La nouvelle obligation de déclaration des contrats d’assurance-vie : quelles conséquences en pratique ?Par François Collon [Hirsch & Vanhaelst]Lundi 14.01.13 |
La loi-programme du 27 décembre 2012 insère un nouvel alinéa dans l’article 307, § 1er du Code des impôts sur les revenus (ci-après « CIR 92 ») qui prévoit que :
« La déclaration annuelle à l'impôt des personnes physiques doit comporter les mentions de l'existence de contrats d'assurance-vie individuelle conclus par le contribuable ou son conjoint, ainsi que par les enfants sur la personne desquelles (sic !) il exerce l'autorité parentale, conformément à l'article 376 du Code civil, auprès d'une entreprise d'assurance établie à l'étranger et du ou des pays où ces contrats ont été conclus ».
Ce nouvel alinéa est applicable à partir de l’exercice d’imposition 2013.
Portée de la nouvelle mesure
A l’instar de l’obligation qui existe déjà de déclarer les comptes bancaires dont on dispose à l’étranger, il conviendra donc désormais de mentionner dans sa déclaration fiscale annuelle l’existence de contrats d’assurance qui auraient été conclus auprès d’une entreprise d’assurance établie à l’étranger.
L’obligation est en réalité double. Il convient de mentionner :
1. d’une part, l’existence de contrats d’assurance-vie individuelle conclus le contribuable, son conjoint ou ses enfants auprès d’une compagnie d’assurance établie à l’étranger. En principe, il conviendra vraisemblablement de cocher une case de la déclaration fiscale comme il convient de le faire si l’on dispose de comptes bancaires à l’étranger.
On peut relever à ce stade une première incohérence du texte légal. Il faut en effet que le contrat ait été « conclu » par le contribuable, son conjoint ou ses enfants. Littéralement, un contrat qui aurait été transmis au contribuable par un tiers n’aurait donc pas à être déclaré. De la même manière, un contribuable qui aurait cédé les droits d’un contrat qu’il aurait conclu devrait néanmoins continuer à le mentionner annuellement dans sa déclaration fiscale jusqu’à ce qu’il décède ou que le contrat prenne fin. Ces conséquences absurdes n’ont pu être souhaitées par le législateur qui devra donc adapter le texte voté afin de le rendre plus cohérent.
Le rapport fait au nom de la Commission des finances et du budget précise que les contrats visés sont toutes les assurances relevant des branches 21, 22 et 23, en ce compris dès lors assurances de natalité et de nuptialité ainsi que les assurances soldes restant dû.
2. d’autre part, le ou les pays où ces contrats ont été conclus.
C’est la seconde incohérence du texte légal. Il ne s’agit pas de mentionner le ou les pays où sont établies les compagnies d’assurance auprès desquelles les contrats ont été conclus mais bien les pays où ces contrats ont été conclus. Par conséquent, si le contrat a été conclu en Belgique, c’est bien « Belgique » qu’il convient de renseigner dans la déclaration fiscale. Il s’agit assurément d’un nouvel effet non désiré du texte. En effet, la plupart des contrats d’assurance-vie étrangers, que le législateur entend combattre par cette nouvelle mesure, sont conclus en Belgique.
L’objectif du législateur est de lutter contre le recours par les contribuables aux assurances-vie étrangères, principalement luxembourgeoises ou suisses, afin de régulariser leur situation fiscale.
Le cas est très classique et peut être illustré par l’exemple suivant.
Une personne qui dispose d’avoirs non déclarés à l’étranger peut souhaiter les régulariser par l’effet de la prescription. Cette dernière est en principe acquise, en cas de fraude fiscale, au terme d’une période de sept années. Il s’agit donc pour le contribuable de ne plus percevoir de revenus sur le capital qu’il détiendrait à l’étranger pendant une période de sept ans tout en conservant bien évidemment un rendement sur ce capital. Pour ce faire, il peut notamment souscrire un contrat d’assurance-vie individuelle. Ce dernier ne produit en effet pas de revenus (sous certaines réserves toutefois concernant les contrats dits de la branche 21) de sorte qu’au terme d’une période de sept années plus aucun grief ne peut en principe plus être émis par l’administration fiscale, toute fraude étant en principe prescrite.
