Imprimer

La loi du 15 décembre 2004 relative aux sûretés financières



Objectif de la loi

La loi du 15 décembre 2004 relative aux sûretés financières et portant des dispositions fiscales diverses en matière de conventions constitutives de sûreté réelle et de prêts portant sur des instruments financiers a pour objet de transposer en droit belge la directive 2002/47/CE du 6 juin 2002 concernant les contrats de garantie financière (ci-après « la directive Collateral »).

La directive Collateral s’inscrit dans le plan d’action pour les services financiers élaboré par la Commission européenne et doit être rapprochée, à ce titre, de la directive 98/26/CE concernant la sécurité juridique des systèmes de paiement et de règlement des opérations sur titres, ainsi que des directives 2001/17/CE et 2001/24/CE qui concernent les aspects de droit international privé des procédures d’insolvabilité applicables aux entreprises d’assurance et établissements de crédit (voy. la loi du 9 décembre 2004). Sans pour autant harmoniser le droit des sûretés en tant que tel, la directive Collateral vise à assurer l’efficacité des sûretés financières en obligeant les Etats membres à modifier leur droit matériel afin de reconnaître l’efficacité de ces sûretés, tant en limitant les exigences formelles susceptibles d’être prévues par les droits nationaux au titre de conditions de validité ou d’opposabilité des contrats de sûreté qu’en prévoyant des procédures d’exécution rapides et non formelles.

La loi du 15 décembre 2004 comporte en outre un volet fiscal, tendant à instaurer un régime fiscal global et uniforme s’appliquant aux diverses conventions constitutives de sûretés réelles et portant sur des instruments financiers.


Champ d’application de la loi

Ratione personae la loi concerne toute personne et donc également les personnes physiques. Aussi faut-il relever le fait que l’article 2 précise que les dispositions de la loi du 15 décembre 2004 s’appliquent sans préjudice de la législation régissant la protection des consommateurs, laquelle doit ainsi être considérée comme une lex specialis par rapport à la loi du 15 décembre 2004 (sont ainsi applicables, les dispositions relatives aux clauses abusives prévues par les articles 30 à 32 de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques de commerce et sur l’information et la protection des consommateurs de même que, le cas échéant, certaines dispositions de la loi du 12 juin 1991 relative au crédit à la consommation).

En vertu de l’article 4 de la loi, celle-ci s’applique à l’ensemble des conventions constitutives de sûreté réelle dont l’assiette porte soit sur des instruments financiers qui ont été remis au bénéficiaire de la garantie, soit sur des espèces mises en gage ou transférées par contrat au bénéficiaire de la garantie ou de la personne agissant pour son compte. Ne sont toutefois pas visés par cette loi, les garanties locatives en espèces consenties en vertu de la loi du 20 février 1991 de même que le mécanisme de garantie prévu par l’article 53 de la loi du 12 juin 1991 en cas de crédit-bail.

En vertu de l’article 4 § 2 la loi s’applique également aux conventions de netting (voy. à cet égard également le Règlement n° 1346/2000 relatif aux procédures d’insolvabilité qui consacre déjà une protection des conventions de netting en cas de procédure d’insolvabilité).

Enfin, la loi couvre également les agents agissant dans le cadre d’un contrat de commission avec les bénéficiaires pour compte de qui la sûreté est conclue, peu importe que le statut de ces agents soit régi par le droit belge ou par le droit étranger.


Régime de la preuve

L’article 6 de la loi détermine le régime de la preuve de la convention constitutive de sûreté réelle elle-même en précisant que son existence pourra être établie à l’aide d’un écrit ou de toute autre mode de preuve admis en matière commerciale. Cela vaut également pour l’identification des avoirs qui font l’objet d’une telle convention et pour la remise des instruments financiers.


Gage

La loi prévoit des règles spécifiques quant aux conditions de validité et d’opposabilité du gage, quant aux modalités de réalisation et également quant aux droit d’utilisation des instruments financiers donnés en gage.

