argent représentant la transposition pécuniaire du préjudice, afin de replacer le titulaire du droit d'auteur dans la situation où il aurait été, n'eût été la violation de ses droits d'auteur.
La preuve du dommage incombe - doit-on le rappeler - à la partie demanderesse.

Trop souvent les titulaires de droits d’auteur vont s'acharner à prouver la violation de leur droit en oubliant ou en négligeant d'étayer une preuve convaincante de dommages. C'est sans doute là un des éléments qui peut expliquer la modicité, parfois indécente, de certaines condamnations.

La question de l'évaluation des dommages-intérêts a donc une grande importance pratique et les titulaires des droits doivent dès lors s’attacher à prouver l’existence et l’ampleur de leur dommage (I.-).

Toutefois, ils éprouveront bien souvent une grande difficulté à établir de façon chiffrée les conséquences de l’atteinte, ce qui conduit cours et tribunaux à octroyer des dommages forfaitaires, ce que permet expressément depuis 2007 la loi transposant la directive européenne de 2004 (II.-).


I.- La preuve du dommage

Il existe différentes façons d'évaluer le montant des dommages-intérêts des titulaires des droits d’auteur.

Classiquement, appliquant les règles du Code civil, il convient de prendre en compte, d’une part, le gain dont l’auteur a été privé (lucrum cessans) et, d’autre part, la perte subie (damnum emergens) (a.-).

Les calculs étant souvent complexes, les cours et tribunaux reconnaissent généralement la valeur indicative des tarifs des sociétés d’auteurs et acceptent dès lors de chiffrer le montant des droits éludés sur base de ces tarifs qui sont objectifs, neutres et établis de façon « non suspecto » (b.-).

Dans certains cas, les magistrats font appel à des experts ou ordonnent des mesures avant dire droit pour préciser le calcul des dommages et intérêts (c.-).

Enfin, l’auteur spolié pourra également faire valoir un dommage moral ce qui comprend le dommage à son image et à celle de son œuvre contrefaite (d.-)


a).- Lucrum cessans et damnum emergens :

Pour chiffrer le préjudice, le plus simple théoriquement est de déterminer quel aurait été le bénéfice de l’auteur si son autorisation avait été sollicitée pour la reproduction des articles litigieux (lucrum cessans) et les pertes subies (damnum emergens).

Le préjudice matériel de l’auteur résulte du bénéfice manqué du fait des « ventes » non réalisées en raison de la contrefaçon. Il faut dès lors déterminer quelle est la « masse contrefaisant » et le bénéfice réalisé sur cette masse contrefaisant, en fonction de la marge bénéficiaire.

Dans le calcul des pertes subies, c’est essentiellement la perte de clientèle qui résulte de la contrefaçon, une partie parfois substantielle de cette clientèle pouvant être définitivement détournée, notamment quand la qualité des œuvres piratées est de qualité égale à celle diffusée par les titulaires de droits comme c’est le cas sur internet ou que l’accès aux œuvres par la contrefaçon apparaît plus facile ou plus maniable que celle du titulaire du droit lui-même.

C’est aussi, par voie de conséquence, la perte de la valeur patrimoniale du droit de propriété intellectuelle contrefait qui dépendra donc, notamment, d’une valorisation du droit en question. C’est encore le détournement des investissements de la recherche et du développement, ainsi que les investissements publicitaires. Enfin, il convient enfin de prendre en compte la dépréciation de l’œuvre, sa banalisation, ainsi que les frais causés par la contrefaçon (notamment les frais de recherche et de détection (cf. Note 5) .)

Le dommage des titulaires de droit consiste donc d’abord en une perte de rémunération (droits éludés) (1°.-). A ce premier montant, s’ajoute un dommage supplémentaire résultant de l’existence d’une reproduction sans autorisation (2°.-).


1°.- Le dommage des titulaires de droits consiste d’abord en une perte de rémunération (droits éludés).

Les titulaires de droits exploitant généralement eux-mêmes leurs droits d’auteur, l’exploitation concurrente et contrefaisant leur occasionne un manque à gagner. En tout cas, si le titulaire exploitait ses droits au moment de la contrefaçon. Sinon, le préjudice résultera de la violation des droits privatifs (et de la perte ou de l’atteinte aux possibilités futures d’exploitation). Il sera réparé par l’allocation d’une redevance indemnitaire.

Si le titulaire a exploité ses droits d’auteur en même temps que le contrefacteur, son préjudice commercial doit être évalué, de la façon la plus proche possible de la réalité.

Pour ce faire, les magistrats procèdent en deux étapes. Ils déterminent la « masse contrefaisant », soit la quantité de la contrefaçon ou les recettes issues de la vente des contrefaçons. Ensuite, ils fixent la rémunération due, c’est-à-dire le montant de droit d’auteur revenant au titulaire des droits du fait de l’utilisation de l’œuvre sans autorisation.


• Détermination de la masse contrefaisant :

1. La masse contrefaisant peut être déterminée en fonction du nombre d’œuvres, de leur valeur ou du chiffre d’affaires du contrefacteur, par exemple.

Par ailleurs, il faudra également apprécier si la totalité de la masse contrefaisant ou une partie seulement doit être prise en considération.

Dans la pratique, il est souvent difficile, parfois impossible, pour le titulaire du droit d'établir la réalité de la masse contrefaisant. Dans les affaires de piratage sur internet, par exemple. Cette tâche est d'autant plus difficile que l'atteinte a lieu dans un environnement en ligne et que le titulaire du droit n’est pas en mesure de déterminer le nombre de téléchargements illégaux effectués sur internet.

La contrefaçon de masse par diffusion via internet, pose donc des problèmes préalables d'importance : comment déterminer la quantité de diffusion, et par là même le préjudice - notamment quand cette diffusion est déclarée indéfinie ? Dans ce cas, il s'agit donc d'évaluer la perte vraisemblable, la perte de chance, car il n'y a pas de corrélation évidente entre le nombre de copies et les pertes de commercialisation.

2. Certains auteurs (cf. Note 6) considèrent qu’il faut tenir compte de la quantité de contrefaçons plutôt que du nombre de contrefaçons vendues : il y a contrefaçon non seulement par la vente mais bien plus largement dans sa fabrication, sa promotion, son offre en vente, etc. La masse contrefaisant à considérer est donc supérieure à la masse vendue et inclut en réalité l’ensemble des produits contrefaisant et les opérations qui ont accompagné sa vente.

