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L’octroi d’une indemnité provisionnelle



1. L’octroi volontaire d’une indemnité provisionnelle

Croire qu’un responsable peut payer des indemnités provisionnelles comme il le veut, serait méconnaître la complexité de notre système juridique. Le responsable de l’accident, s’il est assuré, doit conférer à son assureur la direction du litige (cf. Note 1) . Il en résulte que l’indemnisation ou la promesse d’indemnisation de la personne lésée par l’assuré sans l’accord de l’assureur, n’est pas opposable à ce dernier (cf. Note 2) .

Cela signifie concrètement que si le responsable prend personnellement l’initiative de payer des indemnités provisionnelles à la victime, il risque fort de ne pouvoir en obtenir le remboursement de la part de son assureur.

L’assureur du responsable assume la direction du procès. Cela lui confère le droit d’indemniser la victime s’il l’estime opportun (cf. Note 3) . Ces interventions de l’assureur n’impliquent aucune reconnaissance de responsabilité dans le chef de l’assuré et ne peuvent lui causer un préjudice (cf. Note 4) .
Il s’en déduit que, malgré l’indemnisation provisionnelle de la victime par l’assureur, l’assuré peut toujours soutenir que le vrai responsable de l’accident est la personne indemnisée par son assureur. Il n’est pas lié par les actes de l’assureur.
Lorsque l’assureur verse une indemnité provisionnelle, il entendra se réserver une preuve du paiement qu’il a consenti. Il fera donc signer par la victime une quittance. Dans son jargon inimitable, la loi nous rappelle qu’une quittance « pour solde de compte partiel » (sic) n’implique pas que la personne lésée renonce à ses droits (cf. Note 5) . En d’autres termes, une quittance est un simple reçu et n’a pas d’autre signification.

Il arrive - assez rarement, il est vrai - qu’un assureur indemnise la personne lésée « pour compte de qui il appartiendra ». Dans ce cas, l’assureur veillera à se faire délivrer une quittance subrogatoire, conformément à l’article 1250, 1° du Code civil.


2. L’octroi légal d’une indemnité provisionnelle

Demande d’indemnisation

Lorsque l’accident est un accident de la circulation routière, la loi du 21 novembre 1989 sur l’assurance automobile obligatoire prévoit que la personne lésée peut adresser une demande d’indemnisation à l’assureur du responsable ou au représentant chargé du règlement des sinistres (cf. Note 6) .

Dans le délai de trois mois à compter de la présentation de la demande (cf. Note 7) , l’assureur ou son représentant est tenu de répondre. La réponse peut consister soit dans une offre d’indemnisation, soit en une réponse négative motivées.

Réponse motivée

Il y aura une réponse motivée lorsque l’assureur ou le représentant chargé du règlement des sinistres expose que la responsabilité ou le dommage sont contestables (cf. Note 8).

Offre d’indemnisation

Si l’assureur ne peut contester ni la responsabilité ni la quantification du dommage, il est tenu de présenter une offre d’indemnisation motivée (cf. Note 9) . Lorsque le dommage n’est pas entièrement quantifié ou quantifiable, l’entreprise d’assurance ou son représentant doit présenter une ‘offre d’avance’.

Selon un jugement, un dommage est totalement quantifié après que l’expert désigné par le juge a déposé un rapport définitif, ce qui n’empêche pas une quantification suffisante en vue d’une proposition de provision pour la partie non contestée du dommage ; le délai de trois mois pendant lequel l’assureur doit faire une proposition de provision court de plein droit à partir du dépôt du rapport médical provisoire de l’expert judiciaire (cf. Note 10).

L’offre d’avance porte sur les frais déjà exposés, la nature des lésions, la douleur endurée et le préjudice résultant des périodes d’incapacités temporaires déjà écoulées. L’avance porte également sur le préjudice le plus probable pour l’avenir. Elle peut toutefois, pour l’avenir, être limitée au préjudice le plus probable pour les trois mois qui suivent la date à laquelle la personne lésée a présenté sa demande d’indemnisation (cf. Note 11).