Du point de vue des conditions de validité et d’opposabilité du gage, la loi n’a pas écarté l’ensemble des règles relatives au gage civil pour les contrats de gage portant sur des instruments financiers, mais bien les dispositions relatives à la validité et l’opposabilité du gage contraires à la directive Collateral. Sont ainsi écartées, les dispositions du Code civil qui prévoient l’accomplissement de formalités consistant dans un acte public ou un acte dûment enregistré (art. 1328 et 2074 C.civ.). Concrètement, cela signifie que le gage qui porte sur des titres nominatifs est valablement conclu et opposable aux tiers autres que le débiteur (la société émettrice des titres en question) par le seul échange de consentements (l’opposabilité au débiteur suppose une notification ou une reconnaissance, ce qui pourra notamment résulter de l’inscription au registre des actionnaires) et que le gage portant sur des titres au porteur sera valable et opposable aux tiers par la tradition des titres faite par le propriétaire entre les mains du créancier gagiste ou du tiers convenu. Rappelons également que l’Arrêté Royal n° 62 (art. 5, § 1er tel que modifié par l’art. 133, § 4 de la loi du 2 août 2002) que la mise en possession (et partant la dépossession) d’instruments financiers placés sous le régime de la fongibilité se réalise valablement par l’inscription sur un compte ouvert auprès de l’organisme de liquidation ou chez un affilié sans qu’aucune autre formalité ne soit requise pour assurer la validité ou l’opposabilité aux tiers du gage portant sur des instruments financiers fongibles. La loi du 15 décembre 2004 n’a donc pas modifié ce régime qui paraît en effet conforme aux exigences de la directive Collateral. La loi précise également que les avoirs donnés à titre de garantie complémentaire ou substitués suivent le même régime que les avoirs initialement donnés en gage.

Pour ce qui est de la réalisation des avoirs donnés en gage, l’article 8 autorise le créancier gagiste, en cas de défaut d’exécution, à réaliser, sans mise en demeure ni décision judiciaire préalable, les instruments financiers faisant l’objet du gage, dans les meilleurs délais possibles, nonobstant une procédure d’insolvabilité (art 8, § 1). Le texte déroge ainsi aux articles 2078 C.civ. et 4 à 10 de la loi du 5 mai 1872 formant le Titre VI, livre Ier du Code de Commerce. L’imputation du produit de la réalisation doit se faire conformément à l’article 1254 C.civ. Le créancier gagiste devra bien entendu s’efforcer de réaliser les instruments financiers au prix le plus avantageux pour le débiteur et dans les plus brefs délais possibles eu égard au marché en cause et au volume des transactions. Pour la réalisation qui consiste dans l’appropriation par le créancier gagiste de l’assiette du gage, celle-ci n’est permise que moyennant l’accord des parties lequel devra également préciser les modalités d’une telle appropriation (art 8, § 2). En vertu de l’article 8 § 3 le débiteur peut recourir a posteriori aux juridictions compétentes en cas d’évaluation ou de réalisation effectuée dans des conditions anormales de nature à engager la responsabilité du créancier gagiste.

Lorsque l’assiette du gage consiste dans des espèces, l’article 9 permet, de la même manière, au créancier gagiste, en cas de défaut d’exécution, de réaliser, sans mise en demeure ni décision judiciaire préalable, l’assiette du gage en imputant les espèces engagées conformément à l’article 1254 C.civ.

Dans les deux hypothèses (art 8 et art. 9) le solde éventuel revient, conformément au droit commun, au débiteur gagiste (ou, le cas échéant, au tiers constituant du gage).

Il faut en tout cas déduire des articles 8 et 9 que la règle de la suspension des poursuites individuelles du créancier gagiste (pendant la période d’observation en cas de concordat et jusqu’à la clôture du procès-verbal de vérification des créances en cas de faillite) consacrée par les lois respectives relative au concordat et sur la faillite, ne jouera pas pour les sûretés couvertes par le champ d’application de la loi (pour une règle similaire préexistante, voy. l’article 5, § 2 de l’Arrêté Royal n° 62 tel que modifié par la loi du 2 août 2002).

En cas de conflit entre le privilège légal institué par l’article 31 de la loi du 2 août 2002 (privilège au profit des intermédiaires financiers et des organismes de compensation et de liquidation sur les avoirs remis par leurs clients respectifs) et un gage portant sur des avoirs soumis à un tel privilège, le gage prime – sauf convention contraire – sur le privilège en question pour autant que l’intermédiaire ou l’organisme bénéficiaire du privilège légal ait accepté d’inscrire dans ses livres ledit gage (lorsque celui-ci porte sur des instruments financiers) ou ait reconnu la mise en gage conformément à l’article 2075, alinéa 2 du Code civil (lorsque le gage porte sur des espèces) (art. 10).