Bien souvent, en matière de contrefaçon sur internet, on constate que la détermination par les magistrats de la part utile de la masse contrefaisant est faite en équité. Comment procéder autrement ? La collaboration du contrefacteur est nécessaire mais comment être sûr de ses chiffres ?

Ainsi, dans une affaire de téléchargement illégal à partir de sites d’échanges de fichiers musicaux sur internet (cf. Note 7) , le tribunal a estimé ex aequo et bono l’étendue de la contrefaçon à 2.500 fichiers audio (ou téléchargements). Le tribunal a refusé de prendre en compte les considérations de la SABAM qui estimaient que 95.000 fichiers auraient été téléchargés au motif que ce nombre « n’apparaît pas des éléments vérifiables et objectifs du dossier ». Comment le tribunal est-il arrivé à ce chiffre ?

Le tribunal a considéré « … qu’il est loin d’être acquis non seulement que toutes les personnes connectées, soit sur base de la période infractionnelle retenue environ 45.000 (300 p/j x 150 jours) aient toutes téléchargé un fichier, et encore moins que tous les fichiers aient suscité l’intérêt ; qu’il paraît raisonnable d’évaluer ces derniers ex aequo et bono à 2.500 fichiers ». Les téléchargements frauduleux sont donc évalués fictivement à 2.500.

Dans une autre affaire (cf. Note 8) qui portait sur la copie non autorisée du texte d’un site web, le tribunal a évalué la masse contrefaisant en tenant compte, notamment, du nombre de pages contactées pendant une période normale, du nombre de contacts marqués et de l’augmentation du nombre de contacts après la fin de l’infraction.

3. Une fois la partie utile de la masse contrefaisant déterminée, il convient de déterminer quelle rémunération le titulaire des droits serait en droit de percevoir sur les gains manqués.


• Détermination de la rémunération :

1. Dès lors qu’il appartient aux titulaires de droits, et à eux seuls, de fixer les conditions auxquelles ils subordonnent l’autorisation de reproduire leurs créations, le préjudice matériel devra au minimum être compensé en appliquant les conditions normales que l’auteur aurait stipulées si l’autorisation de reproduction lui avait été demandée (cf. Note 9) , tout en précisant que l’indemnité doit être supérieure aux conditions normales pour éviter la spéculation faite par le contrefacteur que l’abus ne sera peut-être pas découvert. C’est le côté « punitif » de l’indemnité que nous avons déjà évoqué.

Il s’agit en quelque sorte d’appliquer le prix de la cession non octroyée, de l’autorisation usurpée, autrement dit de la redevance que le titulaire aurait été en droit d’exiger mais au prix fort.

A défaut de tarifs habituels pratiqués par l’auteur pour un usage analogue, le juge peut se baser sur l’usage assez répandu d’octroyer à l’auteur une rémunération proportionnelle aux recettes brutes issues de l’exploitation non autorisée (cf. Note 10) (principe auquel la loi elle-même se réfère, art. 19 et 26). Le pourcentage des droits d’auteur revenant à l’ayant droit victime de la contrefaçon sera déterminée par les juges en fonction des usages et de l’importance de l’emprunt dans l’œuvre contrefaite (cf. Note 12) .

Le titulaire a donc droit au versement de redevances d'un montant raisonnable en cas d'atteinte, même s'il n'avait pas l'intention, de concéder l’autorisation d’exploiter l’œuvre en litige (cf. Note 12) .
Suivant une logique purement indemnitaire, le prix de cette autorisation, arrachée de force au titulaire des droits, devrait être au moins égal à celui que le titulaire du droit aurait lui-même pratiqué.

2. Si les juges tiennent compte du bénéfice net du contrefacteur, ils déduiront du chiffre d’affaire les dépenses de fabrication et d’exploitation pour obtenir ce bénéfice manqué (cf. Note 13) .

3. Le juge ne peut se contenter de substituer à un consentement refusé ou éludé une indemnité, sauf à revenir sur l’essence même du droit exclusif, et cela même dans le cas où le droit n’est pas du tout exploité. En assimilant le contrefacteur à un licencié, la jurisprudence encourage la contrefaçon, puisque le contrefacteur ne court finalement pas de risque : s’il est pris, il ne devrait payer que ce qu’il aurait payé s’il avait demandé une licence. C’est pourquoi, l’ensemble de la doctrine et de la jurisprudence s’accorde pour dire qu’il convient de majorer l’indemnité ou de l’assortir d’une indemnisation complémentaire au titre de la réparation des autres préjudices (cf. infra).

4. Une remarque encore : sur base du principe de l’équivalence entre le dommage et la réparation, certains soutiennent que le préjudice n’est pas mathématiquement égal au gain réalisé par le contrefacteur. Les bénéfices réalisés par le contrefacteur n’auraient pas nécessairement été réalisés par sa victime. Il se peut en effet qu’une partie des bénéfices du contrefacteur soit due au prix réduit de vente de la contrefaçon mais aussi à ses efforts commerciaux propres, sa situation géographique, etc. La victime de la contrefaçon peut donc être conduite à établir qu’elle était effectivement en mesure de vendre les produits contrefaits, de telle sorte qu’elle a subi un gain manqué qui est effectivement égal aux bénéfices du contrefacteur (cf. Note 14) .

5. Dans certains cas, l’exploitation des œuvres contrefaites ne génère aucun revenu en tant que tel puisque ces œuvres sont accessibles gratuitement au public. C’est le cas bien souvent en matière de diffusion sur internet. Il est donc impossible de déterminer la marge bénéficiaire ou la base de calcul d’une « participation proportionnelle » de l’auteur aux recettes du site.

Ces circonstances n’empêchent pas les magistrats de chiffrer le préjudice. En effet, même si, dans ce cas, l’utilisation des œuvres présente un caractère accessoire au regard de l’objet exploité, ne générant aucun revenu en tant que tel, l’utilisation qui en est faite sert de faire-valoir destiné à drainer davantage de ressources publicitaires et à valoriser les sites dans le but de rachats. Cette utilisation des œuvres représente bien évidemment une valeur économique même si ces données sont souvent considérées comme hautement confidentielles par les contrefacteurs.

