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[EN PRATIQUE] Les conventions relatives à la cessibilité des titres

Par Pierre Paulus de Châtelet

Lundi 28.09.15



1. Les clauses prévoyant l’inaliénabilité des titres

L’article 510, al. 1 et 2 du Code des sociétés prévoit que « Les statuts, les actes authentiques d'émission d'obligations convertibles ou de droits de souscription et toutes autres conventions peuvent limiter la cessibilité entre vifs ou la transmissibilité à cause de mort des actions nominatives ou des actions dématérialisées, des droits de souscription ou de tous autres titres donnant droit à l'acquisition d'actions, en ce compris les obligations convertibles, les obligations avec droit de souscription ou les obligations remboursables en actions.

Les clauses d'inaliénabilité doivent être limitées dans le temps et être justifiées par l'intérêt social à tout moment.
Toutefois, lorsque la limitation résulte d'une clause d'agrément ou d'une clause prévoyant un droit de préemption, l'application de ces clauses ne peut aboutir à ce que l'incessibilité soit prolongée plus de six mois à dater de la demande d'agrément ou de l'invitation à exercer le droit de préemption.
Lorsque les clauses visées à l'alinéa 3 prévoient un délai supérieur à six mois, celui-ci est de plein droit réduit à six mois ».


Par limitation dans le temps, la doctrine admet que les clauses inférieures à cinq ans sont acceptables et une durée de dix ou vingt ans doit demeurer exceptionnelle .


2. Les clauses d’agrément et de préemption

2.1. La clause d’agrément est celle par laquelle toute cession de titre est soumise à l’agrément du cessionnaire par un tiers qui sera soit un organe de la société, un (ou plusieurs) actionnaire(s), soit un véritable tiers.

2.2. La clause de préemption est celle par laquelle un actionnaire cédant doit avant toute cession offrir au bénéficiaire du droit de préemption (un ou des autres actionnaires ou un tiers) le droit de les acquérir.

Il s’agit d’une promesse de vente éventuelle (parce que sa mise en œuvre est subordonnée à la décision de vendre de l’actionnaire) .

Exemples de variations :

- clause de first offer : le cédant doit les offrir au bénéficiaire avant de les proposer à tout candidat acquéreur,
- clause de first refusal : le cédant peut proposer les titres à un tiers et le bénéficiaire pourra soit s’aligner sur l’offre de ce candidat cessionnaire pour acheter les titres, soit (autre variante) pourra acheter les titres à un prix préalablement convenu ou à déterminer par un tiers (expert comptable, réviseur ou autre) ou encore sur base de critères prédéfinis,
- clause d’offres concurrentes : le cédant peut céder ses titres provisoirement et conserve pendant un certain temps la faculté de les vendre à un tiers acquéreur qui proposerait un prix supérieur. On peut encore prévoir dans cette hypothèse le droit pour le premier acquéreur de s’aligner sur l’offre du tiers pour garder les titres.

Très souvent, les statuts ou les conventions prévoient plusieurs bénéficiaires de la clause de préemption. Dans cette hypothèse, un ordre de préséance peut être prévu (le suivant pouvant acheter autant de titres qu’il reste une fois que le précédent aura actionné son droit de préemption sur un certain nombre d’actions, jusqu’à épuisement) ou une répartition au prorata des bénéficiaires (en fonction de la participation de chacun dans le capital par exemple).

Le droit de préemption peut être prévu sans considération du prix. Dés lors, les parties pourront soit choisir une ou plusieurs méthodes d’évaluation (en retenant s’il y en a plusieurs la plus élevée, la plus basse ou la moyenne), soit confier la détermination du prix à un tiers, qui peut être déjà désigné conventionnellement. Dans cette hypothèse de détermination du prix suite à l’exercice du droit de préemption, il est possible et préférable de prévoir un droit de repentir (celui-ci n’était pas, selon la doctrine majoritaire, acquis de plein droit ).

2.3. Régime légal

On entend par « cession » les transmissions pour cause de mort (dans le texte de l’article) et « tout type de transmission : vente, donation, scission, fusion, … » . Cependant, les opérations de scission et fusion n’emporte pas de cession individuelle d’actions, alors que c’est en principe l’objet de la clause d’agrément ou du droit de préemption. Les échanges, les apports en société, l’aliénation d’actions à titre de réalisation d’un gage ne sont pas visés par le législateur et devraient être précisées dans la clause .

