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Accès aux documents des organismes publics : bientôt une harmonisation à l’échelle européenne ?


Lundi 23.09.02


La Commission européenne a présenté, en date du 5 juin dernier, un proposition de directive visant à faciliter la réutilisation des données recueillies par les autorités publiques dans toute l'Europe (la proposition sera disponible sous peu sur notre site).

L’objectif de la proposition de Directive est à la fois simple et ambitieux : réduire les obstacles auxquels sont confrontées les sociétés européennes de contenus dans leurs efforts pour développer la nouvelle génération de services et produits d'information basés sur les données provenant du secteur public.



Les organismes publics rassemblent et conservent un volume considérable d’informations : données financières et géographiques, données touristiques, etc.

Ces informations constituent sans nul doute une mine de renseignements très riche pour les entreprises désireuses de les exploiter.

D’après une récente étude, leur valeur économique dans l'Union européenne est estimée à 68 milliards d'euros, chiffre comparable par exemple au secteur des services juridiques et au secteur de l'édition.

Outre l’aspect lucratif important, l’accès et la mise à disposition des informations détenues par des organismes publics doit néanmoins se faire en respectant des principes fondamentaux tels que la propriété intellectuelle, le respect à la vie privée, la transparence, la non-discrimination, etc.

Quels obstacles ?

Un certain nombre d'obstacles pratiques et juridiques empêchent d'exploiter pleinement le potentiel offert par les informations émanant des autorités publiques.

Le véritable problème se situe au niveau des divergences entre les règles et les pratiques des divers États membres en ce qui concerne la tarification, les délais de réponse, les éventuels accords d'exclusivité et même le principe de réutilisation des informations du secteur public.

En raison de cette diversité, il est extrêmement difficile pour les entreprises de créer et exploiter des produits couvrant l'ensemble du territoire de l’Union européenne.
Afin de pallier à cette difficulté, plusieurs États membres ont déjà entamé des travaux législatifs au niveau national, mais ils travaillent à des rythmes différents et dans des directions différentes.


Les lignes de force de la proposition de Directive

Le champ d’application de la proposition de Directive

La définition proposée d’un document au sens de la proposition est volontairement large pour englober un maximum de cas de figure.

Il s’agit de :

a) tout contenu quel que soit son support (écrit sur support papier ou stocké sous forme électronique, enregistrement sonore, visuel ou audiovisuel) ;

b) toute partie de ce contenu.

La proposition de directive s'appliquera aux documents accessibles à tous, sauf dans les cas où elle prévoit une exception.

Par "documents accessibles à tous", il faudra entendre "tout document pour lequel les règles en vigueur dans l'État membre prévoient un droit d'accès et tout document utilisé par des organismes du secteur public comme élément entrant dans l'élaboration de produits ou de services d'information en vue de leur commercialisation."

Dès lors que l’accès est rendu possible par une disposition légale ou réglementaire, le document peut être réutilisé.

De même, les documents dont se servent des organismes du secteur public pour élaborer leurs propres produits ou services d'information sont réputés accessibles à tous.

Ainsi, le seul fait qu'un organisme du secteur public commercialise ses informations ne saurait suffire à les exclure du champ d'application de la proposition de Directive.

Enfin, sont expressément exclus du champ d’application de la proposition de Directive :

a) les documents dont la fourniture est une activité qui ne relève pas de la mission de service public dévolue aux organismes du secteur public concernés en vertu de la loi ou d'autres règles contraignantes en vigueur dans l'État membre ou, en l'absence de telles règles, en vertu des pratiques administratives courantes dans l'État membre concerné;

b) les documents ou parties de documents dont des tiers détiennent les droits de propriété intellectuelle;

c) les documents contenant des données à caractère personnel, sauf si la réutilisation de ces données à caractère personnel est admissible au regard des dispositions du droit communautaire et des dispositions nationales relatives au traitement des données à caractère personnel et à la protection de la vie privée ;

d) les documents détenus par des diffuseurs de service public et leurs filiales et par d'autres organismes ou leurs filiales pour l'accomplissement d'une mission de radiodiffusion de service public ;

e) les documents détenus par des établissements d'enseignement et de recherche, et notamment par des écoles, des universités, des instituts de recherche, des archives et des bibliothèques;

f) les documents détenus par des établissements culturels, et notamment par des musées, des bibliothèques, des archives, des orchestres, des opéras, des ballets et des théâtres.

Et le droit de la propriété intellectuelle ?

On peut légitimement se poser la question de savoir ce que deviennent les droits de propriété intellectuelle (droit d’auteur et droits voisins) relatifs aux documents détenus par les pouvoirs publics dès lors qu’il est certain que des œuvres telles que des études, des cartes géographiques, etc. peuvent assurément faire l’objet d’une protection.

Dans le cas qui nous intéresse, les droits de propriété intellectuelle peuvent être détenus soit par des tiers aux organismes publics l’auteur d’un photographie originale par exemple), soit par les organismes publics eux-mêmes dès lors qu’ils peuvent être considérés comme auteur au sens de la loi.

Dans cette mesure, l’exercice, bien légitime en soi, d’un droit de propriété intellectuelle ne risque-t-il pas de mettre à mal le droit de réutilisation, ou à tout le moins le rendre très théorique ? A contrario, la proposition de Directive entend-elle modifier ou limiter l’exercice des prérogatives liées au droit d’auteur ?

