Imprimer cet article


Marchés publics : des surcoûts imprévus en raison des nouvelles règles d’exigibilité de la TVA

Par M. Vastmans & C. Amand [XIRIUS]

Mercredi 14.10.15


Sauf amendement éventuel, le projet de loi modifiant le Code de la taxe sur la valeur ajoutée en ce qui concerne l’exigibilité de la taxe (Doc. parl., Chambre, 11 septembre 2015, 2014-2015, n° 54-1311/001) entraînera pour certains soumissionnaires de sérieuses charges supplémentaires correspondant à un préfinancement de la TVA lors de l’exécution des marchés publics.


L’exigibilité de la TVA

Jusqu’à la fin de l’année 2012, la TVA était exigible au moment de la livraison du bien ou de la prestation du service, sauf lorsque le prix était facturé ou encaissé en tout ou en partie avant cela. En pratique, la TVA était donc due par le fournisseur ou le prestataire de services lorsque celui-ci émettait une facture à son client.

La loi du 17 décembre 2012 modifiant le Code de la taxe sur la valeur ajoutée (cf. Note 1) a limité les causes d’exigibilité de la TVA :

- à l’accomplissent d’une livraison de bien ou d’une prestation de services ;

- au paiement.

Par conséquent, l’émission d’une facture d’acompte avec TVA avant le paiement rendait cette TVA non déductible par le client (cf. Note 2) Pour éviter ce risque, il fallait d’abord émettre une demande de paiement et ensuite émettre une facture d’acompte.

Le projet de loi du 11 septembre 2015 (cf. Note 3) tend à corriger cette difficulté en introduisant, à nouveau, la facture comme cause subsidiaire d’exigibilité de la TVA (cf. Note 4).


Nouvelles dispositions pour les opérations réalisées avec certains organismes publics

Le projet de loi prévoit également des dispositions particulières (cf. Note 5) concernant la livraison de biens et la prestation de services au bénéfice de personnes de droit public au sens de l’article 6 du Code TVA, à savoir l’Etat, les Communautés, les Régions, les provinces, les agglomérations, les communes et les établissements publics, pour autant que ceux-ci soient créés selon le mode de la fondation et non de l’association.

Par exception aux règles générales d’exigibilité de la TVA, la TVA due par le fournisseur ou le prestataire de services n’est exigible qu’au moment de la réception du paiement, en tout ou en partie, à concurrence du montant perçu et non à partir de l’émission de la facture ou, de la livraison du bien ou de la prestation effective du service.

Selon l’exposé des motifs du projet de loi, « la pratique a toujours démontré que la mesure administrative qui est actuellement d’application, par laquelle la taxe est exigible au moment où l’autorité compétente accepte le montant dû, n’offre pas de solution de la problématique posée (à savoir, le préfinancement de la TVA). L’acceptation du montant facturé ne signifie pas toujours nécessairement que le montant dû sera payé à temps par l’autorité, ce qui peut occasionner des problèmes pour le paiement au trésor dans le délai, de la taxe due par les fournisseurs concernés ».


Confirmation de tolérances administratives ou oubli de dispositions légales ?

Le projet abandonne donc la solution prévue par la circulaire 90/1971 du 25 mai 1971, qui se référait implicitement à la réglementation applicable aux marchés publics et au principe du paiement pour un « service fait et accepté » propre à cette réglementation (cf. Note 6).

Selon ce principe, « un paiement ne peut être effectué que pour un service fait et accepté » ce qui interdit tout versement de provision (ou d’acompte au sens commun du terme) puisque le marché ne peut être payé à l’adjudicataire que lorsqu’il est exécuté et accepté par le pouvoir adjudicateur qui a passé commande (cf. Note 7).

Ce régime propre aux marchés publics vise à sauvegarder les deniers publics et s’explique par le fait que le pouvoir adjudicateur est présumé solvable (cf. Note 8). En matière de marchés publics, il n’y pas d’acomptes au sens commun du terme et le paiement ne peut être fait qu’au moment où le « service [est] effectué », notion que l’on retrouve à l’article 22, § 1er, du Code TVA et l’article 63 de la Directive 2006/112/CE (Directive TVA) en matière de fait générateur de la TVA.


Incidence du projet de loi sur le paiement de certains marchés publics

Le projet de loi commenté appelle plusieurs observations concernant son incidence sur l’exécution et, plus particulièrement, sur le paiement du prix pour les marchés publics de fournitures et de services :

• sous réserve des dispositions relatives aux opérations intracommunautaires, la Belgique est autorisée à reporter l’exigibilité de la TVA jusqu’au moment de l’encaissement du prix pour les opérations réalisées avec des personnes de droit public lorsque celui-ci est postérieur à la livraison de biens ou à la prestation de services (art. 16 et 22 du Code TVA) ou jusqu’au moment fixé par une autre disposition légale, comme par exemple l’article 7 de la loi du 15 juin 2006 relative aux marchés publics et à certains marchés de travaux, de fournitures et de services ;

• contrairement à ce qu’affirme l’administration de la TVA dans une décision n° E.T.124.433 du 17 avril 2014, la circulaire 90/1971 du 25 mai 1971 n’était pas une simple tolérance administrative mais l’application de la législation belge dans les limites autorisées par les directives européennes, à savoir la réglementation relative aux marchés publics. Le caractère particulier de cette réglementation justifie des dérogations aux articles 16 et 22 du Code TVA ;

• la réglementation relative aux marchés publics ne s’applique pas seulement aux établissements publics visés par l’article 6 du Code de la TVA. Elle s’applique également à tous les organismes publics constitués par les mécanismes de l’association ou de la fondation qui sont des « pouvoirs adjudicateurs » au sens de l’article 2, 1°, c), d) et e) de la loi du 15 juin 2006 relative aux marchés publics et à certains marchés de travaux, de fournitures et de services.

