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Violation d’obligation contractuelle et tierce complicité

Guillaume Rue

Mercredi 23.04.14

Le tiers qui participe à la rupture de contrat peut être rendu responsable en vertu de la théorie de la tierce complicité. Cette théorie peut trouver à s’appliquer dans de nombreux cas, tant en matière civile que commerciale.


Champ d’application

En matière commerciale, les exemples qui peuvent donner lieu à l’application de la théorie de la tierce complicité sont nombreux (cf. note 1) :

• complicité dans le débauchage de personnel ;
• complicité dans la violation de contrat de distribution ;
• complicité dans la violation de prix imposés ;
• complicité dans la violation d’une clause de non-concurrence ;
• complicité dans la divulgation de secret de fabrique ou de commerce ;
• complicité dans la violation d’une concession de vente exclusive.


Conditions

Il est question de tierce complicité de rupture de contrat :

• lorsqu’il y a une obligation contractuelle valable et préexistante ;
• que cette obligation contractuelle est violée par son débiteur ;
• que le tiers complice a connaissance de cette obligation contractuelle préexistante ou devait raisonnablement en avoir connaissance ; et
• que le tiers complice a volontairement coopéré à la violation de l’obligation contractuelle par son débiteur.

Ces conditions doivent être interprétées de manière stricte, dans la mesure où la théorie de la tierce complicité à un manquement contractuel est une exception au principe de l’effet relatif des conventions (cf. note 2).

Le tiers qui participe à la rupture de contrat pourra être rendu responsable sur la base des articles 1382 et 1383 du Code civil (cf. note 3).

Les termes « devait en avoir connaissance » visent les cas où les circonstances sont telles que, sans examen particulier, le tiers eût dû arriver à la conclusion que l’acte juridique qu’il se proposait d’accomplir le serait en violation de l’obligation d’autrui (cf. note 4). La Cour de cassation a encore rappelé, dans deux de ses arrêts, que pour apprécier l’existence d’une tierce complicité, il faut tenir compte de toutes les circonstances concrètes de l’espèce, y compris du marché économique concerné dans lequel des pratiques illicites sont courantes (cf. note 5), et que, si le tiers ne prend pas les précautions nécessaires pour savoir, il commet une faute qui a empêché le préjudicié d’exercer son droit (cf. note 6).

Le tiers commet également une faute lorsque son ignorance de l’obligation contractuelle méconnue procède d’une négligence inexcusable (cf. note 7).

La violation d’un contrat non valable ne peut en aucun cas donner lieu à une rupture de contrat, et dès lors, ne peut donner lieu à une tierce complicité de rupture de contrat (cf. note 8).


Participation du tiers à l’acte juridique

La condition de participation à la rupture de contrat a été précisée par la Cour de cassation dans un arrêt récent (cf. note 9).

En vertu des articles 1382 et 1383 du Code civil, la tierce complicité suppose que le tiers ait « coopéré » activement et en pleine connaissance de cause à la violation, par la partie, de son obligation contractuelle ou qu’il y ait eu une « participation » du tiers, en connaissance de cause, à la commission de la faute contractuelle. Cette condition de coopération ou de participation du tiers à la commission de la faute contractuelle implique que le débiteur « contracte » avec le tiers complice.

Une atteinte consciente aux droits d’autrui par le tiers ne permet pas d’établir une faute dans le chef de ce dernier si ce tiers n’a pas été en contact avec le débiteur de la convention violée. Ceci exclut la théorie de la faute qualifiée (but de nuire) ou de la faute simple (incitation ou coopération passive à la violation du contrat). À noter que, dans certains cas, la négligence dans l’information a été assimilée à une coopération active (cf. note 10).

Cette décision s’inscrit dans la lignée d’un arrêt de principe de la Cour de cassation de 1984, qui mettait, en grande partie, fin aux controverses et errements de la jurisprudence antérieure (cf. note 11).



Guillaume Rue
Avocat au Barreau de Bruxelles


Notes:

1 D. Dessard, Les usages honnêtes, Larcier, 2007, p .227.

2 Gand, 6 juin 2005, Prat. comm., 2005, p. 546.

3 Anvers, 7 décembre 2011, R.D.C., 2014, livr. 2, p. 167 et http://www.rdc-tbh.be/ (11 mars 2014), note E. Verjans.

4 Y. Merchiers, « La tierce complicité de la violation d’une obligation contractuelle : fin d’une incertitude », R.C.J.B., 1984, p. 379.

5 Cass., 19 mai 2005, J.L.M.B., 2005, p. 1449.

6 Cass., 28 novembre 2002, n° JC02B54-1, www.juridat.be. Voy. également I. Banmeyer, L’action paulienne et la tierce complicité, points de contact, C.U.P., décembre 1988, vol. XXVII, pp. 261 et s.

7 S. Bar et C. Haltert, Les effets du contrat, Kluwer, 2006, pp. 124 et 125.

8 Prés. Comm. Turnhout, 9 décembre 2011, Ann. prat. marché, 2011, p. 587.

9 Cass., 29 juin 2012, R.G. n° C.11.0522.F, www.juridat.be.

10 Voy. les réf. dans D. Dessard, Les usages honnêtes, Larcier, 2007, p. 241.

11 Cass., 22 avril 1983, R.C.J.B., 1984, p. 359, note Y. Merchiers.


Cet article a été précédemment publié par le même auteur dans le n° 516 du Bulletin Social et Juridique.(www.lebulletin.be)



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