Absence d’offre d’indemnisation

Si aucune offre n’est présentée dans le délai de trois mois, l’assureur est tenu de plein droit au paiement d’une somme complémentaire, calculée au taux de l’intérêt légal, sur le montant de l’indemnisation offerte par l’assureur ou octroyée par le juge à la personne lésée. Cette somme complémentaire, qui s’ajoute aux intérêts légaux, est calculée pendant un délai qui court du jour suivant l’expiration du délai de trois mois jusqu’au jour suivant celui de la réception de l’offre par la personne lésée ou, le cas échéant, jusqu’au jour où le jugement ou l’arrêt par lequel l’indemnisation est accordée, est passé en force de chose jugée.

La même sanction est applicable lorsque le montant proposé dans l’offre n’est pas liquidé dans les trente jours ouvrables qui suivent l’acceptation de cette offre par la personne lésée. Dans ce cas, le délai court du jour suivant l’acceptation au lendemain du jour où la somme a été versée à la personne lésée.

En outre, la même sanction est encore applicable lorsque le montant proposé dans l’offre est ‘manifestement insuffisant’. La seule circonstance que l’assureur s’est basé, pour établir son offre, sur le tableau indicatif ne permet pas d’ôter tout caractère manifestement insuffisant à celle-ci ; les indemnités doivent en effet être adaptées aux circonstances concrètes de la cause (cf. Note 12) . L’intérêt est calculé sur la différence entre le montant mentionné dans l’offre et le montant mentionné dans le jugement ou dans l’arrêt relatif à cette offre et passé en force de chose jugée. Le délai court le lendemain de l’expiration du délai de trois mois précité jusqu’au jour du jugement ou de l’arrêt (cf. Note 13) .


3. L’octroi judiciaire d’une indemnité provisionnelle

Généralités

Une indemnité provisionnelle peut être accordée à la personne lésée soit par le juge du fond, soit par le juge des référés.
Lorsque le juge du fond ordonne le paiement d’une indemnité provisionnelle à la personne lésée, il en fixera généralement le montant en fonction de ce qu’il considère comme l’incontestablement dû.

Lorsque le juge du fond accorde une indemnité provisionnelle, il ne doit pas constater l’urgence. Il suffit qu’il constate que la créance de la personne lésée est certaine et exigible et qu’elle peut être liquidée.

Le référé-provision

L’octroi d’une indemnité provisionnelle par le juge des référés a fait l’objet, à la fin du XXe siècle, de plusieurs études importantes (cf. Note 14) .
La jurisprudence a dégagé les conditions qui doivent être remplies pour que le juge des référés puisse octroyer une indemnité provisionnelle. Depuis quelques années, plusieurs décisions affirment que l’allocation d’une provision par le juge des référés est subordonnée à trois conditions :

- la démonstration, par le demandeur, de son état grave d’impécuniosité, le rendant incapable de faire face à ses dettes sans l’obtention de la provision dont il sollicite l’octroi ;
- l’urgence manifeste à remédier à cette situation et le préjudice irréparable qui résulterait de l’abstention du juge des référés à faire droit à la demande ;
- l’incontestabilité apparente de la créance alléguée et de la dette corrélative, appréciée au regard du risque de voir le juge du fond désavouer ultérieurement la position prise par le juge des référés (cf. Note 15) .

Cette jurisprudence a sans doute le mérite de donner très clairement des précisions au sujet de la mise en œuvre du référé-provision, mais il est permis de penser que les deux premières conditions, en fait, n’en font qu’une : il convient de savoir s’il y a urgence.
On examinera donc ci-dessous les deux véritables conditions : l’urgence d’une part (A) et l’incontestabilité apparente de la créance d’autre part (B).

A/ L’urgence

La condition d’urgence est prévue par l’article 584 du Code judiciaire. Plusieurs décisions définissent l’urgence par un critère pertinent (A) ; d’autres décisions se livrent à des considérations qui ne semblent pas toujours des plus adéquates (B).

1° Le critère pertinent : l’état de besoin

On a dit que l’urgence résulte de la démonstration, par le demandeur, de son état grave d’impécuniosité le rendant incapable de faire face à ses dettes (ou ses besoins) sans l’obtention de la provision dont il sollicite l’octroi (cf. Note 16). L’urgence est justifiée par la nécessité impérieuse dans laquelle se trouve une partie d’obtenir une provision (cf. Note 17).

