Imprimer cet article


Bref argumentaire hostile à la juridiction populaire

Par Par Bruno Dayez

Jeudi 17.06.04


Compte tenu de l’espace imparti, je porterai ma critique sur quatre points essentiels :


1. La culpabilité d’un prévenu doit être prouvée.

Le jugement qui le condamne doit donc être l’effet de preuves.

La conviction du juge est à cet égard de nulle valeur si elle n’est étayée par des arguments démontrables.

On attend du juge qu’il se livre à un travail minutieux et approfondi à propos des indices de culpabilité qui lui sont soumis avant de conclure à une condamnation qu’il doit être capable de justifier en raison.

C’est pourquoi « tout jugement est motivé » comme le prescrit notre loi fondamentale.

C’est aussi la raison pour laquelle « le doute profite à l’accusé », ce précepte constituant la pierre angulaire de toute la matière des preuves.

Il est donc fait obligation au juge de passer outre sa subjectivité, se défiant d’elle pour ne se plier qu’à la logique rationnelle ou, si l’on peut dire, à la raison raisonnante.

Chacun comprend qu’étant accusé (peut-être injustement, qui sait ?), on a le droit de savoir, si l’on est condamné, pour quels motifs on est déclaré coupable. Ce droit fondamental permet seul en effet de se ranger à la décision si ses motifs convainquent, soit de recourir contre elle si sa motivation laisse à désirer.

La cour d’assises fait exception à ces principes : le jury statue « en son âme et conscience », selon « son intime conviction » et, par voie de conséquence, ne motive pas sa décision.

Aux questions relatives à la culpabilité des accusés, lui posées par le président de la cour, le jury est tenu de répondre par « oui » ou par « non ».

Il s’agit d’un recul spectaculaire par rapport à la règle et tout à fait injustifiable.

La seule explication de cet état de choses consiste à évoquer les caractéristiques du jury (douze jurés n’y connaissant goutte au droit puisque tirés au sort parmi la population) pour constater qu’il serait incapable de motiver sa décision si, d’aventure, il y était tenu !

Mais si l’on en vient à prétendre que l’intime conviction, toute subjective et versatile soit-elle, vaut le raisonnement le plus exigeant, pourquoi ne pas y recourir de manière généralisée devant toutes les juridictions ?

Si, par contre, on admet que cette forme de jugement est gravement défaillante parce que soumise au risque de tous les préjugés, pourquoi en faire l’apanage des jugements criminels ?


2. En vertu de la composition du jury, la cour d’assises statue en premier et dernier ressort.

Alors que, pour la plus minime infraction au code de roulage existe un degré d’appel, la décision du jury pour les infractions les plus graves est définitive.

En effet, il ne se conçoit pas qu’appel puisse être interjeté d’un jugement rendu « par le peuple » sans mettre à mal le mythe selon lequel douze quidams sélectionnés par le hasard du tirage sont représentatifs du peuple belge au nom duquel justice est rendue.

Cette logique est à la fois imparable et ruineuse.

Elle transforme la souveraineté populaire en gage d’infaillibilité, version démocratique du « bon sang ne peut mentir » !

Il est significatif à cet égard que la décision du jury doit paraître unanime dès qu’une majorité suffisante est acquise en son sein (8 voix sur 12 en faveur de la culpabilité) voire en cas de partage des voix (6 voix sur 12 en faveur de l’acquittement), personne ne pouvant rien deviner de ces clivages.

Tout est donc conçu pour taire la contestation et donner à croire à l’évidence transparente du verdict.

La suppression de l’instance d’appel constitue cependant, à nouveau, une entorse inadmissible à la règle.

Soit on considère que toute affaire doit pouvoir bénéficier d’un nouvel examen approfondi lorsqu’une des parties à la cause est en radical désaccord avec la décision rendue et, dans ce cas, pareil droit vaut a fortiori lorsque l’enjeu du procès est considérable.

Soit on admet que le droit d’appel est une précaution superflue, un luxe désuet, et il convient d’urgence de réformer toute l’organisation judiciaire pour faire l’économie de ce deuxième degré.


3. Pour détenir le pouvoir du dernier mot, les jurés ont-ils à leur disposition les moyens adéquats pour éviter tout risque d’erreur ?

Exerçant les attributs du juge d’une manière pour ainsi dire superlative, bénéficient-ils d’une voie d’accès privilégiée à la vérité ?

On sait que le procès d’assises se déroule d’une manière inédite, adaptée aux caractéristiques du jury.

