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Livre II : la résolution des conflits entre actionnaires



Principes

Les procédures de résolution des conflits entre actionnaires sont désormais prévues par les articles 2:60 à 2:69 du nouveau Code des sociétés et des associations (CSA).

Ces règles ne sont plus insérées dans les livres spécifiques aux formes sociales mais sont insérées dans le livre 2 du CSA, applicable à toutes les personnes morales. Toutefois, l’article 2:60 CSA prévoit que le titre 7 du livre 2 relatif à la résolution des conflits entre actionnaires est d’application uniquement à la SRL et à la SA, à l ’exception des sociétés cotées.

Pour rappel, il existe deux procédures de résolution judiciaire des conflits entre actionnaires, à savoir la procédure d’exclusion et la procédure de retrait :

• L’exclusion d’un actionnaire est la procédure judiciaire par laquelle un ou plusieurs actionnaires (détenant un certain pourcentage comme nous le verrons ci-après) sollicitent, pour de justes motifs, le départ d’un actionnaire, en demandant que ce dernier soit condamné à lui/leur revendre ses titres ; (Pour l’application du titre consacré aux résolutions des conflits internes, le terme « titres » est défini par le CSA comme étant les « actions, parts bénéficiaires, et titres et droits contractuels donnant droit à l'acquisition de pareils titres » (art. 2 :61, 2°))

• Le retrait d’un actionnaire est, au contraire, la procédure judiciaire par laquelle un actionnaire demande à sortir de l’actionnariat de la société, en sollicitant la condamnation de l’actionnaire ou des actionnaires à l’origine des justes motifs à lui racheter ses titres.

Ainsi, tant l’action en exclusion que l’action en retrait exigent que le demandeur démontre l’existence de « justes motifs ». La notion de justes motifs n’est pas définie par le CSA. Parmi les justes motifs dégagés par la doctrine et la jurisprudence, on retrouve notamment (i) le manquement d’un associé, (ii) l’abus de majorité, ou encore (iii) la mésintelligence grave entre associés.

L’actionnaire ou les actionnaires qui souhaite(nt) introduire une action en exclusion devra/devront démontrer qu’il(s) détien(nen)t des titres représentant 30 % des voix attachées à l'ensemble des titres existants (ou, pour la SRL, des titres auxquels 30 % des droits aux bénéfices sont attachés et, pour la SA, des actions dont la valeur nominale ou le pair comptable représente 30 % du capital de la société) (2:63 du CSA). Le défendeur en exclusion ne peut, par ailleurs, après que la citation lui a été signifiée, aliéner ses titres ou les grever de droits réels, sauf avec l’accord du juge ou des parties à la cause. La décision du juge n’est, dès lors, susceptible d’aucun recours pour les demandeurs en exclusion (art. 2:65 CSA).

En ce qui concerne l’action en retrait, l’article 2:68 du CSA prévoit que la circonstance que le défendeur cesse d’être actionnaire durant la procédure n’a pas d’incidence sur la poursuite de la procédure ni sur l’exercice des recours. En effet, pour éviter qu’une action en rachat forcé soit perturbée par le transfert des actions du défendeur durant la procédure, dans le but ou non de se soustraire à une condamnation à une reprise forcée, le CSA prévoit désormais que ce transfert n’a pas d’incidence sur la suite de la procédure. Il reste toutefois possible que ce transfert ait pour effet que la condition de justes motifs ne soit plus remplie, ou inversement, que les attitudes qui constituent ces justes motifs aient conduit à une situation irréversible, de sorte que l’action en retrait reste fondée, même si le défendeur n’est plus actionnaire (Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2017-2018, n° 54-3119/001, p. 81).

Ces actions doivent être portées devant le président du tribunal de l’entreprise du siège de la société, siégeant comme en référé. La société doit également être citée à comparaître en tant que partie à la procédure (art 2:62, § 1 CSA)

Précisons également que la procédure spécifique en exclusion et retrait judiciaire coexiste avec les mécanismes statutaires visant à organiser, dans la nouvelle SRL, la démission ou l’exclusion d’un actionnaire (art 5 :154 à 5 :156 CSA).

