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La décharge de l’organe de gestion

Guillaume Rue

Lundi 19.06.17

La décharge aux gérants ou aux administrateurs est systématiquement à l’ordre du jour des assemblées annuelles qui approuvent les comptes. À quoi sert cette formalité ? Quelles en sont les modalités et les limites ?


Principes

L’administrateur d’une société n’est, en principe, pas responsable personnellement des obligations de la société. Toutefois, s’il n’a pas exercé son mandat de gestion correctement, il pourrait voir sa responsabilité contractuelle engagée par la société.

L’article 554 du Code des sociétés stipule qu’« après l’approbation des comptes annuels, l’assemblée générale se prononce par un vote spécial sur la décharge des administrateurs et des commissaires. Cette décharge n’est valable que si les comptes annuels ne contiennent ni omission, ni indication fausse dissimulant la situation réelle de la société et, quant aux actes faits en dehors des statuts ou en contravention du présent code, que s’ils ont été spécialement indiqués dans la convocation. » (cf. Note 1)

Lorsque la décharge est accordée, l’administrateur est alors considéré comme ayant exercé son mandat correctement.

Pour être valable, il faut que la décharge fasse l’objet d’une délibération séparée. La seule approbation des comptes annuels n’implique donc pas automatiquement l’octroi de la décharge (cf. Note 2). Il faut en outre que l’assemblée n’ait pas été trompée quant à la situation réelle de la société (cf. Note 3). À cet égard, il importe peu que les administrateurs aient eu connaissance des erreurs ou des fausses indications (cf. Note 4). Par contre, s’il est démontré que l’assemblé avait connaissance d’omissions ou d’inexactitudes et qu’elle a donné la décharge en parfaite connaissance de cause, la décharge sera valable (cf. Note 5).

Les actes qui constituent des infractions aux statuts ou au Code des sociétés ne sont couverts que s’ils ont été spécialement indiqués dans la convocation (cf. Note 6).


Effets

La décharge a pour effet de libérer l’administrateur de sa responsabilité contractuelle à l’égard de la société en ce qui concerne le mandat de gestion qui lui a été confié durant l’exercice écoulé. La société ne pourra plus intenter d’action en responsabilité contractuelle contre un administrateur pour une faute de gestion.

Par contre, une décharge valable ne fait pas nécessairement obstacle à la mise en cause de la responsabilité d’un administrateur par la société sur la base d’une faute aquilienne (art. 1382 C. civ.) (cf. Note 7).

La décharge ne peut être utilisée pour faire obstacle à d’autres types de recours tels que la demande d’annulation d’une opération contraire au Code des sociétés (cf. Note 8).
La décharge ne fait pas non plus obstacle à la mise en cause de la responsabilité d’un administrateur par une autre personne que la société telle que :

- un actionnaire ayant voté contre la décharge (action minoritaire) ou agissant à titre individuel ;

- un curateur s’opposant à la décharge pour fraude aux droits des créanciers ;

- un curateur ou un créancier individuel mettant en cause la responsabilité de l’administrateur pour faute grave et caractérisée ayant entraîné la faillite de la société (action en comblement de passif) ;

- un tiers mettant en cause la responsabilité extracontractuelle d’un administrateur.


Quand ?

Le Code des sociétés prévoit que l’assemblée générale se prononce sur la décharge « après l’approbation des comptes annuels ». En général, la décharge couvre donc la gestion des administrateurs durant l’exercice social écoulé. Cependant, selon la doctrine majoritaire, l’assemblée générale peut être réunie en tout temps aux fins d’accorder la décharge (cf. Note 9). Il est en effet fréquent que des administrateurs démissionnent en cours d’exercice et souhaitent obtenir la décharge.

La Cour d’appel de Bruxelles a confirmé cette position en soulignant que le fait que le Code des sociétés mentionne qu’après l’adoption des comptes annuels, l’assemblée générale se prononce par un vote spécial sur la décharge des administrateurs et des commissaires, « ne constitue pas une condition limitative de la possibilité pour l’assemblée générale d’accorder cette décharge mais bien une obligation pour l’assemblée de se prononcer sur cette décharge à un stade spécifique de son déroulement » (cf. Note 10).

Une décharge en cours d’exercice ne vaudra que dans la mesure de l’information dont dispose l’assemblée amenée à se prononcer à ce moment précis. À la fin de son mandat, l’administrateur devra donc se montrer particulièrement attentif et donner un rapport complet et fidèle des actes posés durant son mandat en fournissant, par exemple, une situation active et passive récente de la société.


Individuelle ou collective ?

Le Code des sociétés ne précise pas si la décharge doit faire l’objet d’un vote collectif pour tous les administrateurs ou individuel pour chaque administrateur. Une partie de la doctrine considère toutefois que rien n’interdit de procéder à un vote global, ou à un vote individuel en vertu duquel certains administrateurs seraient, par exemple, déchargés et pas d’autres. Il appartiendrait dès lors au conseil d’administration d’inclure, dans l’ordre du jour, la proposition d’un vote individuel ou global.


Annulation

La décision de l’assemblée d’octroyer, ou non, la décharge peut être annulée par le tribunal de commerce à la demande de tout intéressé dans l’un des cas visés par l’article 64 du Code des sociétés, à savoir (1) une irrégularité de forme ayant pu influencer la décision, (2) la violation des règles de fonctionnement de l’assemblée générale et le non-respect de l’ordre du jour, (3) un excès de pouvoir ou un détournement de pouvoir (abus de majorité), (4) l’exercice de droits de vote suspendus, ou (5) pour toute autre cause prévue par le Code des sociétés.


Guillaume Rue
Avocat au Barreau de Bruxelles




Notes:


1 Nous exposons les règles applicables aux SA mais des règles comparables s’appliquent aux autres types de sociétés (art. 284 pour les SPRL ; art. 411 pour les SCRL ; art. 926 pour les SE ; art. 824 pour les sociétés agricoles) et aux ASBL (art. 4 de la loi du 27 juin 1921).

2 Y. DE CORDT (coord.), R.P.D.B., vo Société Anonyme, Bruxelles, Bruylant, 2014, p. 418, no 575.

3 Cass., 12 février 1981, Pas., 1981, I, 640.

4 Cass., 18 juin, 1925, Pas., 1925, I, p. 297.

5 J.-Fr. GOFFIN, Responsabilités des dirigeants de sociétés, 3e éd., Bruxelles, Larcier, 2012, p. 323.

6 Art. 554, al. 2, C. soc.

7 J.-Fr. GOFFIN, ibid., p. 328.

8 Bruxelles, 4 septembre 2007, J.D.S.C., 2009, p. 185.

9 X. DIEUX et Y. DE CORDT, « Examen de jurisprudence. Les sociétés commerciales (1991-2005) », R.C.J.B., 2009, p. 623 ; B. FERON et J-Fr. GOFFIN, « La responsabilité des administrateurs de sociétés contre la mise en cause de leur responsabilité civile », J.T., 1996, p. 379.

10 Bruxelles (9e ch.), 12 avril 2002, J.T., 2002, pp. 668-669.





Cet article a été précédemment publié par le même auteur dans le Bulletin Social et Juridique.(www.lebulletin.be)





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