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Livre V : La SRL (10) – le transfert de titres



Sous l’ancien Code, la SPRL était la forme par excellence de la petite société familiale, destinée à un cercle restreint de personnes. C’était une société dite « fermée », encadrée par des règles pour la plupart impératives et auxquelles il ne pouvait être dérogé.

La volonté du nouveau Code est de faire de la SRL une forme de société à la fois simple, flexible, et suffisamment souple pour permettre aux fondateurs de disposer de solutions « sur-mesure », notamment grâce à une liberté statutaire accrue. C’est dans ce cadre que de nombreuses règles auparavant impératives sont devenues supplétives. Tel est le cas notamment des règles touchant aux transferts d’actions. Ainsi, dans la SRL, la cessibilité des actions peut être réglée tout à fait librement dans les statuts, de sorte que l’on peut faire de la SRL tantôt une société très fermée, tantôt une société très ouverte aux tiers.

Principes généraux

Le nouveau Code prévoit désormais que le transfert de titres s’opère selon les règles de droit commun (art. 5:61 CSA).

Le transfert de titres nominatifs ne sera opposable à la société et aux tiers que par une déclaration de transfert inscrite dans le registre relatif à ces titres. Cette déclaration devra être datée et signée par le cédant et le cessionnaire ou par leurs mandataires en cas de cession entre vifs, et par un membre de l'organe d'administration et les bénéficiaires de ce transfert ou par leurs mandataires en cas de transmission à cause de mort (art 5:61 CSA).

De plus, dans le cas où le registre est tenu sous forme électronique (nous renvoyons sur ce point à la fiche consacrée au registre des titres dans la SRL), la déclaration de cession peut adopter une forme électronique et être signée par un ensemble de données électroniques pouvant être imputé à une personne déterminée et établissant le maintien de l'intégrité du contenu de l'acte (art 5:61, al. 3 CSA).

En revanche, lors du transfert d’un titre dématérialisé, celui-ci ne sera opposable à la société et aux tiers qu’au moyen d’une inscription d’un compte-titres à un autre (art. 5:62 CSA).

Il convient également de porter une attention particulière au transfert d’actions lorsqu’il porte sur des actions qui ne sont pas intégralement libérées. Alors que l’ancien Code prévoyait pour les sociétés anonymes une règle relative à l’obligation de libération en cas de transfert d’actions non libérées, il ne contenait aucune disposition sur ce point pour la SPRL. Désormais, en cas de cession d’une action non libérée, l’article 5:66 du CSA prévoit que le cédant et le cessionnaire sont tenus solidairement de la libération tant à l’égard de la société que des tiers. Cette règle est impérative. À titre supplétif en revanche, le paragraphe 2 de ce même article prévoit que le cédant d’une action non libérée, auquel la libération est demandée, dispose d’un droit de recours pour ce qu’il a payé contre le cessionnaire auquel il a cédé ses actions ou contre tout cessionnaire ultérieur.

La procédure d’agrément : un régime dorénavant supplétif

Principes

Le nouveau code maintient, à titre supplétif, le régime ancien de la société « fermée ». Le transfert d’actions à titre particulier ou à titre universel, à titre onéreux ou à titre gratuit, entre vifs ou à cause de mort, est ainsi toujours soumis à l'agrément d'au moins la moitié des actionnaires possédant les trois quarts au moins des actions émises (et non du capital social), déduction faite des actions dont la cession est proposée (art. 5:63 CSA), sauf lorsque les actions sont cédées ou transmises :

• à un autre actionnaire existant ;

• au conjoint ou au cohabitant légal du cédant ; ou

• à des ascendants ou descendants du cédant en ligne directe.

Ce régime fermé devient toutefois le régime par défaut, applicable uniquement à défaut de disposition statutaire contraire. Cette règle est supplétive, de sorte qu’on peut y déroger pleinement et décider, par exemple, que le transfert d’actions à un tiers ne nécessite aucun agrément de la part des autres actionnaires. Ce système par défaut permettra néanmoins aux entrepreneurs débutants de disposer de règles claires, s’ils n’estiment pas utile ou nécessaire d’élaborer des dispositions sur-mesure.

Sanction

La sanction qui s’applique en cas de violation de cette règle n’est plus celle de la nullité du transfert des titres (ancien art. 249 C. soc.), mais bien celle de l’inopposabilité de la cession à la société et aux tiers, indépendamment de la bonne ou mauvaise foi du cessionnaire (art. 5:63, § 2, CSA).

Recours

La procédure judiciaire prévue à l’article 5:64 du CSA en cas de refus d’agrément est considérablement simplifiée. Désormais, si le refus d’agrément est jugé arbitraire par le président du tribunal de l'entreprise siégeant comme en référé, le jugement rendu par ce dernier aura valeur d’agrément de la cession, sauf si le cessionnaire se ravise dans les deux mois de la signification du jugement (art. 5:64 CSA).

