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Vente avec rentes viagères et aléa

Par Laurent Collon (Xirius)

Mardi 13.03.18

Un arrêt rendu récemment par la Cour de cassation nous permet de mettre le doigt sur une condition fondamentale de validité d’un contrat de vente immobilière moyennant le paiement de rentes viagères : l’existence d’un aléa.

En l’occurrence, la Cour de cassation a été saisie d’un pourvoi dirigé contre un arrêt rendu par la cour d’appel de Mons du 16 octobre 2013.

L’action judiciaire avait été entreprise par les héritiers d’une personne qui avait vendu son bien immobilier sous le régime de la rente viagère, en s’en conservant l’usufruit (jusqu’à son décès) et qui était décédée quelques mois seulement après la conclusion du contrat de vente.

Les héritiers invoquaient deux arguments pour tenter d’obtenir l’annulation du contrat de vente : la circonstance que l’état de santé de la venderesse ne pouvait qu’aboutir à son décès imminent ; ensuite, le caractère dérisoire de la rente annuelle perçue par elle, à tel point qu’il aurait fallu qu’elle survive encore plus de trente ans pour espérer se voir payer la totalité de la valeur de la nue-propriété du bien (rappelons que la venderesse s’était gardée l’usufruit de celui-ci).


RAPPEL DES PRINCIPES JURIDIQUES

Le contrat qui stipule l’aliénation d’un bien (meuble ou immeuble) et qui prévoit comme contrepartie due par l’acquéreur l’obligation de payer une rente viagère est un contrat de vente régi par les articles 1582 et 1583 du Code civil auquel est adjoint un contrat aléatoire de rentes viagères à titre onéreux tel que régi par l’article 1968 du Code judiciaire.

L’existence d’une chance de gain ou d’un risque de perte est essentielle à la validité d’un contrat aléatoire tel qu’un contrat de vente moyennant constitution de rentes viagères.

En l’absence d’aléa, un tel contrat est nul à défaut d’objet.


EN L’ESPECE

Si la plus ou moins grande différence d’âge entre le crédirentier (c’est-à-dire le vendeur) et le débirentier (l’acquéreur) n’implique pas en soi une absence d’aléa, il n’en est pas de même lorsque l’acquéreur connaissait le risque de décès imminent du crédirentier.

En l’espèce, la cour d’appel de Mons a considéré que tel n’était pas le cas dans le chef de l’acquéreur.

Rien n’indiquait, selon elle, que l’état de santé de la venderesse était à ce point précaire que l’acquéreur aurait pu prévoir qu’elle décéderait quelques mois plus tard.

Il n’y a pas non plus d’aléa si le bien vendu procure à l’acquéreur des revenus égaux ou même supérieurs au montant de la rente.

Ainsi, si les loyers de l’immeuble lui permettent de s’acquitter de l’intégralité de la rente due.

En l’espèce, la venderesse n’avait cédé que la nue-propriété du bien, se conservant l’usufruit.

Même en pareil cas, lorsque la rente est à ce point basse qu’elle est très largement inférieure au revenu annuel qu’aurait pu générer la valeur de la nue-propriété à l’époque de la vente, il peut être question de l’absence d’aléa et, par conséquent, de nullité de l’opération.

Tel est le cas en l’espèce, d’après la cour d’appel de Mons.

La rente avait été calculée à un taux annuel de 2,65% alors qu’à l’époque, le taux d’intérêts légal était de 6%.

Par conséquent, il aurait fallu à la venderesse attende plus de trente ans pour pouvoir espérer se voir payer la totalité de la valeur de la nue-propriété.

Compte tenu de son âge à l’époque de la conclusion de la vente, c’était totalement illusoire.

La cour d’appel de Mons a par conséquent annulé la vente contractée, faute d’aléa.

Si la rente viagère est fixée librement par les parties, elle doit être raisonnable afin de respecter le caractère réel et sérieux du prix.

Tel n’était pas le cas en l’espèce.

Il en découle l’absence d’une chance de gain pour la crédirentière et, corrélativement, l’absence de risque sérieux pour l’acquéreur.


CASSATION

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi introduit par l’acquéreur en considérant que l’appréciation qui avait été faite par la cour d’appel de Mons résidait en pur fait.

(Cass., 18 septembre 2017, inédit)

Or, la Cour de cassation ne peut pas revenir sur une appréciation en faits du juge du fond.


CONCLUSION

Le contrat de vente moyennant le paiement de rentes viagères a cette particularité par rapport aux autres types de ventes immobilières qu’elle doit nécessairement respecter le caractère aléatoire.

Ce caractère aléatoire implique l’existence d’un gain potentiel pour l’une des parties et le risque pour l’autre.

En l’absence de chance de gain pour l’un et de risque corrélatif pour l’autre, le contrat peut être frappé de nullité.

Vigilance donc !




Laurent Collon (lc@xirius.be)
Avocat spécialisé en droit immobilier
Xirius – Avocats



Source : DroitBelge.Net - Actualités - 13 mars 2018


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