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Les intérêts : Introduction



Dans son magistral Traité du droit des obligations, le professeur Wéry écrit, avec sagacité, que la matière des intérêts est l’une « des plus complexes du droit des obligations » (cf. Note 1).

Les turbulences financières du XXIe siècle ont pour conséquence l’intérêt que plusieurs juristes ont porté au régime des intérêts (cf. Note 2).

Il ne semble pas utile de reprendre ici de façon détaillée la distinction traditionnelle entre les intérêts moratoires et les intérêts compensatoires. Malgré une nature commune, ils présentent certaines divergences (voir infra).

Les intérêts moratoires et compensatoires sont les uns et les autres des montants destinés à réparer le dommage résultant du paiement tardif d’une somme principale à laquelle ils se rapportent. Ils sont les uns et les autres calculés à un certain taux généralement fixé par année et calculés sur la somme principale impayée.

La grande différence est que les intérêts moratoires, en matière contractuelle ou extracontractuelle, s’appliquent en cas de paiement tardif d’une dette de somme, c’est-à-dire d’une dette portant sur un montant déterminé, soit dès l’origine, soit dès qu’une créance de valeur est liquidée par le juge qui en détermine le montant (cf. Note 3) . Dans ce dernier cas, les intérêts moratoires sont dus au taux d’intérêt légal sur les dommages et intérêts fixés par la décision judiciaire, à partir du jour de la décision jusqu’à leur paiement (cf. Note 4).

Les intérêts compensatoires compensent le délai qui s’écoule entre la survenance du dommage et le moment où le juge fixe le montant de la réparation, transformant ainsi la créance de valeur en une créance de somme.
Les intérêts compensatoires participent au principe de la réparation intégrale du dommage, principe consacré par l’article 1382 du Code civil en matière non contractuelle et par les articles 1147 et 1149 en matière contractuelle. En revanche, l’article 1153 du Code civil, qui régit les intérêts moratoires, déroge au principe de la réparation intégrale en disposant que pour les obligations qui se bornent au paiement d’une certaine somme, les dommages et intérêts résultant du retard dans l’exécution « ne consistent jamais que dans les intérêts légaux ».

De cette différence de philosophie, il découle quelques différences techniques :

a) Le point de départ des intérêts moratoires et compensatoires suppose que la dette soit devenue exigible, mais pour les intérêts moratoires, il faut en outre qu’il y ait sommation (cf. Note 5).

b) Le taux des intérêts moratoires est fixé par la loi (cf. Note 6) . Le taux des intérêts compensatoires est fixé par le juge.

c) La capitalisation des intérêts moratoires échus est régie par l’article 1154 du Code civil (cf. Note 7). En matière de dette de valeur, le juge peut accorder la capitalisation des intérêts compensatoires, sans être lié par les conditions de l’article 1154 du Code civil (cf. Note 8).

d) L’application de l’article 1254 du Code civil régissant l’imputation des paiements partiels s’applique, suivant la jurisprudence actuelle, incontestablement aux intérêts moratoires ; son application aux intérêts compensatoires fait l’objet de discussions qui seront examinées ci-dessous (chap.III).

En matière d’accidents de la circulation, la créance de réparation est généralement une créance de valeur qui fait courir des intérêts compensatoires. Cette créance, dès le moment où elle est liquidée par le juge, devient une créance de somme de sorte que le retard de paiement de cette somme fait courir des intérêts moratoires.

Dans les présentes fiches pratiques, on examinera uniquement le régime des intérêts compensatoires. Ils soulèvent un bon nombre de questions. Que représentent-ils exactement et quelle est leur justification ? Sur quelle base sont-ils calculés ? De quelle date à quelle date ? A quel taux ? Qui peut les réclamer ?



Jean-Luc Fagnart
Avocat au barreau de Bruxelles

Cabinet Thelius



Notes:

(1) P. Wéry, Droit des obligations, vol. I, ‘Théorie générale du contrat’, Larcier, 2010, 534, n° 607.

(2) J.L. Hirsch, « Moratoires… ? Compensatoires… ? Judiciaires…. ? Les intérêts en matière extracontractuelle », RGAR, 2002, n° 13624 ;- P. Laconte, « Les intérêts compensatoires et moratoires en matière contractuelle », JT, 2005, 529 et s. ;- C. Biquet-Mathieu et C. Delforge, « Le régime juridique des intérêts. Essai de synthèse », in Chronique de droit à l’usage des juges de paix et de police, 2008, 239-309 ;- D. de Callataÿ et N. Estienne, La responsabilité civile. Chronique de jurisprudence 1996-2007, vol. II, ‘Le dommage’, Larcier, 2010, 547-587 ;- J.L. Fagnart, « Les intérêts ou le prix de la patience », RGDC, 2006, 191 et s.

(3) Cass., 28 novembre 2002, Pas., 2002, 2277 ; RGAR, 2004, n° 13820 ; Bull.ass., 2003, 587 ;- C.T. Bruxelles, 16 juin 2011, JTT, 2012, 43. On prendra connaissance avec étonnement d’un arrêt ayant décidé que l’obligation d’un assureur de payer une indemnité constituant la réparation d’un dommage suivant une évaluation intervenue après la survenance d’un sinistre, ne constitue pas une dette de somme telle que visée à l’article 1153 du Code civil (Cass., 11 juin 2009, Pas., 2009, 1499 ; RDC, 2009, 884).

(4) Cass., 22 juin 2010, Pas., 2010, 1991 ; Chron.DS, 2011, 490.

(5) Code civil, art.1153 al.3. Aucune disposition légale n’interdit cependant que la sommation de payer soit antérieure à l’exigibilité de la dette. En ce cas, la sommation sortit ses effets dès l’exigibilité pour autant que la dette existe au moment où la sommation est faite (Cass., 16 avril 2009, Pas., 2009, 940, concl. avocat général T. Werquin ; JLMB, 2010, 1304).

(6) Cette règle n’est pas d’ordre public. Les parties peuvent convenir d’un autre taux (J.L. Fagnart, « Les intérêts ou le prix de la patience », op.cit., n° 25 et 26). Dans le cas des transactions commerciales régies par la loi du 2 août 2002 sur les retards de paiement, le taux des intérêts de retard, défini à l’article 2 de la loi, est fixé périodiquement par le ministre des Finances.

(7) Cette règle n’est pas applicable au compte courant (Cass., 27 février 1930, Pas., 1930, 129).

(8) Cass., 22 décembre 2006, Pas., 2006, 2855 ; RW, 2006-07, 1439.

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