Ainsi, dans les affaires de téléchargement illégal à partir de sites d’échanges sur l’internet, où aucune valeur économique n’est dégagée par les contrefacteurs qui diffusent gratuitement les enregistrements pirates en ligne, les cours et tribunaux comparent le dommage résultant de la fraude à la seule chose qui lui est comparable : le coût d’un téléchargement légal sur un site de musique en ligne (cf. Note 15) .

Il est vrai que les données objectives dans ce type de litiges font souvent état d’un nombre très impressionnant d’utilisations illicites. Ainsi, dans le procès qui oppose YouTube (Google) à la société Viacom (cf. Note 16) pour « violation massive et intentionnelle des droits d'auteur », le montant réclamé est de un milliard de dollars de dommages et intérêts pour la diffusion de séquences piratées sur des émissions de télévision à succès. Plus de 160.000 vidéos auraient ainsi été mise à disposition sans autorisation, ce qui représenterait 1,2 milliard de consultations sur le service de partage vidéo. Aujourd'hui, la plate-forme d'échange et de partage de vidéos en ligne, fondée en février 2005, attire plus de 120 millions de visiteurs uniques par mois (cf. Note 17) .

En raison de la difficulté rencontrée à chiffrer la contrefaçon sur internet, les tribunaux ne manquent pas de relever que « pour évaluer le préjudice subi, il conviendra de prendre en compte le fait que les œuvres mises à disposition des internautes ont pu ne jamais être téléchargées ou l’être plusieurs fois, et que les préjudices sont principalement constitués d’une perte de chance de bénéfice commerciaux» (cf. Note 18) .

Nous arrivons à un constat étonnant, plus l’appétit de l’ogre est grand moins il sera proportionnellement sanctionné.

6. En résumé, il convient soit de déterminer la marge bénéficiaire net que le titulaire des droits aurait réalisée s'il n'avait pas été privé du chiffre d'affaires correspondant à cette masse dans l’hypothèse où il exploite lui-même ses droits, soit de déterminer une redevance indemnitaire en se basant, par exemple, sur des tarifs indicatifs comme ceux pratiqués par les sociétés d’auteur dans des cas similaires (cf. infra) ou en appliquant les taux de rémunération proportionnelle habituellement pratiqués.

A titre d’exemple, on peut relever une décision de la Cour d’appel de Bruxelles (cf. Note 19) qui chiffre le dommage subi suite à la commercialisation d’œuvres musicales en multipliant le nombre d’exemplaires par le prix de gros, dont est soustraite une réduction moyenne de 15% et un dédommagement de distribution de 20%, ce qui fixe la marge bénéficiaire moyenne à 30% sur le résultat.


2°.- Le dommage supplémentaire résultant d’une reproduction sans autorisation :

Il est en toute hypothèse admis que le dommage subi ne peut se limiter au paiement des droits non payés : le montant de la condamnation doit en effet être supérieur aux droits demandés et normalement dus afin d’éviter que le contrevenant ne spécule sur l’impossibilité pour les titulaires de droits de tout contrôler, leur distraction ou leur hésitation à entamer une procédure (cf. Note 20) . Sans cela, le contrefacteur n’aurait aucun « avantage » à s’acquitter spontanément des ses obligations découlant de la loi.

C’est pourquoi, au montant des droits éludés, la jurisprudence ajoute systématiquement une indemnité pour la reproduction des éléments protégés sans autorisation des titulaires de droits.

Une majoration de 100 à 300 % des droits éludés est généralement accordée par les Cours et Tribunaux qui estiment qu’il s’agit d’une indemnité qui revêt « un caractère dissuasif certain ce qui n’est pas critiquable en soi vu la nécessité de décourager ce genre de pratique » (cf. Note 21) .

Un arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles du 3 mai 2005 se montre plus réservé en décidant que ce préjudice complémentaire doit être démontré in concreto et qu’on ne peut pas accepter en général qu’ils correspondent à un multiple des droits de reproduction (cf. Note 22) . Il s’agit toutefois d’une décision qui reste isolée.


b.- L’application des tarifs des sociétés d’auteur

Même si la jurisprudence rappelle régulièrement que les tarifs des sociétés d’auteur ne sont pas opposables aux contrefacteurs, elle reconnaît la valeur indicative de ces tarifs en ce qu’ils reflètent adéquatement les usages ayant cours dans la profession (cf. Note 23) .

Quelques décisions isolées(cf. Note 24) considèrent, comme certains auteurs (cf. Note 25) , qu’une application aveugle des tarifs et majorations préconisés par les sociétés de gestion collective des droits est contraire au principe fondamental d’une réparation du seul dommage réellement subi et démontré.

Le montant des différentes indemnités complémentaires postulées dans les tarifs des sociétés d’auteur ne peut être cumulé aveuglément. Les cours et tribunaux sont attentifs à vérifier la réalité des préjudices complémentaire de manière à ce que le cumul des indemnités complémentaires ne conduise pas à réclamer des montants anormalement élevés, sans rapport avec l’atteinte commise.

Si des indemnités pour défaut d’autorisation, absence de mention du nom de l’auteur ou modification de l’œuvre sont octroyées, les cours et tribunaux refusent généralement d’appliquer les indemnités pour atteintes répétées au droit d’auteur au motif que la notion de « récidive » est une notion propre au droit pénal qui ne trouve pas à s’appliquer dans les litiges civils.

Notons que les dommages et intérêts ne sont pas soumis à la TVA (cf. Note 26) .


c.- L’expertise et la communication d’informations sous astreinte

Dans certains cas, les tribunaux recourent à l’expertise comptable pour évaluer le préjudice patrimonial (cf. Note 27) .

L'utilité de l'expertise réside dans la détermination pédagogique du préjudice. Il s'agit pour l'expert d'établir un rapport présentant avec exhaustivité la masse contrefaisant. Mais au-delà des principes d'évaluation, les difficultés sont d'une intensité variable, selon les supports ou flux de diffusion de cette masse, notamment en considération des nouveaux modes de diffusion sur internet qui favorisent la diffusion de copies de qualité identiques à l’originale, en grand nombre et très rapidement.

Les juridictions civiles sont toutefois réticentes pour ordonner une expertise comptable qui prolonge la durée de la procédure et augmente les frais, sauf lorsque la masse contrefaisant est très importante.

