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Un troisième sexe reconnu par le droit ?

Geoffrey Willems

Lundi 28.12.15

Peut-on être défini comme étant de sexe neutre ? Un juge français vient de l’admettre.

Ceci mérite des explications. Elles nous sont fournies par Geoffrey Willems, professeur à l’Université catholique de Louvain.

« Luce jugeait que mes parents auraient du mal à accepter une assignation de genre ambigu. Il fallait leur dire s’ils avaient un garçon ou une fille » (Jeffrey Eugenides, Middlesex, Prix Pulitzer 2013)


1. Dans un jugement du 20 août 2015, le Tribunal de grande instance de Tours a accédé à la demande d’une personne intersexuée tendant à la modification de son état civil afin que la mention « sexe masculin » y soit remplacée par la mention « sexe neutre ».

L’identité juridique masculine du demandeur correspondait partiellement à son identité biologique et psycho-sociale puisqu’il était génétiquement un homme (chromosomes XY) et qu’il avait été élevé par ses parents comme un garçon.

Il n’empêche que, d’emblée, son identité sexuelle avait été marquée par une profonde ambiguïté et cela tant sur le plan biologique que sur le plan psychologique et social. Ainsi, d’une part, au niveau anatomique et morphologique, les organes génitaux du demandeur ne permettaient de le définir ni comme un homme, ni comme une femme (absence de testicules ou d’ovaires mais présence à la fois d’un « micro-pénis » et d’un « vagin rudimentaire »). D’autre part, au niveau psycho-social, son entourage – depuis son ami d’enfance jusqu’à son épouse – considérait que sa « part féminine » était particulièrement développée sans l’emporter, pour autant, sur la « part masculine ».

2. À la lumière du cas particulier de cette personne, on comprend que la question posée au droit par les intersexués est celle de la possibilité et/ou de la nécessité de reconnaître, en droit, la situation spécifique des personnes dont l’identité sexuelle est biologiquement et psycho-socialement ambigüe.
La réponse apportée à cette question dans les sociétés contemporaines est en train de changer.
3. Traditionnellement, le droit s’est estimé autorisé à répartir les individus entre deux catégories sexuelles rigides. En cas d’intersexuation, un sexe juridique est attribué à l’enfant sur la foi – le plus souvent – d’un examen chromosomique. Les dimensions biologiques et psychosociales du sexe peuvent ensuite être « modelées » ou « adaptées » par la médecine et l’éducation pour refléter, autant que possible, l’identité retenue par le droit.

4. Une telle approche est évidemment remise en cause dans le contexte contemporain hérité de la triple révolution de la biomédecine, des mœurs et des droits de l’homme, qui met au premier plan le droit de chaque individu à l’épanouissement personnel. Le droit est aujourd’hui plus enclin qu’hier à admettre que ses catégories sexuelles traditionnelles ne sont pas en mesure de traduire l’identité sexuelle biologiquement et psycho-socialement complexe des intersexués.

5. C’est cette seconde approche qu’a retenue le Tribunal de Tours dont la décision – frappée d’appel – fait notamment écho au choix posé en 2013 par le législateur allemand de permettre que l’état civil reflète la « neutralité sexuelle » des personnes intersexuées.

6. On peut certainement se féliciter d’une telle évolution au regard, surtout, des mutilations – physiques et/ou psychiques – qui leur sont parfois infligées.

On ne peut pas ignorer, pour autant, les implications que pourrait avoir la reconnaissance exceptionnelle d’un « sexe neutre » au profit des personnes intersexuées (qui représentent, suivant les estimations, entre 1 et 5 ‰ de la population).

Il faudra dans ce cas, en particulier, envisager la réponse à donner à ceux qui, sans être intersexués, réclameront la possibilité d’opter, s’ils le souhaitent, pour le « sexe neutre ».

Il faudra aussi, de façon plus générale, s’interroger sur les conséquences, pratiques et symboliques, d’un tel estompement de la différenciation juridique des sexes masculin et féminin.




Geoffrey Willems
Professeur à l’Université catholique de Louvain




Note:

Cet article a été publié sur Justice en ligne le 28 décembre 2015.






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