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Vers le droit de demain ?

Steve Gilson

Jeudi 23.02.17



Le SPF Justice publie, sous la plume de son ministre, un document intéressant intitulé « Le saut vers le droit demain », recodification de la législation de base. Il s’agit d’importants projets de réforme du droit.

Le citoyen doit avoir accès à une législation claire et compréhensible regroupée de manière ordonnée dans des codes intelligibles pouvant être consultés sur le site internet du SPF Justice. Le ministre appelle donc de ses vœux une recodification dans trois domaines : le droit pénal, le droit civil et le droit de l'entreprise. Il n’est évidemment pas possible, dans le cadre de ce bref article, d’exposer de manière détaillée les 81 pages de projets concrets fort denses de cette note.


1. Le droit pénal

Pour le Code pénal, les critères prônés sont la précision, la cohérence et la simplicité.

La volonté est de retirer la catégorie des contraventions du droit pénal dans le cadre d’une dépénalisation afin que le droit pénal soit ramené à sa tâche essentielle. Au niveau des peines, l’emprisonnement doit rester le remède ultime réservé à la sanction des infractions les plus graves. De nouvelles sanctions autonomes doivent donc voir le jour. Elles seront réparties en niveaux, ce qui rappelle le Code pénal social, mais il y aurait ici huit niveaux.

Dans les nouvelles peines figurent des formules qui sont déjà connues (parfois dans des contextes un peu différents) comme la confiscation spéciale de biens. La sanction de la suspension du prononcé probatoire ne serait plus maintenue hormis pour les crimes où le juge aurait la possibilité de prononcer une condamnation par déclaration de culpabilité. S’ensuit toute une série de nouveautés présentées sous forme d’exemples concrets. Ainsi, si l’auteur d’un vol s’est servi d’un véhicule pour commettre le vol et transporter des biens, il pourrait se voir infliger une déchéance du droit de conduire… Une personne morale condamnée pour des infractions environnementales pourra, en plus des amendes et confiscations, être condamnée à un travail d’intérêt général comme par exemple le nettoyage de domaines publics ou la plantation d’un bois.

Le Code d’instruction criminelle serait également revu. Faut-il maintenir deux types d’enquêtes préliminaires : une information sous la direction du ministère public et une instruction sous la direction du juge d’instruction ou au contraire, un seul type d’enquête sous la direction du ministère public ? Les experts plaideraient pour le choix d’une enquête préliminaire sous la direction du ministère public, mais avec le contrôle renforcé d’un juge d’instruction qui assumerait ainsi une fonction juridictionnelle à l’égard des mesures d’enquête. Le juge d’instruction n’aurait ainsi plus une double tâche (dirigeant de l’enquête et juge d’instruction) et pourrait se consacrer à la tâche de gardien des droits et libertés. Les experts recommandent que la procédure du règlement de procédure soit supprimée, s’agissant d’un procès avant le procès. Ils proposent également de remplacer définitivement la cour d’assises par des chambres pénales à créer respectivement au sein du tribunal de première instance et de la cour d’appel avec une composition mixte qui impliquerait, à côté des juges professionnels, des citoyens et d’éventuels experts.

Le droit de l’exécution des peines sera également revu. Ce ne sera qu’en l’absence de contre-indications pour les intérêts et la sécurité de la société ou des victimes que la libération conditionnelle devrait pouvoir être accordée après l’exécution en principe de la moitié de la peine, sauf s’il y a une peine de sûreté supérieure.


2. Le droit civil

Le droit civil est également l’objet de l’attention dans le cadre de la réforme afin de tenir compte du fait que la vision du monde au début du XIXe siècle qui était celle du Code Napoléon ne répond plus entièrement aux conceptions sociales actuelles et ne tient pas compte des développements technologiques. La volonté est donc de dresser un nouveau Code civil.

Il est prévu une numérisation de l’état civil dans le cadre de la mise en place d’une plate-forme informatique qui contiendra la banque de données centrale regroupant tous les actes élaborés à partir du 1er janvier 2018 avec une numérisation progressive des anciennes archives. Une simplification des procédures à cet égard sera prévue également et permettra une harmonisation et un échange au niveau international. Le droit patrimonial familial sera tout autant impacté, tout comme le droit successoral qui devrait prévoir une plus grande liberté de dispositions pour le testateur. Il est question de mettre l’accent sur la responsabilité et la solidarité au sein du mariage, sur l’équilibre entre les intérêts du conjoint survivant et des enfants du défunt, sur la protection des partenaires dans une cohabitation hors mariage.

Le droit des biens, quelque peu archaïque dans le Code civil et centré sur l’exploitation agricole, sera revu notamment en ce qui concerne les droits de superficie, les droits d’emphytéose et le droit d’usufruit ; la création d’une forme d’administration comme le trust anglais ou la fiducie française sera discutée.

Le droit des obligations occupera une place centrale dans la réforme. Il impliquera l’actualisation et la modernisation de la structure du Code, l’intégration dans celui-ci d’un certain nombre de sources d’origine jurisprudentielle, l’examen des contrats « interdits » notamment du fait de la contrariété à l’ordre public, aux bonnes mœurs, etc., une modernisation de la théorie des nullités. Il est question également de discuter de l’introduction de la théorie de l’imprévision, de l’idée de créer de véritables clauses pénales avec une fonction coercitive afin d’inciter une partie contractante à respecter le contrat et non plus uniquement à indemniser le préjudice lié à son non-respect. Le droit de la responsabilité civile sera évidemment concerné dès lors qu’il ne comprend actuellement que six articles issus du Code Napoléon qui n’ont presque pas été modifiés depuis 1804. Il est nécessaire notamment de coordonner le droit à la responsabilité avec d’autres systèmes d’indemnisation, comme par exemple le droit de l’assurance et le droit de la sécurité sociale. Il faut préciser que la limitation actuelle de responsabilité des travailleurs et des membres du personnel statutaire sera maintenue mais dans une formulation améliorée.