Ainsi, dans plusieurs affaires où les éditeurs de presse avaient diffusé des articles écrits par les journalistes sur internet sans payer de droits aux journalistes, l’expertise a été ordonnée pour chiffrer le préjudice.

A titre d’exemple, le TGI de Lyon décide «que la demande d'expertise doit être accueillie pour évaluer le montant des redevances et indemnités susceptibles d’être alloués aux demandeurs, à défaut de meilleur accord entre les parties sur ce point » (cf. Note 28) . Le TGI de Paris a ordonné une mission d’expertise aux fins « de se faire remettre tous documents et de recueillir tous éléments d’information permettant au tribunal de chiffrer, en fonction des usages, le montant des redevances que devaient percevoir les journalistes au titre de la reproduction contrefaisant de leurs œuvres sur Minitel » (cf. Note 29) .

Le tribunal peut également condamner le contrefacteur à produire, sous astreinte, un relevé exact, complet et précis des utilisations non autorisées afin d’évaluer exactement les droits éludés (cf. Note 30) ou de manière plus générale « toute information qui peut déterminer de manière précise le préjudice subi » (cf. Note 31) ou encore, plus simplement, sa comptabilité (cf. Note 32) .
Généralement, des dommages et intérêts provisionnels sont alors alloués dans l’attente de la réouverture des débats.


d.- Le dommage moral :

Les cours et tribunaux accordent également des dommages-intérêts pour préjudice moral en cas d'atteinte au droit d’auteur. Cette solution est fréquemment utilisée lorsque la violation des droits est considérée comme particulièrement grave ou que l'atteinte était intentionnelle. Dans la pratique, ce type de dommages-intérêts est le plus souvent accordé dans des affaires où la réputation de l’auteur a été entachée ou mise à mal par l'atteinte.

On trouve un exemple de cette solution à l'article 13.1.a) de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil relative au respect des droits de propriété intellectuelle, qui précise que, lorsqu'elles fixent les dommages-intérêts, les autorités judiciaires prennent aussi en considération, dans des cas appropriés, des éléments autres que des facteurs économiques, comme le préjudice moral causé au titulaire du droit du fait de l'atteinte.

Sur le plan moral, l’auteur peut faire valoir différents dommages : défaut de contrôle de la qualité de la reproduction, banalisation de l’œuvre et reproduction de celle-ci sur des supports non souhaités. Il convient de souligner que cette partie du dommage sera d’autant plus élevée que le contrefacteur se sera éloigné du type de reproduction qui aurait été acceptée par l’auteur.

En outre, la reproduction d’une œuvre sans l’autorisation de l’auteur revient à nier l’existence du droit d’auteur de ce dernier. Lorsque la publication ne mentionne pas le nom de l’auteur, il y a violation du droit à la paternité de l’œuvre. La perte de reconnaissance consécutive à ces violations est constitutive d’un dommage moral.

Ce préjudice moral qui n’est pas directement chiffrable doit être évalué ex æquo et bono (cf. Note 33) . Les tarifs des sociétés d’auteur sont un élément à prendre en considération. D’autres éléments doivent également entrer en ligne de compte pour affiner l’évaluation du préjudice comme, par exemple, le type d’utilisation de l’œuvre, la mise en relation de l’œuvre avec d’autres contenus éventuellement préjudiciables, la publicité entourant la diffusion de la reproduction non autorisée, ou d’autres éléments propres à la cause (cf. Note 34) .


II.- L’évaluation ex æquo et bono

En pratique, l’évaluation forfaitaire du préjudice reste le principe et non l’exception (cf. Note 35) . En effet, il peut être très difficile, voire impossible, pour le titulaire du droit d'établir le montant des dommages réels.

Les cours et tribunaux justifient régulièrement le recours à l’équité par l’impossibilité à chiffrer la hauteur du préjudice à défaut de données précises (cf. Note 36) et de la difficulté pour la victime à les recueillir. Dans ce cas, les magistrats veillent à ce que le montant de la condamnation soit suffisant pour que le contrefacteur ne tire aucun avantage financier de l’usage non autorisé des œuvres (cf. Note 37) .

Dans les affaires de piratage du droit d'auteur sur internet, par exemple, l'ampleur exacte de l'atteinte est quasi impossible à établir pour la victime, pourtant tenue d’après les principes d’établir son préjudice et d’indiquer le nombre de téléchargements illégaux effectués sur l'Internet.

La directive 2004/48/CE relative au respect des droits de propriété intellectuelle (transposée en droit belge par les lois des 9 et 10 mai 2007) encourage d’ailleurs l’indemnisation forfaitaire en permettant aux autorités judiciaires de « fixer un montant forfaitaire de dommages-intérêts, sur la base d'éléments tels que, au moins, le montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrevenant avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit de propriété intellectuelle en question » (art. 13.1.b).

Ce qui officialise une pratique constante en Belgique.

La loi transposant cette directive rappelle dans un premier temps le principe de la réparation intégrale du dommage. Tout en autorisant explicitement le tribunal à choisir entre l’évaluation du dommage réel ou l’allocation d’une somme forfaitaire (en droit d’auteur, cf. le texte du nouvel article 86bis, précité en note).

De plus, le titulaire de droit est en droit de demander une indemnité complémentaire, compte tenu des frais et inconvénients de la procédure. Ce dernier préjudice est distinct des honoraires d’avocat correspond notamment aux charges supportées par le titulaire pour contrôler le marché en général et pour instruire et gérer le dossier relatif aux contrefaçons, La doctrine et la jurisprudence sont unanimement dans ce sens (cf. Note 38) .


B.- EN PRATIQUE - QUELQUES PISTES D’EVALUATION A LA LUMIERE D’UN CAS LARGEMENT MEDIATISE

Considérant les développements de principe rappelés ci-dessus, comment calculer le préjudice d’un éditeur alors qu’il est confronté à diverses inconnues comme le nombre réel de fichiers partagés (peer to peer), le nombres de visiteurs d’un site Web, le nombre de pages ou de fichiers vus par les autres internautes ?

Ce calcul passe obligatoirement par la détermination de la « masse contrefaisant » (I°.-). Ensuite, il convient de chiffrer le montant de droit d’auteur revenant au titulaire des droits du fait de l’utilisation de ces fichiers sans leur autorisation (II°.-).

