Le fisc et la police judiciaire fédérale pourraient collaborer pour mener l’enquête au sein des « MOTEMs » !Par Sophie Vanhaelst & Caroline JéhuLundi 04.04.22 |
Fruit des grandes ambitions annoncées en 2020 par le Ministre des Finances, Vincent van Peteghem, le nouveau projet de loi du 3 février 2022 présenté au Parlement, prévoit une collaboration renforcée entre les agents du fisc et les officiers de police judiciaire au sein des «MOTEMS», des équipes mixtes d’enquête multidisciplinaire. De quoi s’agit-il ?
Des équipes mixtes d’enquête spécialisée pour lutter contre la fraude fiscale
Si la possibilité de créer des équipes mixtes rassemblant police, justice et fonctionnaires spécialisés n’est pas neuve, aucun partenariat de grande envergure ne s’est concrétisé jusqu’à présent avec les agents du fisc. Fort du succès des MOTEMs dans la lutte contre la fraude sociale, ceux-ci devraient pouvoir intervenir également en matière fiscale.
Le projet de loi offre la possibilité à un minimum de 25 fonctionnaires de l’Inspection spéciale des Impôts de former avec les enquêteurs des équipes mixtes d’enquête spécialisée. Plus précisément, il s’agit de mettre temporairement à disposition le fonctionnaire le plus compétent en fonction de l’enquête (par exemple, envoyer un fonctionnaire spécialisé en TVA dans une enquête pénale sur un carrousel TVA). Ces fonctionnaires du fisc se verront attribuer la qualité d’officier de police judiciaire et pourront ainsi participer à l’enquête pénale.
Si tous types de fraude fiscale ou d’infraction de blanchiment de capitaux peuvent en principe faire l’objet de ces enquêtes diligentées par des équipes multidisciplinaires, la priorité serait toutefois donnée à la lutte contre la fraude fiscale grave, organisée ou non et la lutte contre la criminalité organisée.
Les MOTEMS : une exception à l’interdiction de collaboration du Fisc dans les enquêtes pénales ?
La coopération entre le ministère public et le fisc a fréquemment donné lieu, dans le passé, à des abus.
Pour y mettre un terme, le législateur a adopté, le 4 août 1986, la «Charte du contribuable» qui prévoit que, sous peine de nullité de l’acte, les agents du fisc ne peuvent participer à une enquête pénale, sauf comme témoins. Ils ne peuvent donc en principe pas agir comme experts, participer à des perquisitions ou à des interrogatoires dans le cadre de poursuites pour fraude fiscale. Cette interdiction est inscrite aux articles 463 du CIR92 et 74bis du Code de la TVA.
Ce principe connaît toutefois certaines exceptions, notamment lorsque des fonctionnaires de l'administration fiscale se concertent avec les services d’enquête judiciaire afin de déterminer le plus tôt possible si la fraude fiscale grave, organisée ou non sera mieux traitée par la voie administrative ou pénale («una via»).
Dans son projet de loi du 3 février 2022, le Ministre des Finances prévoit donc d’ajouter une nouvelle exception à ce principe.
Nouveau coup dur pour la Charte du contribuable : la séparation des pouvoirs mise à mal ?
Si cette nouvelle exception peut effectivement être de nature à renforcer l’efficacité de la lutte contre la fraude fiscale, il est permis de s’interroger sur son adéquation avec la Charte du contribuable et, plus largement, le principe de séparation des pouvoirs.
Si certains craignent le retour des abus qui avaient donné lieu à l’adoption de ladite Charte, d’autres s’interrogent quant au contrôle de la légalité des preuves et l’objectivité avec laquelle celles-ci seront recueillies.
En outre, alors que l’on constate que l’administration fiscale se constitue de plus en plus partie civile en vue de réclamer l’indemnisation de son préjudice en cas de fraude fiscale, l’on peut s’étonner de la voir aussi collaborer à l’enquête. Elle serait alors à la fois partie au procès pénal et impliquée activement dans l’enquête relative à sa propre plainte…
Cette situation ambigüe heurte également de plein fouet le principe de la séparation des pouvoirs puisque le pouvoir judiciaire ferait appel à des agents du fisc qui travaillent pour le Ministre des Finances, membre du pouvoir exécutif.
Sophie Vanhaelst
Caroline Jéhu
Avocats au barreau de Bruxelles - cabinet Hirsch & Vanhaelst