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L’employeur a-t-il droit à la vie privée ?

Par Steve Gilson

Mercredi 18.06.14

Disons-le immédiatement, le titre de notre contribution est quelque peu provocateur et trompeur… Parler de vie privée pour un employeur est susceptible d’engendrer certaines ambiguïtés qu’il faut immédiatement dissiper.

Si l’employeur est une personne physique qui dispose comme tout un chacun du droit à la vie privée, il peut se référer aux instruments généraux comme l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ou l’article 22 de la Constitution. Il peut également bénéficier des dispositions de droit commun destinées à encadrer la vie privée. Certes, certaines dispositions du droit du travail qui concernent uniquement les travailleurs ne lui sont pas applicables en tant que telles.

Par contre, si l’employeur est une personne morale, la situation se présente évidemment différemment. Certes, la doctrine a relevé qu’« une certaine jurisprudence récente a pu soutenir qu'en recourant au terme général de “personne”, la Convention européenne des droits de l’homme octroyait une forme de “vie privée” aux personnes morales (…) alors même qu’elles sont immatérielles » (cf. Note 1). B. Docquir écrit ainsi : « En recourant au terme général de “personne”, la Convention européenne des droits de l’homme reconnaît également aux personnes morales, associations de droit commercial… le droit au respect d’une forme de “vie privée” ». Cet auteur relève toutefois immédiatement que « puisque les personnes morales sont des êtres immatériels qui réagissent nécessairement par leur organe, elles ne peuvent invoquer que des prérogatives compatibles avec leur nature » (cf. Note 2). Il faut donc bien admettre que, par ce vocable, on invoquait plutôt un certain nombre de droits spécifiques, dont justement le secret des affaires, et que la notion même de vie privée ne peut guère être transposée stricto sensu pour une personne morale. En effet, le droit à la vie privée, tout comme le droit à l’image, fait partie des droits à la personnalité étant un droit subjectif reconnu à chaque individu, qui vise plus exactement les droits touchant à l’intégrité physique et morale du corps de l’individu, et qui s’applique évidemment au premier plan, et pour certains nécessairement uniquement aux personnes physiques. Cela n’empêche évidemment pas une personne morale de se plaindre d’une atteinte portée à sa réputation (cf. Note 3), ou évidemment à son image de marque, qu’une personne morale peut parfaitement subir (cf. Note 4).

C’est en ce sens que la doctrine écrit que : « C’est certainement à propos du secret des affaires que l’on reconnaît le plus couramment la vie privée des personnes morales » (cf. Note 5). Il y a là un corpus de règles, notamment dans l’article 309 du Code pénal, mais également dans l’article 17 de la loi du 3 juillet 1978, qui consacre l’idée générale du secret des affaires et d’interdiction de la concurrence déloyale à l’aide d’informations confidentielles notamment. La protection du secret d’affaires est ainsi reconnue comme un principe général de droit (cf. Note 6) et même un principe général de droit communautaire (cf. Note 7). La Cour constitutionnelle elle-même a rappelé que les secrets d’affaires pouvaient constituer un élément du droit à la vie privée protégé tant par l’article 22 de la Constitution que par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (cf. Note 8). Donc, il peut être tentant de rétablir pour l’employeur personne morale une forme de « vie privée » au sens commun du terme, et non juridique, par l’intermédiaire d’une notion telle que le secret des affaires.


Steve Gilson
Avocat au Barreau de Namur, maître de conférences invité à la faculté de droit de l'Université Catholique de Louvain, chargé de cours à l'ICHEC et au CPFB



Notes:

1 B. Mouffe, Le droit à l’image, Kluwer, 2013, p. 193.

2 B. Docquir, Le droit à la vie privée, Larcier, 2008, p. 61.

3 B. Mouffe, Le droit à l’image, Kluwer, 2013, p. 193.

4 Cass., 9 octobre 1985, Pas., 1986, I, p. 129.

5 B. Docquir, Le droit à la vie privée, Larcier, 2008, pp. 61 et 62.

6 Bruxelles, 9 décembre 2005, R.G. n° 2004/AR/174.

7 C.J.C.E., 19 mai 1994, aff. C-3692, SEP c. Commission.

8 C. const., 19 septembre 2007, n° 118/2007, J.L.M.B., 2007, p. 36.




Cet article a été précédemment publié par le même auteur dans le n° 520 du Bulletin Social et Juridique.(www.lebulletin.be)



Source : DroitBelge.Net - Actualités - 18 juin 2014


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