Cette disposition vise en effet également les organismes de droit public et les personnes, quelles que soient leur forme et leur nature, qui à la date de la décision de lancer un marché ont été créées pour satisfaire spécifiquement des besoins d'intérêt général ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial, et sont dotées d'une personnalité juridique, et dont soit l'activité est financée majoritairement par les autorités ou organismes mentionnés au 1°, a, b ou c ; soit la gestion est soumise à un contrôle de ces autorités ou organismes ; soit plus de la moitié des membres de l'organe d'administration, de direction ou de surveillance sont désignés par ces autorités ou organismes, ainsi que les associations formées par un ou plusieurs pouvoirs adjudicateurs.

• Pour les fournisseurs à des organismes publics constitués sous la forme de l’association, la TVA est exigible dans leur chef lorsque la livraison des biens ou la prestation des services est effectuée, au sens commun et non au moment de l’encaissement du prix, contrairement aux organismes publics créés selon le mode de la fondation. Cela a donc pour conséquence directe que ces prestataires et fournisseurs seront tenus de verser la TVA au fisc alors que le paiement du marché n’interviendra qu’ultérieurement, en application des articles 127 (fournitures) et 160 (services) de l’arrêté royal du 14 janvier 2013 établissant les règles générales d’exécution des marchés publics et des concessions de travaux publics.


Prévoir le coût du préfinancement de la TVA lors de la passation et de l’exécution des marchés publics

Le projet de loi constitue donc une régression pour les fournisseurs de biens et les prestataires de services qui exercent leurs activités auprès des organismes publics fondés sous le régime de l’association. Cet accroissement du préfinancement de la TVA sur certains marchés publics n’est probablement pas l’objectif poursuivi par le Gouvernement alors pourtant qu’il semble que ce soit la conséquence concrète qui se dégage du projet de loi.

Sauf amendement éventuel devant le Parlement, il serait prudent pour les entreprises soumissionnaires de tenir compte de ce surcoût.



Marie Vastmans
Christian Amand
Avocats
Association Xirius



Notes:


(1) Loi du 17 décembre 2012 modifiant le Code de la taxe sur la valeur ajoutée, M.B., 21 décembre 2012.

(2) C.J.U.E., arrêt C342/87 du 13 décembre 1989, Genius Holding BV.

(3) Projet de loi modifiant le Code de la taxe sur la valeur ajoutée en ce qui concerne l’exigibilité de la taxe, Doc. parl., Chambre, 11 septembre 2015, 2014-2015, n° 54-1311/001.

(4) Outre la cause principale d’exigibilité de la TVA selon laquelle la taxe devient exigible au moment de la livraison d’un bien ou l’achèvement d’une prestation de service, le Code TVA prévoyait, jusqu’à la fin de l’année 2012, deux causes subsidiaires d’exigibilité de la TVA pour les livraisons de biens et les prestations de services locaux, à savoir la remise d’une facture et la réception d’un paiement avant la livraison du bien ou la prestation du service. Alors qu’elle avait été supprimée par la loi du 17 décembre 2012, le projet de loi vise donc à réintroduire la facture comme cause subsidiaire d’exigibilité de la TVA.

(5) Articles 3, § 4, et 4, § 4, du projet de loi modifiant le Code de la taxe sur la valeur ajoutée en ce qui concerne l’exigibilité de la taxe (Doc. Parl., Chambre, 11 septembre 2015, 2014-2015, n° 54-1311/001).

(6) Ce principe est actuellement fondé sur l’article 7 de la loi du 15 juin 2006 relative aux marchés publics et à certains marchés de travaux, de fournitures et de services.

(7) Il convient à cet égard de préciser que la réglementation relative aux marchés publics n’exclut pas pour autant toute possibilité de verser des acomptes mais donne une définition spécifique de cette notion qui se distingue du sens commun puisqu’il s’agit d’un paiement partiel qui ne peut intervenir qu’en contrepartie d’une exécution partielle du marché ayant fait l’objet d’une réception et suivant les modalités prévues par les documents du marché (article 2, 19°, de l’arrêté royal du 14 janvier 2013 établissant les règles générales d’exécution des marchés publics et des concessions de travaux publics).
En outre, la réglementation relative aux marchés publics prévoit la possibilité pour le pouvoir adjudicateur de verser des avances, « avant service fait et accepté » (article 2, 20°, de l’arrêté royal du 14 janvier 2013 établissant les règles générales d’exécution des marchés publics et des concessions de travaux publics), mas uniquement dans les hypothèses limitativement énumérées par l’article 67 de l’arrêté royal du 14 janvier 2013.

(8) M.-A. FLAMME, Commentaire pratique de la règlementation des marchés publics, Tome 1A, CNC, Bruxelles, 1996-1997, 6ème éd., p. 159.




Source : DroitBelge.Net - Actualités - 14.10.15


Imprimer cet article (Format A4)

* *
*


Bookmark and Share