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Publicité par courrier électronique : de nouvelles règles du jeu


Jeudi 12.06.03


10 Milliards d’euros. Tel est le coût –exorbitant – que supportent les utilisateurs d’internet pour les messages électroniques non sollicités qui arrivent dans leur boîte aux lettres virtuelles.

Les millions de messages commerciaux de ce type réquisitionnent de l’espace de stockage, du temps de connexion, de la bande passante et donc de l’argent.

Comment réagir à ce phénomène mondial de spamming (ou « pollupostage ») ? Il existe essentiellement deux approches : l’opt-in et l’opt-out.

Opt-in ou opt-out ? La situation en Belgique

L’opt-out suppose qu’une personne qui ne souhaite pas recevoir de courriels (emails) non sollicités puisse faire part de son souhait : on peut envoyer sauf si la personne a marqué son opposition.

Selon le système de l’opt-in, au contraire, les messages commerciaux ne peuvent être adressés qu’aux personnes qui ont préalablement consenti à recevoir de tels messages : on ne peut pas envoyer sauf si la personne a marqué son accord.

En Belgique, l’article 14 de la loi du 11 mars 2003 sur le commerce électronique interdit explicitement à quiconque d’envoyer un « courrier électronique » sans autorisation préalable de son destinataire : « L'utilisation du courrier électronique à des fins de publicité est interdite, sans le consentement préalable, libre, spécifique et informé du destinataire des messages. ».

Il faut donc, avant de solliciter un destinataire belge, s’assurer qu’il soit d’accord de recevoir un message de cette nature. La charge de la preuve de ce consentement repose sur les épaules de l’expéditeur.

Le SMS est un courrier électronique

Dans la droite ligne de la législation européenne, la loi belge définit très largement la notion de « courrier électronique ». Il s’agit de « tout message sous forme de texte, de voix, de son ou d'image envoyé par un réseau public de communications qui peut être stocké dans le réseau ou dans l'équipement terminal du destinataire jusqu'à ce que ce dernier le récupère ».

Ainsi, sont des courriers électroniques les courriels, les SMS, les MMS,… Plus étonnant, selon l’exposé des motifs de la loi, par courrier électronique il faudrait aussi entendre les messages laissés sur les boîtes vocales de GSM ou sur les répondeurs de téléphones fixes…

La notion de publicité

La notion de publicité vise, elle aussi, une grande variété de situation : « toute forme de communication destinée à promouvoir, directement ou indirectement, des biens, des services ou l'image d'une entreprise, d'une organisation ou d'une personne ayant une activité commerciale, industrielle ou artisanale ou exerçant une activité réglementée ».

En conséquence, il n’est pas nécessaire pour une entreprise de faire de la publicité directe pour ses produits ou services. Il suffit que la communication ait notamment pour objet de promouvoir son image pour tomber sous le coup de la loi.

On peut penser, entre autres, aux jeux par SMS parrainés par une société sans que celle-ci fasse, pour autant, de la publicité par ce biais.

L’exception des clients existants

La loi prévoit qu’un arrêté royal (AR) pourra porter exception au principe de l’opt-in et autoriser l’opt-out dans certains cas : « Sur proposition conjointe du Ministre qui a la Justice dans ses attributions et du Ministre qui a les Affaires économiques dans ses attributions, le Roi peut prévoir des exceptions à l'interdiction prévue à l'alinéa premier. ».

Le Roi a fait usage de cette prérogative et un arrêté du 4 avril a été publié le 28 mai 2003.

Au terme de cet AR, il existe deux types d’exception : l’une à l’égard des clients existants, l’autre à l’égard des personnes morales.

Premièrement, les clients peuvent être démarchés moyennant le respect de trois conditions cumulatives :
- l’expéditeur a obtenu directement leurs coordonnées électroniques dans le cadre de la vente d’un produit ou d’un service, et ce dans le respect des exigences légales et réglementaires relatives à la protection de la vie privée;
- il exploite lesdites coordonnées électroniques à des fins de publicité exclusivement pour des produits ou services analogues que lui-même fournit;
- il fournit à ses clients, au moment où leurs coordonnées électroniques sont recueillies, la faculté de s’opposer, sans frais et de manière simple, à une telle exploitation.

La question la plus délicate est assurément celle de savoir comment départager ce qui est analogue de ce qui ne l’est pas.

Il faudra probablement attendre une jurisprudence à cet égard, en particulier de la Cour de Justice des Communautés Européennes.

Les travaux préparatoires nous livrent cependant quelques exemples : « Sont considérés comme produits ou services analogues ceux qui appartiennent à une même catégorie de produits ou de services.

Par exemple – et, pour l’heure, à titre conjectural –, on pourrait considérer comme produits analogues les CDs, les DVDs, les cassettes vidéo et, éventuellement, les livres. De même, les assurances incendie et les assurances vie peuvent être considérées comme des produits analogues, appartenant à la catégorie des assurances.

Toutefois, il ne sera pas toujours facile pour le prestataire de déterminer si deux produits ou services appartiennent à la même catégorie (ex. : une entreprise de banque assurance autorisée à envoyer des publicités par courrier électronique pour des produits d’assurance peut-elle également adresser de semblables publicités pour des produits bancaires ?) ».

Il faut également souligner que l’exigence que l’expéditeur lui-même fournisse les produits ou services vantés s’oppose à ce qu’il fasse la promotion de produits vendus par un tiers, en ce compris un filiale, une société-mère, une société-sœur,…puisqu’il s’agit de personnes –morales- différentes.