Conséquences pour le contribuable en cas de déclaration
Les conséquences pour le contribuable de la déclaration de l’existence d’un contrat d’assurance conclu auprès d’une compagnie d’assurance étrangère sont évidentes.
Le contrôleur qui disposera de cette information pourra demander au contribuable de lui en fournir d’autres telles qu’une copie du contrat d’assurance ainsi que le montant des primes payées.
Dans ce cadre, le contrôleur devra toutefois s’en tenir aux délais d’investigation prévus par le CIR 92. Il ne pourra donc en principe obtenir aucune information relative notamment aux primes qui auraient été payées avant le 1er janvier de la troisième année qui précède celle durant laquelle les investigations ont lieu. S’il dispose d’indices de fraude fiscale, il pourra toutefois interroger le contribuable sur le montant des primes payées après le 1er janvier de la septième année qui précède celle durant laquelle les investigations ont lieu.
Si les investigations ont lieu en 2013, le contrôleur ne pourra donc obtenir aucun renseignement antérieur au 1er janvier 2010. En cas de fraude toutefois, il pourra obtenir toute information postérieure au 1er janvier 2006.
S’il apparaît que les primes ont été payées au moyen de fonds non déclarés à l’impôt sur les revenus ou aux droits de succession, un redressement aura nécessairement lieu.
Conséquences pour le contribuable en cas d’absence de déclaration
Les conséquences d’une déclaration sont telles que de nombreux de contribuables seront sans doute enclins à ne pas mentionner l’existence de contrats d’assurance-vie individuelle conclus auprès d’une compagnie d’assurance établie à l’étranger.
Quelles sanctions encourent-ils dans ce cadre ?
1. Prolongation du délai d’imposition
L’article 354, § 1er du CIR 92 prévoit qu’ « en cas d'absence de déclaration, de remise tardive de celle-ci, ou lorsque l'impôt dû est supérieur à celui qui se rapporte aux revenus imposables et aux autres éléments mentionnés sous les rubriques à ce destinées d'une formule de déclaration répondant aux conditions de forme et de délais prévues aux articles 307 à 311, l'impôt ou le supplément d'impôt peut, par dérogation à l'article 359 être établi pendant trois ans à partir du 1er janvier de l'année qui désigne l'exercice d'imposition pour lequel l'impôt est dû ».
Sur la base de la jurisprudence existante relative à l’absence de déclaration de comptes bancaires étrangers, il paraît peu vraisemblable que l’administration fiscale puisse assimiler l’absence de mention d’un contrat d’assurance étranger à une « absence de déclaration » et obtenir de ce fait la prolongation du délai d’imposition.
2. Accroissement d’impôt
L’article 444 du CIR 92 prévoit qu’ « en cas d'absence de déclaration ou en cas de déclaration incomplète ou inexacte, les impôts dus sur la portion des revenus non déclarés sont majorés d'un accroissement d'impôt fixé d'après la nature et la gravité de l'infraction, selon une échelle dont les graduations sont déterminées par le Roi et allant de 10 % à 200 % des impôts dus sur la portion des revenus non déclarés ».
Un contrat d’assurance-vie ne produisant aucun revenu, aucun accroissement d’impôt ne sera appliqué. Un accroissement ne se conçoit en effet qu’en présence et un impôt et donc d’un revenu.
Comprenons-nous bien, aucun accroissement d’impôt ne pourra être appliqué sur les « revenus » du contrat d’assurance, à défaut de l’existence de tels revenus.
Si toutefois, une enquête venait à démontrer que d’autres revenus ont échappé à l’impôt, il va de soi que ceux-ci pourront bien évidemment devoir subir l’application d’accroissements.
