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Le contrat de partenariat commercial international : quelle loi ? quel tribunal ?



A. En ce qui concerne la loi applicable au contrat


Les dispositions du Code de droit économique relatives à l’information précontractuelle dans le cadre d’accords de partenariat commercial (articles X.26 à X.33) ne réglementent ni toute la phase précontractuelle ni le contrat lui-même (cf. Note 1).

En vertu de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux contrats conclus avant le 17 décembre 2009, le contrat est régi par la loi choisie par les parties et, à défaut de choix, par la loi qui entretient les liens les plus étroits avec le contrat. Il est présumé que cette loi est celle de l’Etat où le débiteur de la prestation caractéristique (cf. Note 2) a installé son principal établissement si le contrat a été conclu à des fins professionnelles (cf. Note 3).

Pour les contrats conclus après le 17 décembre 2009, le Règlement CE n° 593/2008, dit règlement Rome I, est applicable et il privilégie également le choix des parties. Toutefois, à défaut de choix, le Règlement détermine la loi applicable en fonction du type de contrat. Ainsi, s’agissant d’un contrat de franchise, la loi applicable est celle du pays dans lequel le franchisé a sa résidence habituelle (article 4, §1, e). Le contrat de distribution est quant à lui, régi par la loi du pays dans lequel le distributeur a sa résidence habituelle (article 4, §1, f).

La violation d’une obligation légale applicable dans la phase précontractuelle d’un accord n’est pas la violation d’un engagement librement contracté par les parties. Il s’agit d’un quasi-délit. Il en est de même pour la violation de l’obligation de confidentialité imposée par l’article X. 31 (cf. Note 4).

En présence des dommages survenus après le 11 janvier 2009, il convient d’appliquer le Règlement du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (dit « Rome II ») (cf. Note 5). L’article 12 dudit règlement prévoit la loi applicable au dommage résultant d’une « culpa in contrahendo ». Au sens du Règlement, la notion de « culpa in contrahendo » inclut la violation du devoir d’informer et la rupture de négociations contractuelles (cf. Note 6).

La violation de l’obligation d’information précontractuelle telle que prévue par le Code de droit économique est incontestablement visée par le règlement. En vertu dudit article, la loi applicable à une obligation non contractuelle découlant de tractations menées avant la conclusion du contrat est, que le contrat soit effectivement conclu ou non, la loi qui s’applique au contrat ou qui s’y appliquerait s’il avait été conclu (article 12, §1). Cette disposition implique de recourir aux règles de conflits de lois applicables aux obligations contractuelles. A défaut de pouvoir déterminer la loi applicable à la culpa in contrahendo sur la base du paragraphe 1 dudit article, le Règlement édicte d’autres critères de rattachement en son paragraphe 2.

Nous appliquerons donc le Règlement « Rome I » afin de vérifier si les dispositions du Code droit économique peuvent être appliquées en tant que loi de police.

Il convient de distinguer deux hypothèses :

- les dispositions du Code de droit économique sont invoquées en tant que loi de police du for ;

- les dispositions du Code de droit économique sont invoquées en tant que loi de police devant un tribunal étranger saisi du litige.

Dans la première hypothèse, nous nous référons à l’article 9 §1 et 2 du Règlement « Rome I » qui définit la notion de loi de police.

Cependant, suite à l’adoption dudit Règlement, et en conséquence de la nouvelle définition de la loi de police, une controverse est née quant au sort des lois protectrices de la partie la plus faible (cf. Note 7). Une partie de la doctrine considère que la référence aux intérêts publics exclut la qualification de loi de police pour les dispositions protectrices des parties plus faibles. En effet, il a été soutenu que « la notion se ‘publicise’ et se rétrécit ainsi considérablement : elle devient presque peau de chagrin, de nature à remettre en cause les pratiques nationales préexistantes, qui se servent de l’échappatoire des lois de police pour la protection catégorielle des intérêts privés particuliers d’une partie jugée faible » (cf. Note 8).

L’autre partie de la doctrine estime que la nouvelle définition de lois de police ne remet pas en cause « les pratiques nationales soucieuses de protéger certaines catégories de justiciables par le biais de lois internationales impératives » (cf. Note 9). Le Professeur Nuyts se rallie à cette analyse en considérant que le bien-fondé de cette thèse se trouve confortée par l’arrêt Arbalde (cf. Note 10). En l’espèce, la Cour a qualifié de loi de police des dispositions considérées comme protectrices du travailleur. Ainsi, cet auteur considère que « la notion de loi de police au sens de l’article 9,1. peut encore comprendre des dispositions protectrices d’une partie faible, lorsqu’elles reçoivent un caractère internationalement impératif selon le droit national (cf. Note 11).