Un autre arrêt décide que l’état de tétraplégie spastique grave dont souffre la victime, sa dépendance totale et permanente de l’aide d’un tiers, l’impossibilité recommandée par l’équipe médicale d’un retour à son domicile, la nécessité d’adapter son domicile à ses besoins physiques, de le pourvoir d’un équipement spécial et d’assistance permanente, justifie l’octroi en référé d’une provision importante, ce montant devant permettre d’assurer la réinstallation de la victime à son domicile, celle-ci demeurant libre d’accepter la provision complémentaire allouée à tel ou tel poste (cf. Note 18).

La même idée a encore été exprimée autrement : il y a urgence lorsque le demandeur se trouve dans une situation financière précaire (cf. Note 19) ou souffre d’une insuffisance de revenus (cf. Note 20) . L’impécuniosité du demandeur doit être appréciée, non par rapport à la globalité du patrimoine de celui-ci, mais au regard de sa possibilité de disposer de manière non dommageable des liquidités nécessaires à la solution du problème rencontré (cf. Note 21).

2° Le critère discuté : la durée de la procédure au fond

Certaines décisions discutent du temps nécessaire pour obtenir une décision au fond. Une ordonnance considère qu’il n’est pas satisfait à la condition d’urgence si le juge du fond peut statuer dans un délai limité convenable (cf. Note 22) . Une autre ordonnance considère que le demandeur ne démontre pas à suffisance qu’il existerait une urgence telle qu’il lui serait impossible ou intolérable d’attendre l’examen de la cause par le juge du fond (cf. Note 23).

Il serait sans doute plus réaliste de reconnaître que la durée moyenne des procédures ne peut plus, aujourd’hui, être considérée comme normale. En raison de la carence de l’Etat, il s’écoule systématiquement un délai déraisonnable entre la date d’introduction de la cause et le jugement de celle-ci. Cette lenteur de l’appareil judiciaire donne à la personne lésée le sentiment d’un abandon et d’un manque de considération à son égard. On a pu déplorer que les organismes créés pour l’indemnisation des victimes se réfugient trop souvent dans des querelles techniques sans même chercher à offrir à la personne lésée une indemnisation provisionnelle pour compte de qui il appartiendra (cf. Note 24) .

B/ L’incontestabilité apparente

Le professeur Van Compernolle a fort bien exposé les principes : « Le référé-provision implique, par ailleurs, que la créance dont se prévaut le demandeur ne soit pas sérieusement contestable. Le caractère – exigé par l’efficacité immédiate d’une ordonnance exécutoire par provision – implique qu’il n’existe aucun doute raisonnable sur le droit allégué. On ne peut contraindre un débiteur à débourser une somme parfois élevée sans être certain de l’existence de sa dette, sous peine de l’exposer à une plus grande injustice en cas de débouté au fond et d’insolvabilité ultérieure du demandeur en référé. Il n’appartient pas au juge de préciser quels sont les éléments de la contestation qui rendent celle-ci sérieuse. Même si les droits du créancier ne paraissent pas sérieusement contestables, rien n’empêcherait par ailleurs le juge des référés d’assortir le cas échéant l’exécution provisoire d’une garantie (art. 1039 du Code judiciaire). Rappelons de surcroît que l’exigence d’incontestabilité s’apprécie non seulement au niveau de la créance, mais aussi à celui de la dette. Lorsque le droit à la réparation est évident, mais qu’il est difficile de déterminer le ou les débiteurs qui doivent indemniser le créancier, le juge des référés est incompétent pour accorder une provision » (cf. Note 25).

La Cour de cassation décide que le juge des référés peut ordonner des mesures conservatoires pour autant que des droits apparents justifient la décision (cf. Note 26) . La cour d’appel de Bruxelles confirme que le référé-provision est subordonné à l’incontestabilité apparente de la créance alléguée et de la dette corrélative, appréciée au regard du risque de voir le juge du fond désavouer ultérieurement la position prise par le juge des référés. Il faut que la partie défenderesse soit « quasi sûrement susceptible d’être condamnée par le juge du fond au paiement d’une somme d’argent d’un montant au moins équivalent » (cf. Note 27) . L’indemnité provisionnelle peut être accordée par le juge du référé si le droit du demandeur « n’est pas susceptible d’être sérieusement contesté, c’est-à-dire si tant la créance du demandeur que l’obligation y afférente du débiteur présumé, sont établies de façon suffisamment certaine » (cf. Note 28) .