Enfin, en ce qui concerne le droit d’utilisation des instruments financiers grevés, la loi consacre expressément ce droit d’utilisation prévu par l’article 5 de la directive Collateral afin d’éviter que les actifs fournis à titre de garantie ne soient rendus indisponibles sur le marché financier (une telle indisponibilité pouvant avoir une incidence négative sur la liquidité des instruments financiers). Rappelons que le droit belge autorisait déjà une telle utilisation, par dérogation à l’interdiction de principe de disposer de la chose donnée en gage, dans la mesure où cette utilisation était autorisée par le constituant d’un gage ordinaire. Pour le gage portant sur des choses fongibles, il n’y avait pas d’interdiction de principe et le créancier gagiste pouvait toujours disposer des actifs engagés à charge pour lui de restituer une quantité équivalente à celle des biens remis en gage (compte tenu de la nature fongible et en l’absence d’individualisation, le créancier gagiste se voyait en réalité transférer un droit de propriété sur les actifs engagés, moyennant cette obligation de restituer une quantité équivalente). L’article 11 de la loi confirme que, dans la mesure où les parties l’ont convenu, le créancier gagiste peut utiliser les instruments financiers qui lui ont été donnés en gage comme s’il en était propriétaire. Le créancier gagiste devra dans ce cas substituer aux actifs utilisés des actifs équivalents, et ce au plus tard à la date d’exigibilité de la créance garantie. Les parties peuvent cependant convenir d’imputer la valeur des actifs utilisés sur la créance garantie. L’utilisation des actifs ne porte en tout cas pas atteinte au principe selon lequel le solde des instruments financiers donnés en gage revient au constituant du gage.


Transfert de propriété à titre de garantie

L’on connaît les incertitudes juridiques en droit belge relatives à la validité et l’opposabilité du transfert de propriété à titre de garantie (la validité n’étant plus contestable compte tenu de la jurisprudence récente de la Cour de cassation mais l’opposabilité aux tiers en cas de concours demeurant controversée). Ces incertitudes avaient déjà été écartées dans le domaine des opérations de cession-rétrocession (ci-après « repo ») et des transferts d’instruments financiers ou d’espèces en vue de servir de garantie à des engagements souscrits par des institutions actives sur les marchés financiers (voy. la loi du 2 janvier 1991 ainsi que la loi du 15 juillet 1998 insérant un article 25bis dans la loi du 2 janvier 1991 par lequel la validité et l’opposabilité aux tiers du transfert de propriété à titre de garantie avaient été étendus des opérations de repo à tout transfert de propriété d’instruments financiers ou d’espèces en compte en vue de garantir les engagements des établissements financiers).

L’article 12 de la loi du 15 décembre 2004 reprend le contenu de l’article 25bis précité et confirme ainsi que de tels transferts sont valables et opposables aux tiers en cas de procédure d’insolvabilité, de saisie ou de situation de concours. En outre, l’article 12 précise que l’efficacité de telles conventions couvre toutes les prérogatives du cessionnaire qui découlent de son droit de propriété en ce compris la possibilité de se payer en compensant sa créance avec la valeur des actifs qu’il a acquis et ce, sans entrer en concours avec d’autres créanciers du débiteur défaillant et sans devoir suspendre cette compensation en raison d’une procédure collective. Ce faisant, l’article 12 met ainsi fin à une controverse qui avait vu le jour à propos de l’article 25bis.

La loi ne se prononce toutefois pas sur le transfert de propriété à titre de garantie en droit commun (en dehors de l’hypothèse des instruments financiers ou des espèces) et exclut du champ d’application de l’article 12 les conventions conclues entre ou avec des personnes physiques.


Opérations de cession-rétrocession (« repo »)

Pour ce qui est des opérations de repo, c’est-à-dire les opérations de vente au comptant d’instruments financiers comportant simultanément, entre les mêmes parties, un rachat à terme déterminé ou indéterminé d’instruments financiers présentant les mêmes caractéristiques et pour le même montant (voy. notamment la loi du 2 janvier 1991 tel que modifiée par la loi du 15 juillet 1998), la loi du 15 décembre reprend en grande partie le contenu des dispositions de la loi du 2 janvier 1991 (art. 23 à 25bis).

La loi confirme ainsi l’exclusion des règles du gage dont l’article 2078 C.civ. (prohibition du pacte commissoire exprès) de même que validité de l’opération, quelles que soient les modalités de prix et de livraison convenues. La loi précise également les solutions en cas d’inexécution des parties à une opération de repo, l’exercice des droits de la partie non défaillante ne pouvant être suspendu par une procédure collective (art. 13 §§ 2 et 3).

Enfin, l’article 13 assure la validité et l’opposabilité des couvertures complémentaires (« appels de marge ») réclamées en vue de se prémunir notamment contre les variations de titres vendus, en assimilant ces marges aux modalités de prix s’attachant aux opérations de repo. La loi en fait de même pour la substitution, c’est-à-dire le remplacement des titres initialement livrés en exécution de la vente au comptant par d’autres sur lesquels portera le rachat à terme en sens inverse.