Prendre comme exemple l’affaire Copiepresse contre Google me semble illustratif et complémentaire à de nombreuses études publiées sur le sujet qui n’ont pas abordé, pour la plupart d’entre elles, l’évaluation de la réparation à accorder à la victime de la contrefaçon.


I°.- Détermination de la « masse contrefaisant »

La « masse contrefaisant » peut être déterminée en fonction du nombre de fichiers présents sur l’ordinateur du contrefacteur ou de son site Web (pris dans un sens large : site Web, serveur FTP, blog, fils RSS, etc…) (a.-) de leur valeur (b.-) voire en fonction du chiffre d’affaires du contrefacteur en cas de vente et non d’échange ou de mise à disposition à titre gratuit.


a.- Le nombre d’articles

Quelle est la quantité de fichiers d’un éditeur présents ?

A noter que ces fichiers peuvent présenter des natures très diverses : musiques, films, photographies, infographies, textes,…

Ce chiffre peut être affiné en recherchant le nombre de fichiers effectivement affichés par les internautes. En effet, certains fichiers ont pu ne jamais être visualisés ou certains l’être plusieurs fois.

Lorsqu’il s’agit d’une contrefaçon visant à reproduire et à communiquer au public tout ou partie d’un site Web, il faudrait idéalement le contrefacteur produise ses logs selon la règle de base qui veut que chacune des parties contribue à la preuve du dommage dès lors que la faute est établie).

Si le contrefacteur reproduit l’intégralité d’un fichier litigieux, les logs du site d’origine sont sans intérêt puisque le visiteur n’arrivera jamais sur le site d’origine.

S’il s’agit de fichiers partiellement reproduits sur le site du contrefacteur (extrait ou fils RSS), les logs du site d’origine ne permettraient que de chiffrer le nombre d’internautes qui, après avoir pris connaissance du contenu contrefait cliquent sur l’article pour le lire, l’écouter, le voir entièrement.

On se souviendra que dans l’affaire COPIEPRESSE / GOOGLE, cette dernière à affirmer qu’elle apportait 10 % des visiteurs de son service GOOGLE ACTUALITES aux éditeurs de la presse.

Si tous les éditeurs concernés disposent encore à ce jour des données de connexions concernant la période antérieure à leur « blacklisting », il serait donc possible de déterminer le nombre de visiteurs de GOOGLE ACTUALITES qui ont visité ce service. Toutefois, cette évaluation ne reposerait que sur la seule affirmation de GOOGLE INC.

On comprend qu’il serait évidemment beaucoup plus naturel de demander au Tribunal d’ordonner la production des logs se rapportant à GOOGLE ACTUALITES sur une période donnée plutôt que de rechercher à recouper ces données grâce aux logs conservés par les multiples responsables réseaux des éditeurs.

En l’absence de précision complémentaire de la part de GOOGLE INC, il convient de tenir compte de l’ensemble des articles potentiellement consultables plutôt que du nombre d’articles effectivement consultés. En effet, c’est l’importance du fonds éditorial qui permet à GOOGLE INC de proposer des prix très attractifs pour ses liens publicitaires (ADWORDS).

Sur cette base, la masse contrefaisant doit être évaluée en tenant compte des fichiers présents sur les (serveurs) services de GOOGLE INC.


b.- La valeur des fichiers

On pourrait valoriser les fichiers contrefaits en les comparant au coût d’un téléchargement légal sur un site en ligne.

Soit par exemple 0,99 € pour un morceau de musique sur iTunes ou 1,00 € pour un article d’un quotidien du groupe Rossel.

S’il n’y a pas lieu de tenir compte du nombre d’articles effectivement consulté mais au contraire la quantité de contrefaçons, il y a encore lieu de distinguer le mode de communication au public. En effet, une communication massive au public a pour effet d’épuiser l’œuvre.

C’est certainement pour cette raison que des sociétés de gestion comme COPIEPRESSE ont établi des tarifications différentes :

- 1 article pendant 1 an dans un intranet de 10 personnes = 1,60 €
- 1 article pendant 1 an dans un intranet de 10 personnes = 16,00 €
- 1 article pendant 1 an sur un site Web privé = 50,00 €
- 1 article pendant 1 an sur un site Web des Secteur Public / Enseignement / ASBL = 20,00 €
- 1 article pendant 1 an sur un site Web pour une « utilisation commerciale » = 300,00 €


II°.- La rémunération des ayants droit

Quelle est la redevance que les éditeurs de presse auraient été en droit d’exiger en contrepartie de l’utilisation qui est faite de leur fonds éditorial ?

Il convient de se référer aux redevances généralement appliquées par les éditeurs pour l’exploitation de leur fonds éditorial en se référant à ce qui se pratique généralement dans le secteur de la presse électronique, sans cependant ignorer les spécificités de l’espèce.

Ainsi, dans le litige qui oppose l'Agence France Presse (AFP) à Google News aux Etats-Unis, l’AFP réclame 17,5 millions de dollars, soit le prix que l'agence aurait facturé au moteur pour les mêmes prestations qu'à un site abonné. Dans le cadre de la même procédure menée cette fois en France par l’AFP, le préjudice est évalué forfaitairement.

Nous proposons deux méthodes de calculs qui peuvent aider le juge à déterminer le montant de l’indemnité. La première est basée sur la valeur des articles selon les tarifs de Copiepresse (a.-). La deuxième sur la valeur des articles pour Google dont le chiffre d’affaire est fonction de la vente publicitaire liée au contenu référencé (b.-).


a.- Dédommagement sur base du tarif de Copiepresse

Les éditeurs ont des tarifs pour l’utilisation de leurs articles en ligne qui peuvent servir de référence.

Toutefois, ces tarifs n’ont jamais été appliqués pour chiffrer des exploitations quantitativement aussi importantes que celles réalisées par Google.

Au-delà de l’indemnisation, la vraie question digne d’intérêt pour notre société et les générations futures de plus en plus tournées vers l’ère numérique est laquelle de ses trois entreprises arrivera, en accord avec Copiepresse, à créer un modèle économique respectueux des droits de tous.