3. Amendes administratives et pénales
L’article 445 du CIR 92 prévoit que le fonctionnaire délégué par le directeur régional peut appliquer, pour toute infraction aux dispositions du CIR 92, une sanction dite « administrative » consistant en une amende de 50 EUR à 1.250 EUR.
Quant à l’article 449 du CIR 92, il punit d'un emprisonnement de huit jours à deux ans et d'une amende de 250 EUR à 125.000 EUR ou de l'une de ces peines seulement, celui qui, dans une intention frauduleuse ou à dessein de nuire, a contrevenu aux dispositions du CIR 92.
Dès lors que la mention des contrats d’assurance étrangers est une obligation prévue par le CIR 92, l’absence de mention constitue en principe une infraction aux dispositions du CIR 92 en raison de laquelle ces sanctions administratives et pénales pourraient être infligées.
Est-il raisonnable de les craindre ?
Ce n’est pas certain.
D’abord, parce qu’en principe, en l’absence de revenus à déclarer, on n’aperçoit pas en quoi l’absence de mention de l’existence d’un contrat d’assurance-vie étranger serait commise dans une intention frauduleuse ou à dessein de nuire. Les sanctions pénales prévues à l’article 449 du CIR 92 ne devraient donc pas pouvoir être appliquées sauf à ce que l’absence de mention soit destinée à couvrir une fraude antérieure, ce qui est évidemment souvent le cas.
Ensuite, parce que l’article 6.1 de la convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 qui garantit le droit au procès équitable a comme corollaire le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination.
En application de cet article, la cour d’appel de Liège a ainsi décidé dans un arrêt du 31 mars 2012 que le contribuable avait « droit au silence à partir du moment où une procédure aboutit ou peut aboutir à une sanction procédant d’une accusation en matière pénale au sens de cette disposition ».
A cet égard, on rappellera que la Cour de cassation a jugé dans un arrêt du 25 mai 1999 que certaines sanctions « administratives » en matière fiscale peuvent constituer des sanctions pénales au sens de l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 dès lors qu’elles répondent aux mêmes caractéristiques.
Puisque la mention de l’existence de contrats d’assurance étranger peut aboutir dans certains cas à l’application de sanctions administratives ou pénales, on ne pourrait donc en principe faire grief à un contribuable, passible de ces sanctions, de s’abstenir de respecter cette obligation afin de ne pas contribuer à sa propre incrimination.
Conclusions
Si l’objectif de la mesure nouvelle votée par le législateur est clair, il n’en va pas de même du texte qui l’incarne en raison des incohérences qu’il contient.
On reste également sceptique sur sa portée réelle dès lors que l’absence de mention ne semble de prime abord pas devoir donner lieu à conséquence pour le contribuable.
Où réside donc réellement l’effet de cette mesure ?
On trouvera peut-être un début de réponse dans les propos du Ministre des Finances qui figure dans le rapport fait au nom de la Commission des Finances et du Budget : « l’important est de créer l’obligation de déclaration au niveau de la déclaration fiscale, qui met le contribuable en situation de devoir répondre. Psychologiquement, l’impact est important : il s’agit de répondre, par oui ou par non, à la question précise concernant les assurances-vie. C’est déjà en soi un instrument qui améliore la position de l’administration vis-à-vis du contribuable et l’administration pourra utiliser pour contrôler l’exactitude de la déclaration tous les moyens dont elle dispose ».
L’impact serait donc purement psychologique. On croit rêver !
On verra, à l’expérience, si cette mesure, qui fait figure de lion édenté, freinera le recours de la souscription de contrats d’assurance-vie étrangers.
Quant à l’obligation de déclaration, on se rappellera que « le premier des bons ménages est celui qu’on fait avec sa conscience ».
François Collon
f.collon@vanhaelst-avocats.eu
Avocat
Hirsch & Vanhaelst (http://www.hirsch-vanhaelst.be)