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L’acceptation d’une offre d’achat donne-t-elle lieu, en soi, à formation d’une vente parfaite ?



Depuis peu, les tribunaux sont de plus en plus nombreux à considérer que, pour cette même raison de complexité croissante des contrats de vente d’immeuble, l’accord des parties sur la seule chose et le seul prix ne suffit plus pour considérer la vente comme étant parfaite.

La vente ne pourra être considérée comme parfaite que s’il y a accord des parties non seulement sur les éléments essentiels du contrat (l’objet de la transaction et son prix) mais également sur les éléments substantiels : responsabilités en cas de vice caché, modalités de paiement du prix, situation hypothécaire du bien, date du transfert de propriété et des risques, …

La Cour d’appel de Bruxelles a joué à l’évidence un rôle central dans ce revirement de tendance.

Dans un arrêt (inédit) du 23 juin 2011, la cour semble arriver à la conclusion qu’une vente ne peut être considérée comme parfaite que lorsqu’un compromis est signé en bonne et due forme, matérialisant l’accord des parties non seulement sur les éléments essentiels du contrat (la chose et le prix) mais également sur tous les autres éléments dits substantiels (sort des vices cachés, date du transfert de propriété et des risques, modalités du paiement du prix, …).

Dans ce contexte, poursuit la Cour, la formulation d’une offre d’acquisition et son acceptation, qui n’évoquent pas tous les éléments substantiels de l’opération, ne constituent rien de plus qu’un contrat-cadre, c’est-à-dire un contrat qui n’oblige les parties qu’à poursuivre les négociations en vue de tenter d’obtenir un accord sur les éléments substantiels du contrat (sous peine de dommages et intérêts pour rupture fautive des pourparlers).

A défaut d’accord sur ces éléments substantiels, il n’y a pas vente :

« L’offre est une proposition définitive qui contient tous les éléments essentiels et substantiels à la conclusion du contrat, de sorte que celui-ci est formé par la simple acceptation de l’autre partie. Elle doit donc être ferme et précise, c’est-à-dire comporter tous les éléments essentiels au contrat projeté, ainsi que, le cas échéant, les éléments accessoires que l’auteur de l’offre a souhaité considérer comme également essentiels.

C’est la volonté de l’offrant de se lier juridiquement qui caractérise l’offre par rapport à toute autre émission de la volonté émise dans le cadre de la phase précontractuelle.
(…)

Par ailleurs, l’offre qui est imprécise sur les éléments substantiels du contrat a pour effet que celle-ci doit être analysée comme une simple proposition d’entrer en pourparlers, sans effet obligatoire pour l’offrant. Même acceptée, elle ne saurait conduire à la formation du contrat.

En d’autres termes, l’acceptation d’une offre incomplète, en ce sens, par exemple qu’elle ne contient pas tous les éléments substantiels du contrat projeté, peut, dans certaines hypothèses, donner naissance à un accord parfait, un contrat-cadre ou un accord de principe. Pour accéder au rang de contrat accompli, ces arrangements précontractuels devront être complétés à la suite de nouvelles tractations.

L’accord de principe ne fait naître qu’une obligation contractuelle de négocier, laquelle doit s’exécuter de bonne foi et dont la sanction ne peut être qu’une condamnation à des dommages et intérêts.

La vente d’un immeuble est un contrat qui donne lieu à des négociations parfois longues et compliquées. Même lorsque celles-ci comportent une offre au départ, l’élaboration du contrat se réalise successivement par une suite d’accords sur les points de discussion. Le contrat ne peut se former que lorsque les parties sont d’accord sur tous les éléments essentiels et les éléments substantiels. L’accord sur la chose et sur le prix, éléments essentiels prévus à l’article 1583 du Code civil, ne suffit donc parfois pas, notamment lorsque les parties ont convenu de signer un compromis et doivent encore s’accorder sur les éléments substantiels du contrat, c’est-à-dire les éléments qui ne conditionnent pas nécessairement la conclusion d’un contrat mais auxquels les parties ont entendu subordonner leur consentement, et donc conférer un caractère essentiel (modalités de paiement, transfert de propriété, entrée en jouissance, contenu et signature du compromis).
» (souligné par la Cour)

La cour a confirmé sa position de manière plus explicite encore dans un arrêt (également inédit) du 13 octobre 2011 :

« S’il est exact que cette disposition (l’article 1583 du Code civil) consacre le caractère purement consensuel de la vente, qu’elle porte sur un meuble ou sur un immeuble et qu’elle déclare que la vente est réputée parfaite entre les parties dès qu’elles sont d’accord sur la chose et sur le prix, il est tout aussi exact que, dans les faits, la vente d’un immeuble se négocie de manière très différente que la vente d’un bien meuble, par exemple lié à la satisfaction des besoins de la vie courante, comme la vente de biens de consommation.

Le processus contractuel en matière de vente immobilière se décompose généralement en plusieurs étapes au cours desquelles les parties définissent les éléments essentiels et substantiels de leur accord, celui-ci ne dépendant pas nécessairement de leur seul accord sur la chose et sur le prix, mais pouvant également dépendre d’autres éléments auxquels les parties ont entendu subordonner leur accord, leur conférant ainsi un caractère essentiel ou substantiel, comme peuvent l’être les modalités de paiement du prix ou de transfert de propriété, la situation hypothécaire, urbanistique ou locative de l’immeuble, la signature d’un compromis de vente ou encore la prise en charge de frais de rénovation décidés par l’assemblée générale des copropriétaires d’un immeuble à appartements.

En tout état de cause, et à tout le moins, il appartient aux consorts M., en leur qualité de appelants originaires, d’apporter la preuve qu’il y eût entre les parties, à la date du 17 septembre 2005, un réel concours de volontés sur les conditions de la vente de l’appartement litigieux.

Or, (ils n’apportent pas cette preuve).

Au contraire, il apparaît des courriels échangés (…) que certains éléments essentiels de l’accord devaient encore être négociés sur la base des projets de compromis de vente communiqués (…).

(…)

Le fait que, dans l’intention commune des parties, la validité de la vente était subordonnée à la signature du compromis de vente est encore conforté par la particulière insistance que les consorts M. ont marquée en vue de la signature d’un tel compromis (…).
Il se constate dès lors que les parties n’étaient encore qu’au stade des pourparlers préliminaires (…). ».



Répétons que ce n’est pas parce qu’aucun contrat de vente ne serait valablement formé que les parties ne sont pas titulaires d’obligations.

Elles peuvent en effet être à l’origine d’une « culpa in contrahendo » et être condamnées au paiement de (lourds) dommages et intérêts si elles rompent fautivement les pourparlers (Note : par ex. Civ. Bruxelles, 3 mai 2013, inédit.).




Laurent Collon
Avocat au barreau de Bruxelles - Xirius.
Spécialiste agréé en droit immobilier


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