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L'Europe veut freiner le textile "made in China"

Par Yola Minatchy

Mardi 24.05.05

Le 1er janvier 2005 a sonné le glas définitif du système des quotas d’importations textiles en faveur d’une libéralisation accrue du marché mondial. D’où l’actuel déferlement sans précédent de produits textiles chinois sur le marché de l’Union européenne, et des Etats-Unis.

A l’issue du premier trimestre 2005, les chiffres ont déjà explosés de manière exponentielle : à titre d’exemple, les importations chinoises ont augmenté de 893% pour les pull overs, de 542% pour les robes, de 410 % pour les pantalons hommes, 1400% pour les bas et collants (1) . Des performances sans commune mesure pour la Chine générant sur le marché européen du textile des distorsions évidentes.

Au sein de l’Union européenne, l’industrie textile avait certes progressivement abandonné le segment bas de gamme de ce marché en s’orientant vers des segments à plus forte valeur ajoutée. Néanmoins, la Grèce, le Portugal, la Slovénie sont les Etats membres les plus fortement touchés par le raz de marée de produits chinois (2) . D’une manière générale, une détérioration de la situation de l’industrie textile en Europe est constatée en termes de production, de rentabilité, et d’emploi.

Le 29 avril 2005, le Commissaire européen au Commerce, Peter Mandelson, a lancé une enquête d’une durée de 90 jours afin de déterminer l’étendue des impacts intra Union de la flambée des importations « made in China ». Cette étude sera achevée au plus tard le 29 juin 2005, date à laquelle l’Europe décidera de la nécessité de recourir à des mesures de sauvegarde temporaire.


Révolution de la règle du jeu international du secteur textile sous l’égide de l’OMC

Les dés de la révolution textile ont été lancés depuis 1994 lors de la signature à Marrakech de l’Accord sur les Textiles et Vêtements dans le cadre du General Agreement on Tariffs and Trade (G.A.T.T), prélude à l’Organisation Mondiale du Commerce (ci-après OMC). Le G.A.T.T régissait uniquement le commerce des marchandises, tandis que l’OMC , créée le 1er janvier 2005, dispose de compétences plus larges. En adoptant l’Accord sur les Textiles et les Vêtements en 1994, le G.A.T.T vise à mettre fin aux Accords Multifibres de 1974 qui ont permis pendant 40 ans à l’Europe et aux Etats-Unis de protéger leur industrie nationale par l’instauration d’un système des restrictions quantitatives (quotas) des produits textiles. Il ne s’agit donc pas d’une réforme surprise qui s’abat sur le secteur textile.

En adhérant à l’OMC en janvier 2002, la Chine bénéficie de cette levée des quotas sur le marché du textile. La suppression des quotas par l’Accord sur les Textiles et Vêtements a été appliquée de manière progressive en quatre étapes depuis 1994 jusqu’à leur disparition totale au 31 décembre 2004. Il s’agissait d’un accord transitoire ayant pour perspective de réintégrer progressivement les produits textiles mondiaux dans le régime du libre échange afin que celui-ci soit loyal et ouvert à tous.

Le droit du commerce international de l’OMC, notamment dans le secteur du textile, est fondé essentiellement sur des principes qui se sont révélés parfois antithétiques les uns des autres, fortement controversés, voire dénués d’éthique.

Le principe de l’égalité de traitement constituerait le premier des fondements clés du cadre juridique de l’OMC. Ce principe implique la reconnaissance par les Etats signataires de la clause de la nation la plus favorisée et du principe de réciprocité. En vertu de la clause de la nation la plus favorisée, si des avantages douaniers sont accordés à un pays, ils doivent être accordés aussi systématiquement aux autres pays membres de l’OMC.

Le principe de concurrence loyale, autre précepte véhiculé par l’OMC, suppose que les droits de douane soient progressivement réduits ; cela implique que les contingents sont interdits et que le dumping est prohibé : on entend par là que la situation commerciale dans laquelle le prix de vente d’un produit à l’exportation est inférieur à sa valeur normale est illégale.

Certes, l’élimination des barrières textiles tarifaires et non tarifaires vers l’égalité sur le marché mondial répond à la politique commerciale de l’OMC. En revanche, l’ampleur du phénomène des importations en matière textile, n’est-elle pas proche de ce même dumping prohibé ? Les contradictions des règles commerciales de l’OMC pullulent.

Face à cet afflux de produits chinois, l’Europe et les Etats-Unis ont décidé de réagir en sollicitant la mise en place de mesures de sauvegarde, lesquelles sont autorisées par l’OMC.


Mise en place de la clause de sauvegarde spécifique-textile jusqu’en 2008 en Europe

Conformément au Protocole d’accord d’accession de la Chine à l’OMC, si un accroissement des importations désorganise ou risque de désorganiser le marché les pays importateurs, ces derniers peuvent imposer des restrictions aux exportateurs en mettant en place une clause de sauvegarde dite « spécifique-textile ».