Les alinéas 2 et 3 de l’article 510 du Code des sociétés prévoient que lorsque « la limitation résulte d'une clause d'agrément ou d'une clause prévoyant un droit de préemption, l'application de ces clauses ne peut aboutir à ce que l'incessibilité soit prolongée plus de six mois à dater de la demande d'agrément ou de l'invitation à exercer le droit de préemption.
Lorsque les clauses visées à l'alinéa 3 prévoient un délai supérieur à six mois, celui-ci est de plein droit réduit à six mois
».

Ceci est justifié par le fait que le cédant ne peut rester bloquer indéfiniment. Au terme de ce délai de six mois, le cédant sera libéré et pourra vendre ses actions librement.

La réduction du délai supérieur six mois pose la question de savoir à quel moment la cession des titres a lieu juridiquement si ce délai est réduit. Il faut raisonner en s’inspirant du droit de la vente, selon lequel celle-ci naît juridiquement lorsqu’il y a accord des parties sur l’objet de la vente et sur le prix , en distinguant si le prix est déterminé ou simplement déterminable.

Dans la première hypothèse (si le prix est déterminé), la cession est parfaite dés l’exercice du droit de préemption . Il faut donc qu’il intervienne dans le délai de six mois.

Dans le second cas (si le prix est déterminable) :

- si la clause désigne un expert, le prix est considéré comme déterminable lorsqu’il est choisi ou qu’il est fait appel à lui. Il faut donc ce faire dans le délai de six mois.

Par contre si les parties s’en réfèrent à « une expertise », sans nommer l’expert, la vente ne sera pas parfaite si la convention ne contient pas le mécanisme de détermination du prix ou les éléments grâce auxquels il peut être déterminé . Elle ne le sera que lorsque le prix sera fixé (avec le risque d’expiration du délai de six mois) .

- si la clause prévoit les mécanismes de détermination du prix, le prix est déterminable directement et la cession est juridiquement réalisée lors de l’exercice du droit.

Les titres visés sont les actions nominatives et dématérialisées, les droits de souscription, les obligations convertibles, les autres titres donnant droit à l'acquisition d'actions, les obligations avec droit de souscription ou les obligations remboursables en actions. Les parts bénéficiaires ne sont pas concernées.

Les clauses d’agrément et de préemption peuvent être reprises dans les statuts, dans des conventions d’actionnaires, dans les actes authentiques d’émissions d’obligations convertibles et dans toutes autres conventions.

La sanction du non-respect est sanctionnée par la nullité de la clause (article 551 C. soc). Cette nullité ne s’applique pas au non-respect du délai de six mois dans lequel le mécanisme d’agrément ou de préemption doit se réaliser, puisqu’il est réduit de plein droit (aliéna 3 de l’article 510 C. Soc).

Malgré le fait que le texte de l’article 511 du Code des sociétés soit ambigu, les clauses d’agrément et de préemption ne doivent pas être limitées par l’intérêt social, au motif qu’il ne s’agit pas d’engagements d’inaliénabilité totale .

2.4. Combinaison d’une clause d’agrément et d’un droit de préemption

En pratique, une clause d’agrément est souvent convenue combinée avec un droit de préemption. En effet, si ceux qui doivent agréer le tiers cessionnaire refusent à l’issue du délai de six mois, le cédant devient libre de céder à qui il désire, donc au cessionnaire non agréé. Les bénéficiaires concluront dès lors également un droit de préemption par lequel ils peuvent acquérir eux-mêmes les titres dont la cession est proposée par le cédant.

Ce double instrument est majoritairement utilisé pour maintenir l’actionnariat et ou contrôler les conséquences d’un retrait d’un d’eux de la société.

2.5. Combinaison d’une clause d’agrément et d’une clause d’inaliénabilité

Cette combinaison aurait pour conséquence une inaliénabilité des titres en cas de refus de l’agrément du cessionnaire.

La doctrine est partagée quant à la validité de cette combinaison. Une partie considère qu’il serait paradoxal de prononcer la nullité d’une clause d’inaliénabilité qui seule serait valable au seul motif que sa mise en œuvre serait suspendue à un défaut d’agrément . L’autre partie considère que la clause d’inaliénabilité aurait pour effet un refus de plus de six mois .