A cet égard, le montant de la provision octroyée dans le respect de ces conditions est fonction de celui de la somme qui lui est incontestablement due par le défendeur (cf. Note 29) . Le montant de la provision a pour limite « le montant non sérieusement contestable de la dette alléguée (seuil d’évidence) » (cf. Note 30) .




Jean-Luc Fagnart
Avocat au barreau de Bruxelles

Cabinet Thelius




Notes :

(1) Loi du 25 juin 1992 sur le contrat d’assurance terrestre, art.79.

(2) Loi du 25 juin 1992, art.85.

(3) Loi du 25 juin 1992, art.79 al.2.

(4) Loi du 25 juin 1992, art.79 al.3.

(5) Loi du 25 juin 1992, art.84 al.1.

(6) P.H. Delvaux, « Le règlement des sinistres : obligation de faire offre et délais de règlement », in (dir. B. Dubuisson et P. Jadoul) Du neuf en assurance RC automobile, Academia-Bruylant, 2004, 135-160.

(7) Une lettre émanant d’un assureur ‘protection juridique’ peut constituer une demande d’indemnisation au sens de l’article 13 de la loi du 21 novembre 1989 (Pol. Bruges, 12 février 2010, TGR-TWVR, 2010, 182 ; CRA, 2010, 201).

(8) Loi du 21 novembre 1989 sur l’assurance automobile obligatoire, art.14 §1.

(9) Loi du 21 novembre 1989, art.13 §1.

(10) Civ. Malines, 15 novembre 2006, RW, 2009-10, 198 ; CRA, 2007, 164, note J. Muyldermans.

(11) Loi du 21 novembre 1989, art.13 §1 al.2.

(12) Civ. Bruxelles, 20 octobre 2009, RGAR, 2012, n° 14861.

(13) Loi du 21 novembre 1989, art.13 §2.

(14) C. Parmentier, « Le référé-provision », RDC, 1992, 278 et s. ;- J. Van Compernolle, « Actualité du référé », Ann. Dr., 1989, 141-172.

(15) Bruxelles, 19 mai 2005, JT, 2005, 774 ;- Civ. Neufchâteau, 21 juin 2005, RGAR, 2006, n° 14097 ;- Bruxelles, 25 octobre 2007, JT, 2008, 10 ;- Civ. Bruxelles (réf.), 22 février 2010 et 31 mars 2010, Entr.&Dr., 2011, 169 et 174, note J. Rikkers et J. Teheux.

(16) Bruxelles, 19 mai 2005, JT, 2005, 774.

(17) Civ. Liège (réf.), 24 mai 1994, RGAR, 1995, n° 12453 ; RGDC, 1995, 153.

(18) Bruxelles, 10 avril 1998, RGAR, 2000, n° 13192.

(19) Bruxelles, 11 décembre 2001, DBF, 2002, 283.

(20) Civ. Liège (prés.), 15 novembre 1995, AJT, 1995-96, 275, note G. Ballon ; Bull.ass., 1996, 498 ; RGAR, 1997, n° 12826.

(21) Bruxelles, 25 octobre 2007, JT, 2008, 10.

(22) Comm. Charleroi, 11 décembre 2002, Bull.ass., 2003, 383 ;- Civ. Liège (prés.), 15 novembre 1995, op.cit.

(23) Civ. Liège, 24 janvier 1994, RGAR, 1995, n° 12437.

(24) Civ. Bruxelles, 19 novembre 1997, RGAR, 1998, n° 12913.

(25) J. Van Compernolle, « Actualité du référé », Ann. Dr., 1989, 162-163.

(26) Cass., 25 novembre 1996, Pas., 1996, 1158.

(27) Bruxelles, 9 septembre 2002, RW, 2004-05, 1225.

(28) Bruxelles, 19 mars 1996, RDJP, 1996, 223.

(29) Bruxelles, 19 mai 2005, JT, 2005, 774. Dans le même sens : Civ. Liège (prés.), 15 novembre 1995, AJT, 1995-96, 275, note G. Ballon ; Bull.ass., 1996, 498 ; RGAR, 1997, n° 12826.

(30) Liège, 23 octobre 2003, RGAR, 2005, n° 13980 ; RRD, 2004, 52.

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