Les apports de la nouvelle réglementation

Le CSA n’a pas fondamentalement bouleversé la matière de l’exclusion et du retrait judiciaire. Les principales nouveautés apportées par le CSA par rapport à la législation antérieure visent spécifiquement à :

1. permettre à tout titulaire d’une partie du droit de propriété sur les titres d’exercer l’action en exclusion et en retrait ;

2. étendre les pouvoirs du président du tribunal de l’entreprise, afin qu’il puisse résoudre, dans un souci d’économie de procédure, les litiges connexes liés à l’exclusion ou au retrait ;

3. étendre les pouvoirs du président du tribunal de l’entreprise, afin qu’il puisse intervenir dans les modalités de détermination du prix de cession, des conditions du transfert de titre, de la libération des sûretés, ou encore de l’aménagement des clauses de non-concurrence.

1. Champ d’application de la procédure d’exclusion et de retrait

Le nouvel article 2:61 du CSA définit désormais ce qu’on entend par « actionnaire » pour l’application du titre 7 du livre 2, à savoir « tout titulaire d'une partie ou de l'ensemble du droit de propriété sur des titres à l'exception du droit de propriété à titre de sûreté», ce qui signifie que des titulaires de droits démembrés sur des titres (tel l’usufruitier ou le nu-propriétaire) pourront exercer l’action en retrait et en exclusion au même titre que les titulaires de l’ensemble des droits de propriété sur ces titres.
Le CSA règle les questions de procédure lorsque l’action en exclusion ou en retrait est intentée par ou contre un titulaire d’une partie du droit de propriété sur des titres.

L’article 2:64, alinéa 1 du CSA prévoit ainsi que si l'action en exclusion est intentée par un titulaire d'une partie du droit de propriété sur des titres, les autres titulaires du droit de propriété sur ces titres doivent également être appelés à la cause. Ainsi, par exemple, si une action en exclusion est intentée par un usufruitier contre un actionnaire, il devra également mettre à la cause le nu-propriétaire. En pareil cas, ce dernier devra préciser sa position quant à l’action intentée par l’usufruiter. Si le nu-propriétaire décide, à son tour, d’introduire une action en exclusion contre le même défendeur (l’actionnaire), car il peut également invoquer un « juste motif » à l’égard de cet actionnaire, et que cette action est déclarée fondée, le juge peut décider que soient accordés aux demandeurs sur les titres de l'actionnaire exclu des droits de même nature que ceux qu'ils avaient sur leurs propres titres au moment de l'introduction de l'action. Les relations existantes au départ entre l’usufruitier et le nu-propriétaire peuvent ainsi être maintenues.

Conformément à l’article 2:64, alinéa 2 du CSA, si l’action en exclusion est intentée contre un titulaire d’une partie du droit de propriété sur des titres, les autres titulaires de ce droit de propriété doivent être mis à la cause par le demandeur en exclusion. Ainsi, par exemple, si l’action en exclusion est introduite à l’encontre d’un usufruitier, le nu-propriétaire devra être mis à la cause. Il n’y a, par contre, pas de raison de reconnaître au juge le même pouvoir que celui prévu lorsque le propriétaire d’une partie du droit de propriété est demandeur. Le juste motif n’est, en effet, ici invoqué que contre un seul titulaire du droit de propriété (dans l’exemple l’usufruitier) et il serait par conséquent injustifié de contraindre l’autre titulaire (ici le nu-propriétaire) au transfert de ses droits. Ce dernier est toutefois appelé à la cause et peut préciser son point de vue. Il peut rester passif ou à son tour intenter une action en exclusion ou en retrait contre une des autres parties (Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2017-2018, n° 54-3119/001, pp. 77-78.).

L’article 2:68 du CSA prévoit, quant à lui, pour l’action en retrait, que si celle-ci est intentée par ou contre un titulaire d'une partie du droit de propriété sur les titres à reprendre, les autres titulaires du droit de propriété sur ces titres doivent être appelés à la cause. Ces autres titulaires peuvent alors préciser leur position quant à l’action en retrait. Ils peuvent demeurer passif ou à leur tour intenter une action en retrait ou en exclusion contre une ou plusieurs parties à la cause. Ils ne peuvent toutefois pas être contraints de céder leurs droits ni de reprendre une partie de leur droit de propriété sur les titres à transférer d’une autre partie si aucun juste motif n’est invoqué et déclaré fondé à leur encontre (Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2017-2018, n° 54-3119/001, p.81).