3. Les clauses de standstill

Les clauses sont les clauses par lesquelles les parties s’interdisent d’acquérir mutuellement leurs titres. Elles sont destinées à assurer un même actionnariat pendant un certain temps. Cependant, chacune des parties reste libre de céder à un tiers. Cette clause ne porte pas atteinte à la libre cessibilité des titres et n’est pas visée par les dispositions du Code des sociétés .


4. Les clauses de sortie conjointe (droit de suite et obligation de suite)

Ces clauses permettent aux bénéficiaires (le plus souvent des minoritaires) de vendre leurs titres au cessionnaire avec qui le cédant a conclu, au même prix et aux mêmes conditions.

Le cédant devra dès lors obtenir obligatoirement l’accord du cessionnaire quant à l’acquisition par lui des titres détenus par les bénéficiaires de la clause de sortie conjointe. Cette obligation peut être de moyen (il doit développer ses meilleurs efforts pour obtenir l’accord du cessionnaire), ou de résultat, et dans cette dernière hypothèse il est possible de prévoir que le cédant s’engage lui-même à acquérir les titres des bénéficiaires de la clause de sortie conjointe.


5. Les clauses de reprise d’actif

Ces clauses autorisent l’actionnaire sortant à acquérir auprès de la société certains actifs (qu’il a apporté dans le passé par exemple).


6. Les conventions d’option d’achat ou de vente

L’option d’achat (« call option ») est une promesse de vente en faveur du bénéficiaire (actionnaire ou tiers), et l’option de vente (« put option ») est une promesse d’achat émanant d’un actionnaire ou d’un tiers, des actions détenues par le titulaire de l’option.

Elles constituent un instrument de retrait ou d’exclusion forcée très efficace, qui dans la pratique constituent souvent la sanction du non-respect de certains engagements à charge du débiteur de l’option.

Pour être efficaces, ces clauses détermineront le prix ou les modalités de sa détermination : recours à un expert, méthodes d’évaluation prédéfinies, taux boursier, etc. Elles sont également très souvent assorties d’une obligation d’inaliénabilité dans le chef du débiteur afin de ne pas vider les options de leur objet.


7. Les options d’achat et de vente croisée

Les options croisées sont des conventions par lesquelles deux actionnaires se consentent mutuellement des options.

Ce sera notamment le cas d’opérations de portage, par lesquelles le porteur s’engage à acheter ou à souscrire des titres à la condition de pouvoir les revendre au donneur d’ordre. Soit le donneur d’ordre dispose d’un call qu’il peut exercer à n’importe quel moment, soit la durée du portage est définie dans la convention, soit le porteur disposera d’un put.

Ces opérations sont couramment utilisées, notamment pour, par exemple, permettre le rachat de titres soumis à une clause d’agrément ou de préemption dans le chef des bénéficiaires qui n’ont pas au moment de l’exercice du droit de liquidités suffisantes, soit pour préserver la discrétion sur une prise de participation, ou pour garantir le remboursement d’une dette du donneur d’ordre qui a besoin des fonds du porteur pour investir dans le capital d’une société.

Il faut toujours examiner la validité des conventions de portage eut égard à l’interdiction des pactes léonins (art. 32 C. soc). Ces derniers ne sont valables, selon la jurisprudence de la cour de cassation, que s’ils servent seulement l’intérêt social .

Les clauses de shotgun, ou texas, roulette russe ou choix de Salomon sont également des options croisées : un des actionnaires propose à son associé de lui racheter ses titres et si ce dernier refuse, il peut contraire le premier à lui vendre sa propre participation.

Il y a plusieurs modalités, comme par exemple :

- le premier offre ses actions à l’autre à un prix qu’il fixe unilatéralement. Le 2ème actionnaire qui reçoit cette offre peut soit l’accepter soit la refuser la retourner au premier qui sera tenu de lui acheter ses parts au prix proposé,

- le premier actionnaire, qui initie la procédure, veut acquérir les actions du second à un prix qu’il propose. Le second peut soit accepter, soit refuser et dés lors il rachète le premier au prix proposé par ce dernier,

- le premier propose un premier prix, que le second peut accepter ou il peut surenchérir, donnant le même droit au premier. Les enchères montent dans l’espoir d’acquérir les actions de l’autre.




Pierre Paulus de Châtelet
Avocat au barreau de Bruxelles - Association De Caluwé & Horsmans



Note: D'autres informations pratiques en droit des sociétés sont disponibles dans la rubrique Fiches > Droit des sociétés.



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