Si le refus d’agrément intervient à l’occasion d’une transmission pour cause de mort, le nouveau CSA supprime la possibilité pour les héritiers ou légataires, qui n’ont pas pu devenir actionnaires à défaut d’agrément, de requérir la dissolution de la société si le rachat de leurs actions n’est pas intervenu dans les trois mois. Dorénavant, les héritiers et légataires dont l’agrément a été refusé ont droit à la valeur des actions transmises, le cas échéant, à charge des actionnaires ou de la société qui se sont opposés à l’autorisation (art. 5:65 CSA). A défaut d'accord entre les parties ou de dispositions statutaires, les prix et conditions de rachat seront déterminés par le Président du tribunal de l'entreprise. Cette protection des héritiers et légataires est impérative et il ne peut y être dérogé.

Les restrictions à la cessibilité des titres

Principes

Les règles relatives à la cessibilité des titres en général ont également subi quelques modifications.

L’article 5:67 du CSA prévoit que les statuts, les conventions ou les conditions d’émission de titres peuvent limiter la libre cessibilité des titres, c’est-à-dire rendre plus « restrictive » la cessibilité des titres. En revanche, seuls les statuts peuvent assouplir, c’est-à-dire rendre plus « libre » la cessibilité des titres. Les conventions (on pense naturellement aux conventions d’actionnaires) et les conditions d’émission ne peuvent donc pas assouplir les conditions légales ou statutaires applicables à la cessibilité des titres.

A titre d’illustration, les statuts pourraient valablement déroger aux conditions d’agrément prévues par l’article 5:63 du CSA en prévoyant, par exemple, que l’agrément d’un nouvel actionnaire n’est pas requis ou en prévoyant des conditions de majorité plus souples que celles prévues par le Code. Une telle dérogation ne pourrait, par contre, pas se faire dans le cadre d’une convention d’actionnaires ou lors de l’émission d’actions puisqu’il s’agit ici d’assouplir les conditions légales. De même, une convention d’actionnaires ou les conditions d'émission ne pourraient assouplir les conditions qui seraient prévues à cet égard par les statuts.

A l’inverse, une convention d’actionnaires ou les conditions d’émission, tout comme les statuts, pourraient, en vertu de l’article 5:67, rendre plus strictes les conditions légales de l’agrément, en soumettant, par exemple, l’agrément de tout nouvel actionnaire à l’unanimité ou en l’étendant, par exemple, aux personnes qui ne requièrent pas l’agrément en vertu du CSA, à savoir notamment les conjoints ou les ascendants/descendants en ligne directe. Toutefois, en vertu de la formulation de l’article 5:63 qui prévoit qu’il est applicable « sauf disposition statutaire contraire », de même qu’en vertu de la sanction prévue au paragraphe 2 de l’article 5:67 (cfr.infra), il nous parait préférable de prévoir de telles dispositions dans les statuts.

Le paragraphe 2 de l’article 5:67 CSA prévoit également, en matière de sanction, qu’une cession contraire aux restrictions à la cessibilité qui figurent dans les statuts publiés régulièrement n’est opposable ni à la société ni aux tiers, et ce, que le cessionnaire soit de bonne ou de mauvaise foi, même lorsque la restriction statutaire ne figure pas dans le registre des actionnaires.

Cette règle ne s’applique pas lorsque les restrictions figurent dans une convention d’actionnaires. Le principe est que l’acquéreur n’est pas lié par une restriction conventionnelle. Il est même possible qu’il n’en ait pas connaissance. Dans ce cas, il faut se référer au droit commun. La cession intervenue en méconnaissance de telles restrictions ne pourra être annulée que s’il peut être démontré que le cessionnaire était de mauvaise foi, et ce, en vertu de la théorie de la tierce complicité, ou plus généralement, s’il peut être démontré une faute dans le chef du cessionnaire. A défaut, l’actionnaire lésé par une telle violation ne pourra réclamer que des dommages et intérêts à l’actionnaire cédant qui aurait méconnu la convention d’actionnaires.

Cette sanction de l’inopposabilité du transfert est également retenue en cas de cession de titres autres que des actions, ou des titres donnant accès à des actions, qui serait réalisée en violation des restrictions prévues dans les statuts ou dans les conditions d’émissions publiées régulièrement (art. 5:68 § 2 CSA).

L’offre de reprise

L’article 5:69 du CSA prévoit désormais pour la SRL que toute personne physique ou morale qui, agissant seule ou de concert, détient directement ou indirectement 95 % des actions avec droit de vote d'une SRL peut faire une offre de reprise afin d'acquérir la totalité des actions avec droit de vote ou des titres donnant accès au droit de vote de cette société.

Cette règle est nouvelle pour la SRL et est issue de l’ancien article 513 du Code des sociétés applicable uniquement aux sociétés anonymes. En effet, selon les travaux parlementaires, il n’y a plus aucune raison d’établir de distinction en matière d’offre de reprise entre la SA non cotée et la SRL puisque les actions de la SRL peuvent être rendues librement cessibles par une disposition statutaire (Doc. Parl., Ch. repr., sess. ord. 2017-2018, n° 54-3119/001, p. 155).




Caroline Kempeneers
Avocate - Médiatrice agréée en matière civile et commerciale
Solis Law Firm


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