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Le moratoire hivernal sur les expulsions validé par la Cour constitutionnelle à Bruxelles

Par J.-R. Dirix & S. Coryn

Vendredi 17.10.25

La Cour constitutionnelle a récemment validé, dans son arrêt n°131/2025 du 9 octobre 2025, le moratoire hivernal sur les expulsions instauré par la Région de Bruxelles-Capitale.

1. Qu’est-ce que le moratoire hivernal ?

Le moratoire hivernal est une mesure de protection temporaire qui interdit l’exécution forcée des expulsions de logements donnés en location entre le 1er novembre et le 15 mars de l’année suivante. Cette période correspond aux mois les plus froids, durant lesquels une expulsion pourrait avoir des conséquences humaines graves, notamment pour les ménages précarisés.

Il est important de noter que seule l’exécution matérielle de l’expulsion est suspendue.

Autrement dit :


• Les procédures judiciaires peuvent continuer pendant la trêve (un jugement peut être rendu) ;

• L’huissier peut signifier le jugement ;

• En revanche, il ne peut pas procéder à l’expulsion effective avant la fin de la période du moratoire.


2. Le cadre juridique à Bruxelles

Le 22 juin 2023, la Région de Bruxelles-Capitale a adopté une ordonnance qui intègre le moratoire hivernal de manière permanente dans le Code bruxellois du logement, via l’article 233 duodecies. Ce dispositif structurel remplace le système ponctuel antérieur et s’applique à tous les logements situés dans les 19 communes de la Région, dès lors qu’ils sont soumis à un bail d’habitation ou à usage mixte avec une composante résidentielle.

Pendant la période de moratoire :

Le locataire ne peut pas être expulsé, même si un jugement a été rendu ;

Le bailleur conserve le droit à une indemnité d’occupation, équivalente au loyer ;

En cas de non-paiement, le bailleur peut, sous conditions strictes, introduire une demande d’indemnisation auprès du Fonds budgétaire régional de solidarité après le départ effectif du locataire ou à la fin du moratoire (le 15 mars).

Cette indemnisation couvre la période pendant laquelle l’expulsion aurait dû être exécutée sans le moratoire et est encadrée par des délais précis : la demande doit être introduite au plus tard le 15 septembre de l’année suivant la fin du moratoire. Le Fonds est financé par des recettes diverses, notamment les amendes pour insalubrité ou discrimination, et dispose d’une dotation régionale dédiée.

Par ailleurs, l’ordonnance a introduit plusieurs innovations dans la procédure d’expulsion afin de garantir un équilibre entre protection des locataires et droits des bailleurs :

Mise en demeure préalable obligatoire avant toute action judiciaire ;

Communication obligatoire au CPAS pour permettre l’accompagnement social ;

Délai de comparution de 40 jours pour que le CPAS puisse effectuer un diagnostic complet et proposer un soutien adapté ;

Prolongation possible des délais d’expulsion en fonction de situations particulières ou de preuve d’une solution de relogement ;

Suspension de l’exécution si le locataire démontre qu’un relogement effectif est disponible.

Ces mesures permettent d’assurer une protection sociale effective des locataires en situation de précarité, tout en maintenant les droits financiers et procéduraux des bailleurs.


3. Des exceptions prévues par la loi

Le moratoire n’est pas absolu. Le juge peut autoriser une expulsion, conformément à l’article 233 duodecies, §1, alinéa 2 du Code bruxellois du logement, pendant la trêve hivernale dans certaines situations exceptionnelles, par exemple :

• Si le locataire a déjà quitté le logement ou qu’une solution de relogement existe ;

• Si le bien présente un danger pour la santé ou la sécurité ;

• Si le comportement du locataire met en péril les personnes ou les biens ;

• Si le bailleur doit reprendre possession du logement pour une situation de force majeure (par exemple, l’absence d’autre logement disponible).

Dans tous les cas, le bailleur doit demander l’exception et le juge doit motiver spécialement sa décision pour déroger à la trêve.


4. Le recours des bailleurs et la décision de la Cour constitutionnelle

Le Syndicat national des propriétaires et copropriétaires avait introduit un recours contre l’ordonnance bruxelloise, en invoquant une atteinte excessive au droit de propriété et au droit d’accès au juge. Certaines juridictions de paix avaient d’ailleurs soulevé des questions préjudicielles à la Cour constitutionnelle, estimant que la mesure violait l’article 16 de la Constitution et l’article 1 du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’Homme.

Dans son arrêt, la Cour constitutionnelle a rejeté ces arguments. Elle a considéré que :

• La Région de Bruxelles-Capitale est compétente pour légiférer en matière de logement ;

• Le moratoire poursuit un objectif d’intérêt général légitime, à savoir la protection des ménages vulnérables durant l’hiver ;

• Les restrictions au droit de propriété sont proportionnées au regard de cet objectif, notamment grâce aux exceptions prévues et au mécanisme d’indemnisation pour les bailleurs.

La Cour a donc confirmé la validité juridique du moratoire hivernal, mettant fin aux incertitudes qui planaient depuis son adoption.


5. Implications pratiques

Pour les locataires, cette décision garantit une protection importante : aucune expulsion ne peut avoir lieu entre début novembre et le 15 mars (sauf exceptions judiciaires). Cela leur laisse le temps de chercher une solution de relogement et de bénéficier d’un accompagnement social.

Pour les bailleurs, leurs droits ne sont pas supprimés. Ils conservent la possibilité d’obtenir une indemnisation via le Fonds de solidarité. Toutefois, cette procédure est encadrée et doit être rigoureusement respectée pour éviter une perte de droits.


6. Qu’en est-il en Wallonie et en Flandre ?

En Wallonie, le moratoire hivernal s’applique uniquement aux locataires de logements sociaux, offrant ainsi une protection ciblée aux ménages les plus vulnérables durant la période hivernale.

En Flandre, en revanche, aucun dispositif de moratoire hivernal n’est prévu, et les expulsions peuvent donc être exécutées tout au long de l’année.





Jean-Rodolphe Dirix et Sasha Coryn
Avocats au barreau de Bruxelles - Xirius






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