Le droit de la preuve, considéré comme totalement désuet, sera examiné également. Il sera notamment proposé de relever le seuil actuel de 375 € applicable à l’obligation de rapporter la preuve par écrit et d’assouplir le formalisme de la preuve. La preuve sera également adaptée au développement technologique.


3. Le droit de l’entreprise

En ce qui concerne le droit de l'entreprise, une notion uniforme d'entreprise sera élaborée et inclura désormais également les professions libérales, l’agriculture et le secteur non-marchand. Toutes les entreprises auront leur juge unique au tribunal de commerce qui s’appellera désormais le tribunal de l’entreprise. Il y aura donc remplacement des concepts de commerce et de droit commercial par ceux d’entreprises et de droit des entreprises. La notion d’entreprise remplacera la notion de commerce, société commerciale, etc. Le recrutement des juges consulaires reflétera la nouvelle compétence du tribunal et l’on veillera à y faire figurer des agriculteurs, des professions libérales, des personnes d’entreprises non-marchandes, etc.

Le droit de l’insolvabilité sera revu dans un livre séparé du droit économique. La modernisation passera pas une procédure électronique intégrale avec l’instauration d’un registre central de solvabilité. Une faillite silencieuse sera instaurée, permettant à une entreprise de préparer une véritable faillite de manière discrète, sans mesure de publicité.

Le droit des personnes morales sera revu dans la foulée. La possibilité de distribuer un bénéfice deviendra le seul critère distinctif entre les sociétés et les associations. Toute référence à des actes civils et commerciaux sera proscrite. La SA comme la SPRL pourront n’avoir qu’un seul actionnaire de sorte que la SPRLU deviendra superflue. Dans la SA, le principe de révocabilité ad nutum de l’administrateur deviendrait une disposition de droit supplétif. Les exigences en matière de capital dans la SPRL seraient supprimées de sorte que la SPRL-S deviendrait superflue. Les droits des actionnaires ne seraient alors plus définis par la fraction du capital qu’ils représentent mais de manière conventionnelle ou statutaire. La protection des droits du créancier serait assurée par l’obligation de devoir mettre un patrimoine à disposition. Le principe de la liberté totale de la preuve en matière commerciale serait étendu à tous les acteurs relevant de la notion étendue d’entreprise.


4. Réflexions

L’annexe au document porte sur les réalisations et les projets en cours. Le ministre croit pouvoir parler de procédures civiles « moins nombreuses mais plus efficaces » en évoquant les lois « pot-pourri I » et « IV »… Ou encore la procédure pénale plus simple et plus rapide en invoquant « pot-pourri II ». Encore plus audacieux, il parle de procédures judiciaires « abordables et plus accessibles » en invoquant une réforme du pro deo notamment (!). Sur ces points, l’usager de la Justice s’est montré dubitatif, les réalisations concrètes n’étant certainement pas à la hauteur des ambitions du ministre.

Il ne faut évidemment pas omettre le caractère particulièrement ambitieux des réformes en œuvre et il faut souligner la qualité du travail qui a été mené par les experts qui ont été choisis par le SPF Justice pour élaborer les projets de réforme. La question néanmoins qui peut se poser est celle de savoir ce qui sera fait concrètement de toutes ces réformes et s’il n’y a pas un certain nombre d’autres mesures à prendre, moins ambitieuses peut-être, mais emportant des effets immédiats. Ainsi, est-il normal que le ministère de la Justice choisisse sciemment de ne pas remplacer immédiatement un certain nombre de magistrats partant par exemple à la retraite afin vraisemblablement d’économiser quelques mois de salaire, ce qui implique des pénuries de personnel et parfois la fermeture concrète de certaines chambres des tribunaux, avec comme seul palliatif le recours massif au travail bénévole de juges suppléants ? Est-il normal de constater que plusieurs greffes de diverses juridictions sont amenés à ne pas pouvoir fonctionner correctement du fait de la pénurie de personnel, amenant parfois concrètement la fermeture de ceux-ci à certaines périodes de la semaine par décision du chef de corps de la juridiction ? Ne serait-il pas plus utile dans un certain nombre de cas, avant d’envisager des projets pharaoniques de réformes simultanées de toutes les branches du droit, de permettre simplement à ceux qui sont amenés à appliquer le droit existant de le faire dans de bonnes conditions, ce qui implique évidemment un minimum de moyens humains ? Comment peut-on soutenir que les réalisations effectuées auraient amené des procédures civiles plus efficaces ? Quel est le justiciable qui a concrètement pris connaissance de procédures judiciaires abordables et plus accessibles quand on augmente des droits de mise au rôle ou quand on ne compense nullement l’introduction de la TVA sur les honoraires des avocats, ce qui a constitué une augmentation de 21 % des honoraires des avocats pour les personnes non assujetties ? Comment ose-t-on soutenir cela dans une situation où l’aide juridique est sous-financée ?

Nous verrons évidemment ce qui ressortira de tous ces projets mais la Justice passe aussi et surtout par des hommes, des salles d’audience, des greffes… et en faciliter l’accès et la qualité ne doit pas être limité uniquement aux discours.



Steve Gilson
Avocat au barreau de Namur Maître de conférences à l’UCL Chargé de cours à l’ICHEC Juge suppléant au Tribunal du travail de Liège, Division de Namur


Cet article a été précédemment publié par le même auteur dans le Bulletin Social et Juridique.(www.lebulletin.be)




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