La notion de désorganisation du marché suppose la réunion des conditions suivantes :

-Les importations de certains produits en provenance de sources déterminées s’accroissent ou pourraient s’accroître brusquement et dans des proportions substantielles ;

-les produits sont offerts à des prix notablement inférieurs à ceux pratiqués sur les marchés du pays importateur pour des produits similaires de qualité comparable ;

-la situation cause un préjudice grave ou menace de préjudice grave pour les producteurs nationaux ;

-les différences de prix mentionnées ne résultent pas d’une intervention gouvernementale dans la fixation ou la formation des prix, ni de la pratique du dumping.

Ces conditions étant à l’évidence réunies pour certains produits textiles, l’Europe serait appelée à prendre des mesures d’urgence par la mise en place de clauses de sauvegarde, limitées dans leur contenu et dans leur durée. L’Union européenne, à l’instar des Etats-Unis il y a quelques jours, a décidé de plafonner à 7,5 % la hausse des ventes de certains produits « made in China » à l’issue de l’enquête en cours.

Cependant, la Chine s’insurge contre ces mesures de sauvegarde en les estimant protectionnistes et injustes . Selon une dépêche de l’Agence France Presse en date du 19 mai 2005, le ministre chinois du commerce, Bo Xilai, a affirmé que ces mesures étaient contraires aux règles de l’OMC en matière d’intégration du commerce mondial de produits textiles. La Chine refuse fermement pour l’heure de limiter le volume de ses exportations. Pekin soutient que la clause de sauvegarde se révèle antithétique de la politique de la libéralisation des échanges et du principe de non discrimination véhiculés par l’OMC, et ce, ce dans la mesure où poser des limitations aux importations revient à rétablir des quotas. D’où le dialogue de sourd entre deux logiques…

Pour l’heure, les Etats-Unis ont déjà obtenu un dispositif spécial de sauvegarde pour sept catégories de produits textiles chinois durant une période de 12 ans, allant bien au-delà des dispositions prévues par l’OMC.

Toutefois, en Europe, les résultats négatifs les plus significatifs apparaissent pour deux types de produits textiles sur les neuf ciblés : les tee shirts et le fil de lin. C’est pourquoi, le Commissaire européen en charge du commerce a proposé le 17 mai 2005 de passer à la phase de consultations formelles avec la Chine pour ces deux types de produits. Les lignes directrices de l’utilisation de la clause de sauvegarde permettent l’activation de la procédure d’urgence s’il apparaît nettement que l’évolution harmonieuse du commerce est menacée, et qu’un préjudice grave est causé (4) . Cependant, l’hostilité des professionnels du textile demeure entière dans la mesure où ils estiment que la clause de sauvegarde devrait s’appliquer à toutes les catégories de produits textiles chinois et non uniquement aux deux types susmentionnés.

Nonobstant le mécontentement des industriels européens, Peter Mandelson, le Commissaire européen, a affirmé que les mesures de sauvegarde devront être « fondées sur des preuves et des faits, pas simplement sur l’augmentation des importations mais l’impact des importations chinoises sur l’industrie, les marchés, et les flux commerciaux » (5) . Ainsi, les autres catégories de textile restent sous étroite surveillance mais ne font pas l’objet de la procédure d’urgence de consultation formelle.

L’ensemble de la procédure de consultation formelle pourrait être achevée fin mai 2005. Une fois que la Chine aura reçu la demande de l’Europe, elle devra prendre les mesures nécessaires afin de réduire ses exportations. Selon les termes de la clause de sauvegarde spécifique textile, n’est autorisé en Europe que la mise en œuvre temporaire de la clause de sauvegarde, et ce jusqu’au 31 décembre 2008. Au-delà de cette date, aucune clause de sauvegarde ne sera licite.

La clause de sauvegarde ne vise qu’à offrir aux industries textiles les plus vulnérables en Europe un temps d’adaptation afin de faire face au nouvel environnement concurrentiel.


Réflexions conclusives

L’horloge du commerce textile mondial se voit contrainte aujourd’hui se régler à l’heure du siècle de l’OMC, et en l’occurrence à celui du géant asiatique, premier exportateur mondial en matière textile (28% du marché international). Un défi de concurrence difficilement surmontable s’impose à l’Europe puisque la Chine dispose de matières premières et d’une main d’œuvre qualifiée peu onéreuses, et de surcroît d’une production intégrée de qualité.

Bien que les consommateurs soient sans doute les grands vainqueurs de cette joute commerciale, aspirons tout de même à ce que le prochain directeur de l’OMC, Pascal Lamy, sache insuffler à cette institution internationale controversée la dimension éthique et la cohérence qui lui ont fréquemment fait défaut jusqu’à présent.




Yola Minatchy
Avocate au barreau de Bruxelles
Cabinet Lallemand-Legros - Département droit européen




Notes:

(1) Communiqué de presse d’Euratex, Fédération européenne des professionnels du secteur textile, en date du 8 avril 2004, Bruxelles : « EU textile and clothing industry seeks China safeguards, criticises Commission and member-states. » cf. www.euratex.org
(2) Bulletin Quotidien Europe N°8948 en date du 18 mai 2005.
(3) Bulletin Quotidien Europe N°8949 en date du 19 mai 2005.
(4) Note Memo de la Commission européenne 05/161 en date du 17 mai 2005.
(5) Bulletin Quotidien Europe N°8943 en date du 10 mai 2005.


Source : DroitBelge.Net - Actualité - 24 mai 2005


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