Ceci étant dit, les tarifs de Copiepresse fixent le prix de la mise sur internet d’un article pour une année entre 20 et 300 euros :

- 1 article pendant 1 an sur un site Web des Secteur Public / Enseignement / ASBL = 20 euros
- 1 article pendant 1 an sur un site Web privé = 50 euros
- 1 article pendant 1 an sur un site Web pour une « utilisation commerciale » = 300 euros

Si un juge devait considérer que Google utilise les articles à des fins commerciales, il devrait prendre en compte la tarification de 300 euros.

Toutefois, ce serait nier le rôle social des moteurs de recherche de telle sorte qu’il devrait raisonnablement choisir la tarification de 50 euros.

Pour Google News, le prix à l’article devrait être réduit (par exemple de 30%) eu égard au fait qu’il s’agit dans ce cas de reproductions partielles actuellement sans adjonction de publicité et qu’il y a un apport de visiteurs aux sites des éditeurs ;

Pour Google Search, le prix à l’article devrait être réduit (par exemple de 50%) dans la mesure où, à défaut de données fournies par Google et certifiées par un tiers, il est impossible d’évaluer dans cette contrefaçon massive le nombre d’articles réellement consultés.

Théoriquement, on doit que regretter que la raison aboutisse à l’iniquité puiqu’un « petit » contrefacteur sera proportionnellement nettement plus « sanctionné » qu’un « ogre ».

A ce montant, il convient d’ajouter une indemnité complémentaire pour couvrir l’indemnisation du dommage matériel supplémentaire ainsi que le dommage moral. A ce titre, les cours et tribunaux accordent au maximum de 100 à 200% du montant des droits éludés.


b.- Dédommagement sur base du chiffre d’affaire de Google

La principale source de revenus de Google est publicitaire. La société, qui pointe aujourd'hui, en termes d'audience, au premier rang des moteurs de recherche, exploite le filon publicitaire lié à l'alerte sur l'information sans avoir à supporter le coût de la rédaction des articles, ce qui lui permet de proposer des tarifs publicitaires très attractifs.

L'offre publicitaire de Google est essentiellement composée de liens sponsorisés. Le nombre de places étant limité (8 annonces sur la première page), Google met aux enchères les mots clefs payants et c'est donc au plus offrant que se disputent les premières places.

Quels sont les revenus que génèrent les articles litigieux pour Google ?

Pendant longtemps le modèle de facturation au CPM (paiement à l’affichage ou coût pour mille) (cf. Note 39) a prévalu sur internet pour finalement se faire détrôner par celui du CPC (coût par clic) (cf. Note 40) imposé par les moteurs.

Google a toujours refusé de communiquer le CPM moyen pour ses publicités. Ce taux varie selon la qualité des mots-clés et leur caractère stratégique.

Nous disposons par contre de nombreuses informations sur le prix moyen du CPC, c’est-à-dire le montant moyen des enchères sur les mots clefs. Ainsi, selon une étude menée par le site MarketingSherpa et citée dans le rapport « Search Marketing: Players and Problems » d'e-Marketer publié en mars 2006 (cf. Note 41) , le coût par clic moyen chez Google est de 1,61 $ en 2005 (contre 1,29 $ en 2004).

En utilisant le programme de demande de devis en ligne de Google, on constate qu’une campagne en lien avec la presse belge coûte en moyenne 0,20 cents le CPC (cf. annexe 2). On peut donc très raisonnablement estimer la valeur du CPC sur Google a 0,20 cents pour l’achat de mots clés ciblé sur la presse belge.

L’avantage du CPC est qu’il tient compte du fait que toutes les publicités qui s’affichent sur Google ne conduisent pas systématiquement à l’affichage de l’annonce. Il n’y a donc plus à ventiler le nombre d’articles en fonction de ceux qui auraient ou non été visualisés par les internautes.

Sur base de ces chiffres, on peut raisonnablement estimer les revenus publicitaires de Google sur base de la formule suivante :

NOMBRE DE PAGES X NOMBRE DE PUBLICITE X TAUX MOYENS DE CPC

On peut donc affirmer qu’une page de contenu presse dans Google dégage un chiffre d’affaire compris entre 0 et 1,60 euros (soit 8x0,20 cents). Il s’agit là d’une évaluation très raisonnable (cf. Note 42) .

En d’autres termes, le nombre de fichiers contrefaits constitue un fonds éditorial qui lui permet potentiellement de dégager un chiffre d’affaire compris entre 0 et 1,60 euros par page consultée.

Nous ne connaissons pas le nombre de pages consultées chaque jour dans Google. Toutefois, dans l’hypothèse où les éditeurs de presse communiqueraient leurs logs (cf. supra), nous serions en mesure d’estimer le nombre de visites que représente Google.

A ce stade, nous ne pouvons qu’extrapoler et raisonner par comparaison avec les chiffres officiels connus pour des sites similaires à Google.

Ainsi, on sait par exemple que MSN Belgium représente 3.858.904 pages vues par jour, Le Soir en ligne 641.673 pages vues par jour, La Libre Belgique, 191.977 pages vues par jour ou encore Le Vif L’Express 26.646 pages vues par jour (cf. Note 43) .

On peut raisonnablement estimer que Google représente un nombre de pages vues nettement plus importantes que MSN Belgium puisque d’après les chiffres communiqués par Google, Le moteur de recherche de MSN représente 3% du marché belge contre 85 % pour Google. A nouveau, sur les seules allégations de Google, il s’agirait donc de :

(3.858.904 pages vues par jour x 85) / 3

Parmi ces 109.335.613 pages, combien concernent l’actualité ? On sait que les recherches sur l’actualité représentent 46 % des requêtes des internautes (cf. Note 44) . On peut donc estimer raisonnablement que 50.294.382 pages vues par jour dans Google se rapportent à l’actualité.

Ces pages représentent potentiellement un chiffre d’affaire compris entre 10.058.876 euros (pour une publicité par page) et 80.471.011 euros (pour 8 publicités par pages).

Toutefois, dans ce calcul, les inconnues restent nombreuses. En l’absence de communication des logs de Google qui permettraient exactement de savoir combien de pages sont effectivement consultées, le calcul ne peut être qu’approximatif.

Enfin, ces montants peuvent paraitre exorbitants mais correspondent au chiffre d’affaires de Google soit 3.811 millions USD de revenus publicitaires uniquement pour le dernier trimestre 2008.

* * *



En conclusion, notre préférence va à la première méthode de calcul.