Voici ce que la proposition de Directive mentionne à ce propos :

"Les droits de propriété intellectuelle que des tiers pourraient avoir sur l'information détenue par les organismes du secteur public ne sont pas concernés par les mesures proposées.En revanche, la proposition exerce un effet sur la manière dont les organismes du secteur public eux-mêmes peuvent exercer leurs droits de propriété intellectuelle. La proposition de Directive fixe en effet des limites raisonnables à l'exercice des droits de propriété intellectuelle par les organismes du secteur public.

La proposition ne remet pas en cause l'existence de droits de propriété intellectuelle ou la détention de tels droits par des organismes du secteur public.

Elle ne supprime pas le régime actuel de protection des droits de propriété intellectuelle, par exemple les recours juridiques en cas de réutilisation sans autorisation, ni la possibilité d'imposer des conditions pour la réutilisation et donc d'interdire des formes peu souhaitables de réutilisation grâce à une licence.

Les obligations énoncées dans la présente directive ne s'appliquent que dans la mesure où elles sont compatibles avec les dispositions des accords internationaux sur la protection des droits de propriété intellectuelle, notamment la convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques et l'accord sur les droits de propriété intellectuelle liés au commerce."


La protection de la vie privée

A l’instar de ce qui vient d’être abordé concernant le droit d’auteur, on peut craindre des débordements quant à la protection de la vie privée.

En effet, que faire si la réutilisation des données implique une ingérence dans la vie privée ?

La solution proposée par la proposition est plus radicale : les données ne sont pas exploitables.

La proposition de directive ne souhaite en effet pas altérer le respect des règles en vigueur en matière de protection des données.

Quel format pour la communication des documents ?

les documents pourront être communiqué dans n’importe quel format et dans n'importe quelle langue disponible, pour autant qu’il s’agisse d’un langue officielle du pays concerné.

Le transfert électronique des documents est le mode de transmission choisi par défaut.

Afin de ne pas imposer une charge trop lourde aux organismes publics, la proposition de Directive prévoit le principe selon lequel il n’existe pour les organismes publics aucune obligation de créer ou de transposer des documents dans un autre format ou une autre langue que ceux originaux.

Ainsi, sauf exception, il ne sera pas possible d’exiger une version électronique d’un document existant sous une forme "papier".

Le principe de tarification

Le contrôle sur l'information que détiennent les organismes publics dans un secteur particulier leur confère une position de force sur le marché.

Ils sont en effet la plupart du temps les seuls à posséder l’information et, surtout, peuvent mettre en œuvre des moyens importants pour accéder à l’information.

De la même manière que les entreprises en position dominante ne peuvent abuser de leur puissance commerciale, les organismes publics ne pourront pas fixer leurs tarifs de manière arbitraire et ne pourront pas faire payer un prix excessivement élevé pour des informations obtenues dans le cadre d'une mission de service public et au moyen de fonds publics.

De toute manière, les organismes de service public seront en droit de recouvrer l'investissement réalisé pour produire l'information.

Dans le même ordre d’esprit, la proposition de directive s’oriente vers des principes de tarification qui devront tenir compte des coûts.

Lorsque des redevances sont prélevées, le total des recettes provenant des autorisations de consultation ou de réutilisation de ces documents ne doit pas dépasser leur coût de production, de reproduction et de diffusion, majoré d'une marge bénéficiaire satisfaisante.

En cas de litige, ce sera à l'organisme public qu'il incombe de prouver que les tarifs pratiqués sont orientés conformément aux principes posés par la Directive. De manière très logique, la charge de la preuve leur incombe.

La non-discrimination et la transparence

Afin d'homogénéiser les règles de concurrence, les redevances et autres conditions pour la réutilisation commerciale ne peuvent être discriminatoires.

Ceci revient à dire que les conditions tarifaires et autres, auxquelles est soumise la fourniture d'informations du secteur public destinées à ces activités commerciales, doivent être les mêmes que les conditions appliquées aux tiers qui demandent ces informations.

Dans le cas contraire, la tentation pourra en effet être grande d’abuser de sa position privilégiée pour bénéficier d'un avantage concurrentiel par rapport aux autres acteurs du marché ce qui n’est généralement pas du goût des autorités européennes …

En outre, les organismes publics devront faire preuve de transparence quant aux conditions de réutilisation (conditions tarifaires, délai de communication, etc.). A cet égard, il appartiendra aux Etats membres de rédiger des accords de licence types disponibles en ligne.

Il n'est cependant pas (encore ?) prévu de créer un modèle européen pour ces licences types en ligne. Il appartiendra donc aux États membres de déterminer à quel niveau d'administration ils souhaitent mettre en place ces licences types.

Enfin, le proposition de Directive limite la possibilité d’élaborer des accords d'exclusivité pour l'exploitation d'informations émanant du secteur public, si ces accords restreignent de manière injustifiée la concurrence ou la réutilisation commerciale de l'information.

La proposition de directive sera présentée au Conseil des ministres de l'UE et au Parlement européen en vue de son adoption selon la procédure de codécision.

Nul doute que nous suivrons les nombreuses discussions qui devraient suivre...





Frédéric Dechamps
Avocat au barreau de Bruxelles











Source : Par Frédéric Dechamps


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