Conventions de netting

L’article 14 de la loi transpose l’article 7 de la directive et confirme ainsi en droit belge l’efficacité des conventions de netting – en ce compris leurs modalités consistant dans des clauses et conditions résolutoires ou de déchéance du terme – pour autant que les dettes et créances à compenser ou à nover existaient déjà au moment de la survenance d’une procédure collective (peu importe la date d’exigibilité, l’objet ou la monnaie dans laquelle elles sont libellées). Rappelons que cette efficacité était déjà admise en droit belge avant la loi du 15 décembre 2004 (voy. l’article 157 § 1er de la loi du 22 mars 1993 lequel a été abrogé par la loi du 15 décembre 2004).


Insolvabilité – Période suspecte

La loi s’oppose également, conformément à l’article 8 de la directive Collateral, à ce qu’une convention constitutive de sûreté réelle ou la remise d’actifs dans le cadre d’une telle convention soit invalidée par le seul fait qu’elle intervienne le jour de l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité, mais avant son prononcé (dérogation à la règle dite de « l’heure zéro » consistant à faire remonter rétroactivement les effets de la décision d’ouverture d’une procédure à la première heure du jour de son prononcé) ou pendant la période suspecte.

Il convient toutefois de noter que l’application de l’article 17, 3° de la loi sur les faillites n’est pas écartée. La loi ne couvre donc pas les sûretés données en période suspecte pour garantir des dettes contractées antérieurement. L’application de l’article 17, 3° est toutefois écartée (de même que l’article 18 de la loi sur les faillites) en ce qui concerne les appels de marge et les substitutions.

Par ailleurs, la loi étend la protection aux conventions constitutives d’une sûreté réelle et aux conventions de netting qui ont été conclues le jour du prononcé d’une ouverture d’une procédure collective, mais après le moment de ce prononcé, dans la mesure où la contrepartie peut se prévaloir au moment où la convention a été conclue de l’ignorance légitime de l’ouverture antérieure d’une telle procédure.


Droit international privé

Sous l’angle du droit international privé, si les modalités contractuelles restent régies par la lex contractus, il est prévu – à l’instar de ce qui était déjà prévu par l’Arrêté Royal n° 62 (voy. également la loi du 2 août 2002) - que les questions liées à la création du droit réel et à ses effets seront régies par la loi de l’Etat membre où est tenu le compte-titres et non pas par la loi de situation des titres sous-jacents.


Volet fiscal

Pour le surplus, la loi comporte encore une série de dispositions fiscales visant à instaurer un régime fiscal global et uniforme s’appliquant aux diverses conventions constitutives de sûreté réelle portant sur des instruments financiers, ainsi qu’aux prêts portant sur des instruments financiers (instauration d’une fiction légale de non-transfert de propriété des instruments financiers dans le chef des prêteurs et des constituants de sûretés réelles portant sur ces instruments, qualification de « revenus divers » pour les indemnités pour coupons manquants et diverses dispositions anti-abus).


Dispositions modificatives

Outre le volet fiscal, la loi modifie diverses dispositions des lois suivantes :

- Loi du 2 janvier 1991 relative au marché des titres de la dette publique et aux instruments de la politique monétaire (art. 3, 4, 7, 11 et 13) ;
- Loi du 22 mars 1993 relative au statut et au contrôle des établissements de crédit (art. 3, § 1er, art. 157, § 2 et 3) ;
- Loi du 6 avril 1995 relative au statut des entreprises d’investissement et à leur contrôle, aux intermédiaires et conseillers en placements (art. 46, 7 °) ;
- Code des sociétés (art. 468, 470 et 471) ;
- Loi du 2 août 2002 relative à la surveillance du secteur financier et aux services financiers (art. 23, 31 et 122).

Sont par ailleurs abrogés :

- l’article 4, alinéas 3 et 4 de la loi du 5 mai 1872 formant le Titre VI, Livre Ier du Code de commerce en ce que ces alinéas visent les gages sur instrument financier ou sur espèces ;
- l’article 7, § 2 de l’arrêté royal n° 62 coordonné relatif au dépôt d’instruments financiers fongibles et à la liquidation d’opérations sur ces instruments ;
- l’article 119nonies, § 2, alinéas 3 et 4 de la loi du 4 décembre 1990 relative aux opérations financières et aux marchés financiers en ce que ces alinéas visent les gages sur instrument financier ou sur espèces ;
- les articles 23 à 26 de la loi du 2 janvier 1991, relative au marché des titres de la dette publique et aux instruments de la politique monétaire ;
- l’article 157, § 1er de la loi du 22 mars 1993 relative au statut et au contrôle des établissements de crédit.

La loi est entrée en vigueur le 1er février 2005 sauf pour certaines dispositions pour lesquelles un régime particulier a été prévu du point de vue du droit transitoire (voy. les articles 73 et 74 de la loi).





Erik Van den Haute
Avocat au barreau de Bruxelles - Euris.be




Imprimer cette fiche (format A4)