Nous estimons que les dispositions du Code de droit économique relatives à l’information précontractuelle répondent aux critères de loi de police tels que prévus à l’article 9 du règlement. Dès lors que la situation entre dans le champ d’application de la loi, à savoir lorsque le partenaire exerce son activité principalement en Belgique, et que le juge belge est saisi du litige, la loi belge, en tant que loi de police, devrait écarter la loi étrangère normalement applicable en vertu des règles de conflit de loi.

Si les dispositions du Code de droit économique sont invoquées en tant que loi de police devant un juge étranger, il convient de les examiner au regard des critères énoncés à l’article 9 § 3 du Règlement Rome I. En application de celui-ci, « Il pourra également être donné effet aux lois de police du pays dans lequel les obligations découlant du contrat doivent être ou ont été exécutées, dans la mesure où lesdites lois de police rendent l’exécution du contrat illégale. Pour décider si effet doit être donné à ces lois de police, il est tenu compte de leur nature et de leur objet, ainsi que des conséquences de leur application ou de leur non-application ».

Alors que la Convention de Rome n’exigeait que l’existence d’un lien étroit avec la situation (cf. Note 12), désormais l’application de la loi de police étrangère est soumise aux deux conditions ;

1. Selon la première condition, la loi de police invoquée doit être celle du lieu d’exécution du contrat. La doctrine préconise qu’à défaut de pouvoir déterminer ce lieu d’exécution de manière factuelle, il convient de rechercher dans la norme de police invoquée quel est son champ d’application spatial (cf. Note 13).

2. Selon à la seconde condition, la loi en cause doit avoir pour effet de rendre l’exécution contrat illégale. En l’espèce, le non-respect de l’obligation de l’information précontractuelle est sanctionné par la nullité de tout ou partie de l’accord de partenariat commercial. Dès lors, nous estimons que les dispositions du Code de droit économique relatives à l’information précontractuelle invoquées devant un tribunal étranger par celui qui reçoit le droit et exécute le contrat en Belgique, devraient pouvoir être appliquées par un juge étranger en tant que loi de police étrangère.

S’agissant des dommages survenus avant l’entrée en vigueur du Règlement Rome II, nous appliquerons les dispositions du Code de droit international privé.

L’article 99 du Code de droit international privé prévoit que la loi applicable est celle de l’Etat où l’auteur et la victime ont leur résidence habituelle. A défaut de résidence dans le même Etat, il faut appliquer la loi du pays où le fait générateur et le dommage se sont réalisés. Et si plusieurs pays sont concernés par le fait générateur et le dommage, il faut appliquer la loi entretenant les liens les plus étroits avec l’obligation. La préférence ira donc vers la loi belge (cf. Note 14).


B. En ce qui concerne les tribunaux compétents


En vertu de l’article X.33 du Code de droit économique, la phase précontractuelle de l'accord de partenariat commercial relève de la loi belge et de la compétence des tribunaux belges, lorsque la personne qui reçoit le droit exerce l'activité à laquelle se rapporte l'accord principalement en Belgique.

En présence d’un contrat de partenariat commercial international, conformément à la primauté des traités internationaux, il conviendra de vérifier en premier lieu si le règlement CE n°44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (cf. Note 15) (dit Bruxelles 1), s’applique. En vertu de ce règlement, les parties sont libres de prévoir une clause attributive de juridiction (cf. Note 16).
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Cependant, les dispositions des articles X.26 à X.33 du Code de droit économique sont d’application immédiate et peuvent être qualifiées de loi de police. Nous estimons donc, sur la base des mêmes motifs que ceux exposés précédemment à propos de la loi applicable, que les dispositions du Code de droit économique prévalent sur toute disposition différente figurant dans le contrat de partenariat commercial en ce qui concerne l’obligation d’information précontractuelle.

