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Ventes par internet : il est interdit d’interdire



La pression concurrentielle exercée par les ventes en ligne sur les ventes en magasin va probablement se renforcer. Le développement des réseaux de livraison, l’accès de plus en plus facile aux achats en ligne, notamment via les smartphones et les tablettes, le renforcement des techniques de marketing des sites de vente à ligne, atteignent de façon de plus en plus performante la clientèle des franchisés.

Certains franchiseurs pensent pouvoir interdire la vente sur Internet pour éviter le développement d’une concurrence trop importante ou en mettant en place une politique de prix de revente imposés directement ou indirectement, ce qui aboutit à une restriction des ventes sur Internet. Ils pensent que de cette manière, ils peuvent se réserver la vente sur Internet et en tirer seuls les profits ou qu’ils peuvent éviter que les franchisés se plaignent du non-respect de l’exclusivité territoriale qui leur est garantie contractuellement.

L’Autorité de la concurrence (anciennement appelée Conseil de la concurrence), est une autorité administrative indépendante chargée de lutter contre les pratiques anticoncurrentielles et d’étudier le fonctionnement des marchés.

Cette administration surveille ces pratiques et s’appuie toujours, pour prendre des décisions, qui ont valeur de jugements, sur le cadre d’analyse issu de la jurisprudence et des lignes directrices européennes.

En voici quelques exemples qui ne concernent pas nécessairement des réseaux de franchise mais qui s’appliquent à ceux-ci :

– L’Autorité de la concurrence française a sanctionné une entreprise du secteur de la distribution de matériel de motoculture (la société Stihl) pour avoir, dans le cadre de son système de distribution sélective, mis en œuvre une entente illicite consistant à interdire de facto la vente des produits à partir des sites Internet des distributeurs (Décision 18-D-23 du 24 octobre 2018 confirmée par la Cour d’appel de Paris du 17 octobre 2019). Dans cette décision, l’Autorité a estimé que si le recours par un fabricant à un système de distribution sélective était justifié mais que le fait d’imposer que toute commande, même passée sur Internet, soit remise en main propre au client par le personnel de l’entreprise auprès de laquelle la commande avait été passée (soit dans les points de vente physiques, soit lors de la livraison au domicile sans passer par un prestataire tiers) revenait à interdire de facto la vente de ses produits à partir des sites Internet de ses distributeurs. Un tel encadrement des ventes à distance qui allait au-delà de ce qui était nécessaire pour préserver la sécurité des usagers tant professionnels que profanes constituait ainsi une restriction de concurrence par objet. L’interdiction des ventes passives est une restriction «caractérisée» au sens du règlement européen no 330/2010.

– L’Autorité de la concurrence française a sanctionné plusieurs sociétés actives dans le secteur des cycles haut de gamme pour avoir interdit à leurs distributeurs agréés la vente de cycles à partir d’Internet (Décision 19-D-14 du 1er juillet 2019). En effet, ceux-ci avaient l’obligation de livrer les produits commandés dans les points de vente physiques. L’Autorité a estimé que cette pratique constituait de facto une interdiction de vente en ligne.

– Le Conseil de la concurrence a jugé que l’interdiction totale de la vente en ligne ou les conditions mises à la vente en ligne des produits Bose, Focal JM Lab et Triangle imposées aux distributeurs agréés de ces marques étaient excessives, notamment au regard des objectifs visés (préservation de l’image de marque et nécessité de dispenser des conseils aux clients du fait de la haute technicité des produits) et au regard des restrictions s’appliquant aux points de vente physiques des distributeurs agréés (Décision n° 6-D-28 du 5 octobre 2006).

– La Cour de justice de l’Union Européenne a été saisie d’une question préjudicielle dans le cadre d’un recours entrepris par la Société Pierre Fabre Dermo-Cosmétique devant la Cour d’appel de Paris. Le Conseil de la concurrence français a infligé à cette société une amende de 17.000 euros et lui a enjoint de modifier ses contrats pour autoriser ses distributeurs à vendre en ligne ses produits (Décision n° 08-D-25 du 29 octobre 2008). Le Conseil a en effet estimé qu’en imposant à ses distributeurs agréés une interdiction de vente des produits sur Internet, le fournisseur limitait la liberté commerciale de ses distributeurs en excluant un moyen de commercialisation de ses produits ; il restreignait le choix des consommateurs souhaitant acheter par Internet et empêchait les ventes aux acheteurs qui ne sont pas localisés dans la zone. Le Conseil en a conclu que la clause d’un accord interdisant aux distributeurs d’une société de produits cosmétiques de vendre ses produits par Internet constituait une restriction de concurrence par objet. Cette analyse a été confirmée par la Cour de Justice de l’Union européenne (Arrêt CJUE C-439/09 du 13 octobre 2011) ensuite par la Cour d’appel de Paris (arrêt du 13 janvier 2013 n° 2008/23812).

Le franchiseur doit donc être particulièrement prudent lorsqu’il gère les ventes par Internet dans son réseau. Ne rien interdire. Mais réglementer l’usage d’internet par les franchisés, pour qu’ils respectent les normes et le savoir-faire du franchiseur, reste possible.




Pierre Demolin
Avocat aux barreaux de Mons et de Paris
Cabinet Demolin Brulard Barthélémy (www.dbblaw.eu)





Version mise à jour le 3 février 2021.

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