Celui-ci assied sa conviction sur ce qu’il voit et entend au cours de la session, ce qui suppose que tous les protagonistes de l’affaire viennent « mimer » leur propre rôle à la barre : témoins, police, juge d’instruction, experts … produisent « en direct » leur souvenir des faits de nombreux mois voire des années après leur commission.

Par contre, ce qui constitue la base des jugements correctionnels et de police, le dossier répressif, n’est mis à disposition des jurés qu’au moment de rentrer en délibération.

Etant donné qu’ils ignorent comment consulter ledit dossier, souvent riche de milliers de pages, il est illusoire qu’ils en tirent le moindre enseignement profitable.

Comment concevoir que la version « live », orale, de l’affaire, même produite par l’ensemble de ses acteurs, puisse équivaloir à sa version « intégrale », écrite ?

N’importe quel professionnel sait que l’examen attentif d’un dossier nécessite un imposant travail de « critique historique » fondé sur l’analyse du texte, la confrontation des versions, la vérification de la chronologie, etc.

Il est absurde de croire que l’on puisse économiser ce détour par le texte alors que l’une des spécificités de l’instruction est d’être écrite.

Au contraire de rendre la vérité plus accessible, la procédure d’assises en produit une version « soft », « allégée », qui sera souvent simplificatrice. Les parties au procès abusent d’ailleurs souvent avec un certain cynisme de la connaissance plus qu’approximative que les jurés ont du dossier !


4. Etre juge suppose nombre de qualités personnelles dans un système de justice qui les place nettement « au-dessus de la mêlée ».

Leur compétence est en principe éprouvée par la formation juridique qu’ils ont suivie avec fruit, leurs expériences professionnelles, les examens auxquels ils ont satisfait.

Ils ont dû par ailleurs faire l’objet d’une évaluation personnelle donnant au justiciable certains gages de leur indépendance et de leur impartialité.

Faire confiance à son juge ne saurait relever d’un pur acte de foi ! Le justiciable présume que sa cause est dévolue à un magistrat intègre parce que les règles de l’organisation judiciaire excluent à peu près de nommer à cette fonction un individu qui en serait inapte ou indigne. On nous rebat les oreilles avec l’affirmation (invérifiable) selon laquelle tout juré, par cela seul qu’il est juré, s’élèverait d’office à la dignité de son office !

Cela fait à l’accusé une belle jambe, qui voit son sort dévolu peut-être à de parfaits crétins, des gens bourrés de préjugés, ou affectés de n’importe quelle autre tare majeure. Outre que la composition du jury est en général très peu représentative de l’ensemble du corps social, il est inadmissible d’en être réduit à la chance pour être jugé convenablement.

C’est-à-dire entre autres, dans un système légal, par des gens qui ont une connaissance experte de la loi.

Comment concevoir, à nouveau, que les garanties dont dispose le moindre contrevenant à la loi ne soient pas offertes à celui qui risque une privation de liberté perpétuelle ?

Soit le recours à un juge professionnel est effectivement dispensable, soit on le considère comme fondamental et il n’est pas tolérable que les accusés n’en puissent bénéficier a fortiori.

Cette liste n’est en rien exhaustive, mais il paraît superflu de l’allonger tant qu’une réponse convaincante n’aura pas été réservée aux quatre objections fondamentales qui viennent d’être développées.



Bruno Dayez
Avocat au barreau de Bruxelles
Chroniqueur au Vif-l’Express
Chercheur associé aux Facultés Universitaires Saint-Louis



Pour des développements plus étendus, notamment sur le rôle « politique » de la cour d’assises et sur le choix de ce qu’on y juge, je renvoie le lecteur à l’article que j’ai publié dans Le journal des procès, n°366, du 5 mars 1999 sous le titre « La cour d’assises : une foire aux monstres ».

On lira aussi « R.I.P. la cour d’assises » dans Le Vif-l’Express du 22 juin 2001 et « A chacun sa vérité ? » dans Le Vif-l’Express du 8 mars 2002.






A contrario, Karin Gérard (Présidente à la Cour d’appel de Bruxelles) et Pierre Morlet (Premier avocat général près la Cour d’appel de Bruxelles) exposent leurs arguments en faveur de la cour.

Leur article intitulé "la cour d'assises - une oeuvre de raison" est disponible en ligne.





Source : DroitBelge.Net - 17 juin 2004


Imprimer cet article (Format A4)

* *
*


Bookmark and Share