En effet, la doctrine et la jurisprudence s’accordent pour dire que l’indemnité doit correspondre à la redevance que le titulaire aurait été en droit d’exiger. Dans ce calcul, Google doit donc être assimilé à un licencié. A ce titre, il doit payer le prix qu’aurait payé un licencié, soit le tarif Copiepresse.

En d’autres termes, il convient de déterminer le nombre de fichiers présents sur les serveurs de Google idéalement juste avant le blacklistage des éditeurs de la presse francophone belge.

Google doit fournir ces informations selon la règle de base qui veut que chacune des parties contribue à la preuve du dommage dès lors que la faute est établie.

Il doit être techniquement à même de les fournir puisque s’il a effacé ces fichiers, il a forcément été capable de les identifier.

Un prix raisonnable pourrait être calculé comme suit :

- Articles sur le moteur de recherche x 50 euros x 50%
- Articles sur Google news x 50 euros x 30 %

Ce prix doit ensuite être majoré d’une indemnité complémentaire qui vise à réparer les autres préjudices (dommage moral, perte d’image, etc.). Les indemnités complémentaires accordées par les tribunaux sont généralement comprises entre 100 et 200 % du montant des droits éludés.

Même si l’attitude de Google ferait pencher la balance vers les 200%, eu égard aux montants en jeux, nous pensons que les magistrats auront tendance à appliquer une indemnité complémentaire de 100%.



Alain Berenboom
Professeur à l’Université Libre de Bruxelles
Avocat au barreau de Bruxelles – Association d’avocats Berenboom




Notes :


  • (1) Cass., 23 juin 1981, Pas., 1981, I, p. 12 ; Cass., 15 mars 1985, J.T., 1986, I,p. 8.

  • (2) A. LucaS, Traité, 3ème éd., Litec, 2006, n°984 ; J.-P. Martin, « Le nouveau régime de contrefaçon de titres de propriété intellectuelle selon la directive du 29 avril 2004 », Prop. Ind., 2004, chron. 17.

  • (3) Une application légale de cette façon de considérer l’indemnisation : le nouvel art.86 bis § 2 de la loi (transposant la directive du 29 août 2004) : « En cas de mauvaise foi, le juge peut, à titre de dommages et intérêts, ordonner la cession de tout ou partie du bénéfice réalisé à la suite de l'atteinte », donc même si ce bénéfice est supérieur à la perte de la victime.

  • (4) Bruxelles 18 avril 1997 (Lot. Nat.), A.& M. 97, 281.

  • (5) Cf. Conclusions de Monsieur le Procureur Général Ganshof van der Meersch, alors Avocat général, préc. Cass. 4 décembre 1952, Pas., 1953, I, 219 ; Bruxelles, 18 avril 1997, A. & M., 1997/3, p. 278 ; L.Van Bunnen, « Procédure pénale et civile (l’action en contrefaçon) », in Le renouveau du droit d’auteur en Belgique, 1996, p. 406.

  • (6) M. Buydens, « La réparation du dommage en droit de la propriété industrielle »,
    R.D.C
    ., 1995, p. 451.

  • (7) Corr. Bruxelles (55e ch.), 25 octobre 2004, A. & M., 2005/2, p. 136.

  • (8) Civ. Bruxelles, 23 janvier 2003, A. & M., 2005/4, p. 305.

  • (9) Civ. Kortrijk, 20 avril 2004, A. & M., 2005/1, p. 57.

  • (10) Bruxelles, 18 avril 1997, A. & M., 1997/3, p. 278 et la note de B. Michaux ; Bruxelles, 15 septembre 2000, A. & M., 2001/2, p. 240.

  • (11) Bruxelles, 15 septembre 2000, A. & M., 2001, p. 240.

  • (12) Bruxelles, 18 avril 1997, A. & M., 1997/3, p. 278 et la note de B. Michaux.

  • (13) Civ. Liège, 27 mars 1991, Ing.-cons., 1992, p. 341 : « le préjudice doit tenir compte des frais généraux qui auraient dû être exposés par la demanderesse et donc de sa marge bénéficiaire ».

  • (14) M. Buydens, « La réparation du dommage en droit de la propriété industrielle », R.D.C., 1995, p. 451 ; Toutefois voir en sens contraire : Bruxelles, 14 octobre 1993, I.C., 1993, 358 : Dans cet arrêt rendu en matière de copie de logiciels protégés par le droit d’auteur, la Cour a considéré que le préjudice est égal au gain réalisé grâce à la copie.

  • (15) Corr. Bruxelles (55e ch.), 25 octobre 2004, A. & M., 2005/2, p. 136.

  • 16) L'éditeur des chaînes MTV et Comedy Central, également propriétaire de la Paramount.

  • (17) Chiffres Comscore, décembre 2006.

  • (18) TGI Meaux, 21 avril 2005, 3ème ch. corr., inédit, disponible sur droit-technologie.org.

  • (19) Bruxelles, 29 avril 2003, A. & M., 2003/5, p. 374.

  • (20) Civ. Bruxelles, 24 juin 1999, A. & M., 2001/3, p. 373 ; Bruxelles, 23 mars 2002, A. & M., 2001/3, p. 375 ; Bruxelles, 25 septembre 2001, A. & M., 2004/4, p. 327 ; Civ. Bruxelles, 17 janvier 2003, A. & M., 2004/4, p. 335 ; Civ. Bruxelles, 30 mai 2003, A. & M., 2004/4, p. 337.

  • (21) Bruxelles, 9ème chambre, 1er février 2007, inédit, R.G. n° 2004/AR/731.

  • (22) Bruxelles, 3 mai 2005, A. & M., 2005/5, p. 419.

  • (23) Bruxelles, 25 février 1999, IRDI 1999, p. 93 et la note critique de M. De Vuyst ; Bruxelles, 29 mars 1991, RM 1991-1992, p. 814 ; Civ. Bruxelles, 10 février 1998, A. & M., 1998/4, p. 363 ; Civ. Bruxelles, 24 juin 1999, A. & M., 2001/3, p. 373 ; Bruxelles, 23 mars 2002, A. & M., 2001/3, p. 375 ; Bruxelles, 25 septembre 2001, A. & M., 2004/4, p. 327 ; Civ. Bruxelles, 17 janvier 2003, A. & M., 2004/4, p. 335 ; Civ. Bruxelles, 30 mai 2003, A. & M., 2004/4, p. 337 ; Civ. Bruxelles, 21 novembre 2003, A ; & M., 2005/1, p. 47 ; Bruxelles, 3 mai 2005, A. & M., 2005/5, p. 419 : « tenant compte du fait que les tarifs des sociétés de gestion émanent d’une organisation reconnue de professionnels, qui les décrivent généralement comme adéquats, l’on peut accepter qu’ils offrent une base raisonnable pour l’évaluation du droit de reproduction ».