2. Connaissance des litiges connexes

La nouveauté principale réside, en l’espèce, dans l’élargissement des pouvoirs conférés au président du tribunal de l’entreprise siégeant comme en référé. Le CSA prévoit dorénavant que le président du tribunal de l’entreprise peut trancher tous les litiges connexes portant sur les relations financières entre les parties et la société ou avec les sociétés ou personnes qui y sont liées, notamment les litiges concernant les prêts, les comptes courants et les sûretés et portant sur les clauses de non-concurrence (art. 2:62, §3 CSA).

Selon l’exposé des motifs, l’objectif de cette nouvelle disposition est de permettre au président du tribunal de l’entreprise de statuer immédiatement sur un certain nombre de litiges liés à la sortie d’un actionnaire. Deux conditions sont donc nécessaires : (i) il doit s’agir de litiges connexes, c’est à dire que ces litiges doivent être liés entre eux par un rapport si étroit qu'il y a intérêt à les instruire et juger en même temps (voy. art. 30 du code judiciaire), et (ii) il faut que ces litiges connexes concernent les relations financières entre les parties et la société ou avec les sociétés ou les personnes qui y sont liées. Ainsi, les actions en responsabilité, en particulier les actions portant sur la responsabilité des administrateurs ou commissaires, ne relèvent pas de cette compétence.

3. Nouveaux pouvoirs du juge en la matière

Les autres modifications apportées dans le CSA devraient davantage permettre au président du tribunal de l’entreprise de modaliser ses décisions.

Il en est ainsi notamment lorsqu’une clause de détermination du prix de cession figure dans les statuts ou dans une convention d’actionnaires. Dans ce cas le juge ne sera tenu par cette clause que si celle-ci (i) vise expressément l’hypothèse de l’exclusion ou du retrait judiciaire, et (ii) si ces conventions ne donnent pas lieu à un prix manifestement déraisonnable. À titre d’exemple, l’exposé des motifs prévoit que le juge n’est pas tenu par le prix d’exercice d’un droit de préemption. Le juge peut également se substituer à toute partie ou à tout tiers désigné par les statuts ou les conventions pour fixer le prix de cession (art. 2:67, al. 2, et 2:69, al. 2 CSA).

À défaut de clause conventionnelle ou statutaire fixant le prix de cession, le juge dispose d’un large pouvoir d’appréciation. A noter que concernant la date à laquelle le prix des titres doit être fixée, l’article 2:67, alinéa 3, tranche la controverse liée à la question de la possible influence de l’attitude des parties sur la valeur des titres. Désormais, le CSA prévoit que le juge estime la valeur des titres au moment où il ordonne le transfert, sauf si cela conduit à un résultat manifestement déraisonnable. Dans ce cas, il peut tenir compte de toutes les circonstances pertinentes du litige afin de décider d’une augmentation ou d’une réduction du prix de cession (art. 2:67, al. 3, et 2:69, al. 3, CSA).

En outre, le juge peut ordonner le transfert de propriété des titres en fixant un prix provisoire, dans l’attente de nouveaux éléments permettant la détermination d’un prix définitif. Il peut également imposer la constitution d’une garantie, lorsque le transfert de propriété ne se fait pas en même temps que le paiement du prix de cession, subordonner une partie du prix au respect d’une clause de non-concurrence ou modaliser une clause de non-concurrence existante. Enfin, le juge pourra imposer aux demandeurs de libérer ou de faire libérer les défendeurs des sûretés réelles et personnelles octroyées en faveur de la société, ou de leur fournir à cet effet une contre-garantie adéquate (art. 2:67, al. 4, et 2:69, al. 4, CSA).

Notons encore qu’un changement apporté par le CSA réside en ce que désormais le président du tribunal de l’entreprise siégeant comme en référé peut connaître des actions en dissolution judiciaire de la société pour de justes motifs (art. 2:73 CSA). Elle permet ainsi un gain de temps procédural puisque désormais, la dissolution judiciaire pourra, le cas échéant, être demandée à titre subsidiaire dans le cadre des procédures en exclusion ou en retrait, ce qui n’était pas possible sous l’ancien Code étant donné que cette procédure était de la compétence du juge de fond.





Caroline Kempeneers
Avocate - Médiatrice agréée en matière civile et commerciale
Solis Law Firm


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