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La responsabilité du travailleur



Un entrepreneur en élagage charge un travailleur d’étêter un arbre chez un client: malheureusement, l’arbre écrase la camionnette de l’employeur et détruit une partie de la véranda du client. Scène de la vie courante ? Qui est responsable ? Que peut faire le client ? Qu’en est-il de l’employeur ? Que peut faire l’assureur RC professionnelle de l’employeur ?

Nous avons vu (fiche I consacrée à la responsabilité de l’employeur vis-à-vis des tiers) que l’employeur est tenu d’indemniser la victime d’une faute commise par le travailleur si la victime prouve :

• une faute (même la plus légère) du travailleur, son dommage et le lien de cause à effet entre faute et dommage)

• que l’auteur de la faute était sous les liens d’un contrat de travail et que l’accident s’est produit alors que le travailleur était dans l’exercice de ses fonctions

L’obligation de l’employeur d’indemniser la victime ne supprime pas la responsabilité du travailleur lui-même. L’employeur pourra donc tenter de récupérer ce qu’il aura dû payer en faveur de la victime. Rien n’empêchera non plus la victime de mettre directement en cause la responsabilité du travailleur lui-même.

Pour aboutir dans leurs démarches, employeur et victime devront toutefois prouver que le travailleur a commis :

• une faute intentionnelle (dol) (exemples, le vol, l'escroquerie, la destruction volontaire du matériel, les coups et blessures volontaires, …)

• une faute lourde, c’est à dire celle qui, sans être intentionnelle, est à ce point grave et grossière qu'elle en devient inexcusable (exemples : le journaliste salarié qui laisse entendre qu’une personne anime un réseau de pédophilie alors que ces accusations sont sans fondement.

• ou une faute légère habituelle, celle qui traduit un certain état d’esprit du travailleur, de la désinvolture ou de la négligence, un manque de conscience professionnelle . Ce ne doit pas être nécessairement la répétition d’une même faute, c’est une propension à commettre des fautes quelle qu’en soit la nature (exemples : des erreurs comptables répétées).

Le travailleur est par contre exonéré, tant à l’égard de l’employeur que du tiers victime, des conséquences de sa faute légère occasionnelle.

Cette immunité partielle du travailleur est inscrite à l’article 18 de la loi du 3.7.1978 sur le contrat de travail: en cas de dommages causés par le travailleur à l'employeur ou à des tiers dans l'exécution de son contrat, le travailleur ne répond que de son dol et de sa faute lourde.
Il ne répond de sa faute légère que si celle-ci présente dans son chef un caractère habituel plutôt qu'accidentel.
A peine de nullité, il ne peut être dérogé à la responsabilité fixée aux alinéas 1er et 2 que par une convention collective de travail rendue obligatoire par le Roi, et ce uniquement en ce qui concerne la responsabilité à l'égard de l'employeur.
L'employeur peut, dans les conditions prévues par l'article 23 de la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération des travailleurs, imputer sur la rémunération les indemnités et dommages-intérêts qui lui sont dus en vertu du présent article et qui ont été, après les faits, convenus avec le travailleur ou fixés par le juge.



Cette immunité partielle de responsabilité est en principe réservée aux travailleurs liés par un contrat de travail. L’évolution dessinée par la Cour d’arbitrage tend cependant à uniformiser les régimes de responsabilité des travailleurs du secteur public et du secteur privé.

Récemment, un régime comparable a été instauré pour les travailleurs bénévoles.

Cette immunité partielle de responsabilité du travailleur ne concerne que sa responsabilité civile et non sa responsabilité pénale. Le travailleur est passible de sanctions pénales s’il commet une infraction (vol, escroquerie, faux, usage de faux, infraction au code de la route,…).

L’employeur est tenu avec lui (on dit « solidairement ») au paiement de l’amende. S’il a payé, comme civilement responsable, l’amende infligée au travailleur, l’employeur pourra en réclamer le remboursement au travailleur. Si, à l’inverse, le travailleur a payé lui-même l’amende qui lui a été infligée, il ne pourra pas en réclamer remboursement à l’employeur. Cela à moins que l’infraction soit imputable à l’employeur. L’indemnisation de la victime (conséquence civile d’une infraction pénale) entre par contre dans le champ de l’article 18 .

Seule une convention collective de travail rendue obligatoire, et ce uniquement pour la responsabilité du travailleur à l’égard de l’employeur, pourrait étendre la responsabilité du travailleur . Les parties ne sont donc pas libres de déterminer dans le contrat de travail ce qu’il y a lieu de considérer comme faute lourde.

L’article 18 ne vise que la faute commise par le travailleur dans l’exécution du contrat de travail.

La faute sera professionnelle en raison de la relation étroite entre le dommage, d’une part et l’exécution des fonctions d’autre part. Par contre, les fautes commises hors du cadre du travail engagent la responsabilité du travailleur comme n’importe quelle personne privée .Les dommages causés sur le chemin du travail ne sont pas davantage visés par l’article 18, le travailleur n’étant pas à ce moment au service de son employeur.

Application : les infractions de roulage

Toute infraction du travailleur au Code de la route ne constitue pas nécessairement une faute lourde mais une infraction grave selon la réglementation routière est une faute lourde. La responsabilité sera fonction de la gravité du manquement ou du danger qu’il représente, de la qualité du conducteur selon qu’il s’agit d’un professionnel de la route ou d’un conducteur normal (exemples : faute lourde commise par le conducteur de poids lourd en cas de double dépassement dans un endroit où la visibilité était réduite; après avoir brûlé un feu rouge; en cas de conduite en état d’ébriété).

Application : le déficit de stock ou de caisse

La faute ne peut être déduite d’un simple déficit d’inventaire ou de caisse. L’employeur doit établir que ces déficits résultent d’un dol, d’une faute lourde ou d’une faute légère habituelle. Un vol dans la caisse ou dans le stock relève du dol .

Dissimuler une activité commerciale déficitaire pendant plusieurs mois constitue une faute lourde .




Bernard Dautricourt
Avocat au barreau de Bruxelles - van Cutsem Wittamer Marnef & Partners




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