  • (24) Civ. Bruxelles, 9 juin 1995, R.G., n° 13.736/92, inédit, cité par E. Derclaye et A. Cruquenaire, op. cit., A. & M., 2001/3, p. 384 ; Civ. Bruxelles, 20 avril 2006, A. & M., 2007/4, p. 356 ; Gand, 22 avril 1998, IRDI 1998, p. 232

  • (25) M. Buydens, « La réparation du dommage en droit de la propriété industrielle », R.D.C., 1995, p. 451 ; E. Derclaye et A. Cruquenaire, « Quelques considérations sur les modalités d’intervention en justice des sociétés de gestion collective, sur la portée de certaines exceptions au droit d’auteur, et sur l’évaluation du préjudice résultant d’une atteinte au droit d’auteur », A. & M., 2001/3, p. 378 ; S. Malengreau, « Atteintes aux droits d’auteur : dommages et intérêts », I.R.D.I., 2003, p. 190.

  • (26) Civ. Kortrijk, 20 avril 2004, A. & M., 2005/1, p. 57.

  • (27) Civ. Tournai, 8 septembre 1997, A. & M., 1998/2, p. 145 ; Bruxelles, 15 septembre 2000, A. & M., 2001/2, p. 240.

  • (28) TGI Lyon (10ème ch.), 21 juillet 1999, disponible sur droit-technologie.org.

  • (29) TGI Paris, 1ère chambre, 1ère section, 14 avril 1999, disponible sur legalis.net.

  • (30) Civ. Bruxelles, 18 janvier 2000, A. & M., 2001/4, p. 461.

  • (31) Civ. Bruxelles, 9 février 2001, A. & M., 2001/4, p. 464.

  • 32) Civ. Kortrijk, 31 janvier 2001, A. & M., 2004/3, p. 265.

  • (33) Civ. Bruxelles, 5 janvier 2001, A. & M., 2001/3, p. 385 ; Civ. Bruxelles, 21 novembre 2003, A. & M., 2004/2, p. 156 : « l’évaluation du préjudice [tenant à l’atteinte au droit moral de paternité] doit se faire ex æquo et bono, quels que soient les critères éventuellement à prendre en considération » ; Civ. Bruxelles, 23 janvier 2003, A. & M., 2005/4, p. 305 : « le dommage moral est évalué ex æquo et bono ».

  • (34) En ce sens voir : E. Derclaye et A. Cruquenaire, « Quelques considérations sur les modalités d’intervention en justice des sociétés de gestion collective, sur la portée de certaines exceptions au droit d’auteur, et sur l’évaluation du préjudice résultant d’une atteinte au droit d’auteur », A. & M., 2001/3, p. 378.

  • (35) Civ. Bruxelles, 10 février 1998, A. & M., 1998/4, p. 363 : « attendu que les indemnités réclamées ne paraissent pas excessives dès lors qu’elles constituent l’évaluation forfaitaire d’un dommage matériel (méconnaissance des droits patrimoniaux) et moral (méconnaissance du droit à l’intégrité de l’œuvre et du droit de paternité sur l’œuvre) résultant de la violation des droits d’auteur et qu’elles doivent être suffisamment dissuasives afin d’éviter toute spéculation sur les faibles risques de découverte de l’usage illicite de l’œuvre protégée » ; Bruxelles, 23 mars 2002, A. & M., 2001/3, p. 375 : « A défaut de convention et d’éléments précis d’évaluation du dommage, le dommage doit être évalué en équité » ; Mons, 13 mai 2002, A. & M.,2002/5, p. 421 : « attendu que le dommage matériel de l’appelant doit être évalué en tenant compte du prix qu’il aurait pu obtenir s’il avait pu vendre les enregistrements litigieux ; que (…) celui-ci peut être évalué ex æquo et bono à 5.000 USD » ; Bruxelles, 13 septembre 2001, A. & M., 2003/1, p. 49 : « attendu que faute de pouvoir chiffrer la hauteur du dommage distinct engendré par la commission des faits jugés établis dans le chef des prévenus concernés, la cour ne pourra que recourir à un mode d’évaluation forfaitaire » ; Civ. Bruxelles, 21 novembre 2003, A. & M., 2005/1, p. 47 : « le dommage doit être calculé ex æquo et bono ».

  • (36) Bruxelles, 31 juin 2003, A. & M., 2003/5, p. 380 ; Bruxelles, 15 septembre 2004, A. & M., 2005/3, p. 240 : « puisqu’il n’y a pas de données précises pour évaluer le dommage, ceci doit se faire en équité ».

  • (37) Bruxelles, 31 juin 2003, A. & M., 2003/5, p. 380 : « à défaut de données précises, le dédommagement doit être calculé équitablement et fixé de telle sorte que la personne qui a sorti un CD sans avoir obtenu l’autorisation de l’ayants droit, n’en tire pas d’avantage financier ».

  • (38) L.Van Bunnen, « Procédure pénale et civile (l’action en contrefaçon) », in Le renouveau du droit d’auteur en Belgique, 1996, p. 406.

  • (39) Un annonceur paye un montant pour l’affichage de mille impressions de sa publicité.

  • (40) Un annonceur paye un montant en fonction du nombre de clic sur sa publicité.

  • (41) http://www.emarketer.com/Report.aspx?code=search_marketing_players_apr06

  • (42) Nous avons retenu la valeur du CPC à 0,20 euros alors que le coût par clic moyen chez Google était de 1,61 $ en 2005.

  • (43) Chiffres CIM-MetriWeb : http://www.cim.be/mtwb/fr/d/dp/index.html

  • (44) « Usages TIC en Région wallonne - Citoyens 2006 », pages 82-83.




Source : DroitBelge.Net - Actualités - 26 mars 2009


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