Nous pouvons même ajouter qu’un litige relatif à ces dispositions du Code de droit économique n’est pas arbitrable pour les mêmes motifs que ceux exposés par la Cour de cassation dans le cadre de litiges concernant des contrats d’agence ou concernant la résiliation d’une concession de vente exclusive à durée indéterminée (cf. Note 17)

Si le règlement CE n°44/2001 ne s’applique pas, et en l’absence d’autres traités internationaux, il faut se référer à l’article 2 du Code de droit international privé qui prévoit que la compétence des juridictions belges est régie par le Code mais sous réserve de l’application des traités internationaux (cf. Note 18), du droit de l’Union européenne ou de dispositions contenues dans des lois particulières. Dans ce cas, en présence d’une loi de police, juridictions belges seront compétentes.



Pierre Demolin
Avocat aux barreaux de Mons et de Paris
Cabinet DBB Law(www.dbblaw.eu)




Notes:


(1) Sous réserve des dispositions relatives à l’obligation de confidentialité et à l’interprétation du contrat.

(2) En matière de contrat d’agence commerciale, ce sera dont la loi de l’Etat où l’agent est établi. Voir R. BALDI, Le droit de la distribution commerciale dans l’Europe communautaire, Bruxelles, Bruylant, 1988, p.203. P. HOLLANDER, « Aspects de droit international privé et d’arbitrage de la distribution commerciale », in La distribution commerciale dans tous ses Etats, Bruxelles, Ed. du Jeune Barreau de Bruxelles, 1997, p.241, n°35. Voy. aussi pour une analyse détaillée de cette notion,  M.E. ANCEL, La prestation caractéristique du contrat, Economica, Recherches juridiques, France, 2002.

(3) Règlement (CE) n°593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I), J.O.U.E., L. 177, du 4 juillet 2008, p. 6.

(4) Cependant, si un contrat de confidentialité a été signé par les parties, indépendamment de l’obligation légale, on pourrait se trouver dans une situation d’obligation contractuelle avec les conséquences qui s’ensuivent au niveau de la détermination de la loi applicable.

(5) J.O.U.E., L 199/40 du 31.07.2007, Règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (« Rome II »). Ce Règlement est applicable aux faits générateurs de dommages survenus après son entrée en vigueur, soit, à partir du 11 janvier 2009 (article 32 du Règlement).

(6) Voir le considérant 30.

(7) A. NUYTS, « Les lois de police et dispositions impératives dans le Règlement Rome I », R.D.C., 2009/6, p. 563 et s.

(8) L. D’AVOUT, « Le sort des règles impératives dans le Règlement Rome I », Rec. Dalloz 2008, n° 31, p. 2167  cité par A. NUYTS, op. cit., p. 559.

(9) P. WAUTELET, « Le nouveau droit européen des contrats internationaux » in Actualités de droit international privé, Anthemis, 2009, p.45, également cité par A. NUYTS, op. cit., p. 559.

(10) C.J.C.E., 23 novembre 1999, R.C.D.I.P. 2000, p. 710, note M. FALLON.

(11) A. NUYTS, op. cit. p. 560.

(12) Art. 7 § 1 de la Convention de Rome du 19 juin 1980.

(13) A. NUYTS, op. cit. p. 564.

(14) Des conventions internationales pourraient prévaloir sur cette disposition. Sur cette question, que, volontairement, nous n’approfondissons pas ici, et sur laquelle des nuances doivent être apportées à l’avis exprimé ci-avant, voy. J. TORO, « L’information précontractuelle dans le cadre d’accords de partenariat commercial en droit international privé », R.D.C., 2006/9, p. 923. La notion d’activité principale en Belgique doit notamment être précisée.

(15) J.O., L 12, 16 janvier 2001. Ce règlement sera remplacé le 1er janvier 2015 par le règlement CE n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 (dit Bruxelles 1bis), J.O., L. 351, 20 décembre 2012.

(16) Art. 23 du règlement. A noter que les conditions de forme doivent avoir été respectées pour que ce choix soit valable (art. 23) et que le non respect de cette disposition doit être invoquée in limine litis (art. 24).

(17) Voy., notamment, pour le contrat d’agence : Cass., 5 avril 2012, R.D.C., 2012, p. 937 et pour le contrat de concession : Cass., 28 juin 1979, Pas., 1979, I, p. 1260 et Cass., 14 janvier 2010, R.C.J.B., 2013, p. 249, note M. TRAEST.

(18) Notamment la Convention de Lugano du 16 septembre 1988 qui étend les règles de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 aux pays de l’Espace économique européen, avec quelques réserves

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