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Rétrospective sur une réinterprétation du régime du secret des communications électroniques par la Cour de cassation

Karen Rosier

Lundi 28.04.25


Dans un arrêt du 12 décembre 2023, la Cour de cassation se prononce dans un litige pénal sur la portée de l’article 124 de la loi du 13 juin 2005 sur les communications électroniques (« LCE ») (cf. Note 1) .

L’arrêt tranche la question de savoir si la prise de connaissance et de l’utilisation du contenu de la correspondance par courriel par une tierce personne sans l’autorisation de toutes les personnes concernées, en particulier l’expéditeur d’un courriel, tombe dans le champ d’application de l’article 124, 1° et 4°, LCE.

À l’origine du litige, il est question de la prise de connaissance de courriels dans la boîte e-mail professionnelle du destinataire par une tierce personne, défenderesse en cassation, qui avait toutefois été autorisée par le destinataire à consulter cette boîte e-mail ainsi que les courriers électroniques reçus. Les courriels avaient été produits par cette tierce personne dans une procédure civile sur fond de conflit familial impliquant l’expéditeur, demandeur en cassation (cf. Note 2) . Ce dernier avait invoqué que la prise de connaissance des courriels et leur utilisation constituaient des infractions à l’article 124 de la LCE commises par la défenderesse à défaut d’avoir disposé de l’autorisation de l’expéditeur pour ce faire (cf. Note 3) .

La Cour de cassation va déclarer le moyen non fondé au motif que les actes reprochés à la défenderesse ne rentrent pas dans le champ d’application dudit article 124. Elle considère que « [l]’article 124 de la loi relative aux communications électroniques ne sanctionne que la prise de connaissance de l’existence d’une communication électronique ou la prise de connaissance d’autres données relatives à une communication électronique, comme l’identité des personnes entre lesquelles cette communication a eu lieu ou le moment où elle a eu lieu, mais cet article ne sanctionne pas la prise de connaissance du contenu d’une communication électronique ; lorsqu’une prévention consiste à prendre connaissance du contenu d’une communication électronique, la pénalisation doit être appréciée selon le cas à la lumière de l’article 259bis du Code pénal, de l’article 314bis du Code pénal ou de l’article 550bis du Code pénal et non à la lumière de l’article 124 de la loi relative aux communications électroniques ».

Cette interprétation constitue un revirement par rapport à un arrêt rendu par cette même Cour en matière sociale le 1er octobre 2009, qui avait considéré que « [l]a prise de connaissance et l’usage du contenu d’un courriel sont liés à la prise de connaissance et à l’usage de l’existence de ce courriel » et que « quiconque prend connaissance du contenu d’un courriel, ne peut le faire sans prendre connaissance simultanément de son existence » (cf. Note 4).

L’arrêt du 12 décembre 2023 suit l’interprétation de l’avocat général, dont les conclusions sont particulièrement instructives. Elles plaident pour cette interprétation sur la base de deux arguments. Le premier repose sur la nécessité d’un certain pragmatisme : compte tenu des pratiques courantes de gestion de boîtes de messagerie partagées ou gérées par un secrétariat, conditionner la prise de connaissance d’un courrier à l’autorisation des expéditeurs serait impraticable et source d’insécurité juridique. Le second est historique. L’avocat général retrace l’origine de deux régimes juridiques qui débouchent sur deux jeux de dispositions différents : la protection des métadonnées de la communication (ancien article 109terD de la loi du 21 mars 1991 ou « Loi Belgacom ») et l’interception du contenu de la communication sanctionnée par les articles 314bis et 259bis du Code pénal, dont le législateur n’entendait pas prévoir une application cumulative à un même acte. Pour distinguer les champs d’application, l’avocat général préconise que la prise de connaissance du contenu d’un courrier électronique relève exclusivement des articles 314bis et 259bis s’il s’agit d’une interception de la communication courriel ou de l’article 550bis du Code pénal s’il y a prise de connaissance via un accès non autorisé à une boîte e-mail.

Cette décision peut donc avoir une portée considérable en pratique, y compris dans des litiges civils, dès lors que la jurisprudence se réfère régulièrement à l’article 124 de la LCE pour considérer comme illégales la prise de connaissance et l’utilisation d’un courrier électronique sans le consentement d’un travailleur, par exemple. Si l’on suit la jurisprudence de la Cour, les actes reprochés devraient être analysés à l’aune d’autres dispositions qui ne reposent pas sur les mêmes éléments matériels et moraux que l’article 124 de la LCE.



Karen Rosier
Avocate au barreau du Brabant wallon
Maître de conférences à l’UNamur



Notes:

(1) Cass. (2e ch.), 12 décembre 2023, R.G. n P.23.0554.N, concl. D. SCHOETERS, www.juportal.be (consulté le 15 décembre 2023).

(2) Voy. à cet égard : concl. Av. gén. D. SCHOETERS, www.juportal.be (consulté le 15 décembre 2023).

(3) L’art. 124 sanctionne une série d’actes accomplis sans avoir obtenu « l’autorisation de toutes les autres personnes directement ou indirectement concernées. Le non-respect de cet article 124 est sanctionné pénalement par l’article 145, § 1er, de la LCE ».

(4) Cass. (1re ch.), 1er octobre 2009, R.G. n° C.08.0064.N ; K. ROSIER, « Le secret des communications électroniques examiné par la Cour de cassation », B.J.S., 2010, n° 430, p. 4.




Cet article a été précédemment publié par le même auteur dans le Bulletin Social et Juridique.(www.lebulletin.be)


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