L’exception des personnes morales

Les personnes morales peuvent être la cible de courriers électroniques non sollicités.

Comme l’indique le rapport au Roi précédant le futur arrêté royal, « Il n’est pas nécessaire d’obtenir auprès des personnes morales leur consentement préalable à recevoir des publicités par courrier électronique.

En pratique, les personnes morales peuvent être titulaires d’une ou de plusieurs adresses de courrier électronique, afin de permettre d’entrer en contact avec elles, ou avec certains de leurs services ou branches d’activité (info@…, contact@…, privacy@…, sales@…, commandes@…, service-clientele@…, etc.).

Des publicités non sollicitées par courrier électronique peuvent être envoyées à ces adresses, dans la mesure où, en raison des circonstances, il est manifeste que ces adresses concernent des personnes morales ».

Cependant, « un annonceur ne saurait se prévaloir de l’exception pour envoyer à des adresses de personnes morales des publicités visant en réalité des personnes physiques, contournant ainsi l’obligation de solliciter le consentement préalable de ces dernières ».

Transparence

Dans la loi sur le commerce électronique, plusieurs articles visent à augmenter la transparence des communications électroniques.

Ainsi, toute communication commerciale doit clairement indiquer qu’il s’agit d’une publicité, de manière lisible et non ambiguë.

En outre, il est formellement interdit à l’expéditeur « d'utiliser l'adresse électronique ou l'identité d'un tiers » ou « de falsifier ou de masquer toute information permettant d'identifier l'origine du message de courrier électronique ou son chemin de transmission ».

L’envoi de courriers électroniques commerciaux doit donc s’opérer en toute transparence.

Que faire en cas d’opposition ?

Il se peut que, suite à l’envoi régulier d’une communication commerciale, un expéditeur reçoive une demande du destinataire lui enjoignant de ne plus lui envoyer de tels messages à l’avenir.

Comment le prestataire concerné doit-il réagir ?

Le futur AR impose en ce cas une triple obligation au prestataire.
Il doit :

- délivrer, dans un délai raisonnable, un accusé de réception par courrier électronique confirmant à cette personne l’enregistrement de sa demande;
- prendre, dans un délai raisonnable, les mesures nécessaires pour respecter la volonté de cette personne ;
- tenir à jour des listes reprenant les personnes ayant notifié leur volonté de ne plus recevoir, de sa part, des publicités par courrier électronique.

En pratique, il devra adresser un courrier électronique (courriel, SMS,…) de confirmation et procéder aux modifications techniques nécessaire pour que l’usager ciblé ne soit plus importuné.

Le prestataire devra également tenir un registre –un de plus diront certains- contenant la liste des destinataires ayant notifié leur opposition à tout nouveau courrier électronique.

Problème : comment obtenir le consentement ?

Si le principe de l’opt-in est souhaitable, il est en revanche permis de se demander comment un prestataire pourrait obtenir le consentement d’un destinataire si ce dernier n’a pas encore manifesté son accord.

Se pose en effet le problème du « premier courrier électronique ».

A défaut de pouvoir invoquer les exceptions, comment, sans violer la loi, solliciter, une première fois, le consentement d’un récipiendaire ?

De fait, nous l’avons vu, la notion de courrier électronique recouvre une telle diversité de techniques de télécommunication que les alternatives pour le monde du marketing se comptent sur les doigts d’une main :
- Soit ouvrir un site web ou un lieu d’enregistrement volontaire auprès duquel les personnes désireuses de recevoir des publicités par courrier électronique s’enregistreraient volontairement ;
- Soit téléphoner à la personne visée pour demander, par oral et de vivo (à défaut nous retomberions dans le cadre de la définition de courrier électronique) ;
- Soit se situer dans le cadre des exceptions prévues par l’arrêté royal susmentionné.

Certaines voix s’élèvent déjà pour plaider en faveur d’une conception « pragmatique » de l’opt-in, en ce sens qu’il devrait être interprété comme autorisant un premier courrier électronique non sollicité qui aurait pour seul objet de proposer au destinataire de s’enregistrer dans un registre opt-in en ligne.

Une effectivité renforcée

Le gouvernement a préféré battre le fer tant qu’il était chaud.

C’est ainsi qu’il a adopté, le 4 avril 2003, un arrêté ministériel désignant les agents chargés de veiller, sur le terrain, au respect de la loi.

Ceux-ci ont compétence pour appliquer des amendes dont ils détermineront le montant.

En outre, la loi prévoit une série de sanctions pénales que le juge peut appliquer en cas d’infraction à la loi.
Si une personne refuse de se plier à un jugement rendu en matière de services de la société de l’information, il pourrait être condamné à payer entre 1.000 et 20.000€.

D’autres sanctions pénales visent spécifiquement le non-respect des règles applicables à la publicité en général et à la publicité par courrier électronique.

Dans le premier cas, l’amende infligée pourra osciller entre 250 et 10.000€ ; dans le second, les sommes s’élèvent de 250 à 25.000€. En cas de mauvaise foi, les montants sont tout simplement … doublés.

Avis aux candidats spammeurs...


Thibault Verbiest
Avocat aux barreaux de Bruxelles et Paris (Cabinet ULYS) - Chargé de cours à l'Université

















Source : Par Thibault Verbiest


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