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Les permissions de sortie et les congés pénitentiaires : éclairage sur un processus décisionnel méconnu

Benjamin Mine & Luc Robert

Lundi 24.06.13

Comparativement à la libération conditionnelle ou à la surveillance électronique, les permissions de sortie et les congés pénitentiaires sont rarement évoqués par les médias et la population lorsqu’on parle de modalités d’exécution de la peine. Or, l’octroi d’une permission de sortie ou d’un congé pénitentiaire constitue un moment charnière dans la trajectoire d’un détenu non seulement parce qu’il s’agit de la première opportunité qui lui est concédée pour renouer avec la vie en société après une période plus ou moins longue de détention mais également parce que les démarches de reclassement, entreprises à l’occasion de ces premières sorties, lui permettront peut-être de bénéficier par la suite d’une libération anticipée telle que la libération conditionnelle ou la surveillance électronique.

Le processus décisionnel relatif à leur octroi reste aujourd’hui encore largement méconnu, c’est pourquoi cet article se propose d’y apporter un premier éclairage à travers la présentation de quelques résultats issus de la recherche récemment menée par l’Institut national de criminalistique et de criminologie (I.N.C.C.) sur cette « boîte noire » de l’exécution des peines.

Benjamin Mine et Luc Robert, chercheurs au sein de la Direction opérationnelle Criminologie de l’I.N.C.C., auteurs de la recherche, nous en disent plus.



1. La loi du 17 mai 2006 ‘relative au statut juridique externe des personnes condamnées à une peine privative de liberté et aux droits reconnus à la victime dans le cadre des modalités d’exécution de la peine’ attribue d’importantes compétences au ministre de la Justice (déléguées à l’administration pénitentiaire) en ce qui concerne l’octroi ou non de certaines modalités d’exécution de la peine parmi lesquelles les permissions de sortie et les congés pénitentiaires.

2. Pour ces deux modalités, la procédure débute à l’initiative du détenu, qui introduit auprès de la direction de l’établissement une demande de permission de sortie ou de congé pénitentiaire. Celle-ci est ensuite amenée à émettre un avis par rapport à cette demande (en sollicitant éventuellement un rapport auprès du service psychosocial) et c’est à l’administration centrale (plus particulièrement au Service juridique externe de la Direction Gestion de la détention du SPF Justice) qu’il appartient de rendre la décision finale dans les délais légaux impartis (article 10, § 2, de la loi précitée).

La permission de sortie permet au condamné de quitter la prison au cours d’une seule et même journée pour une durée ne pouvant excéder seize heures (article 4, § 1er), tandis que le congé pénitentiaire permet au condamné de quitter la prison trois fois trente-six heures par trimestre (article 6, 1er).

Pour que la modalité soit octroyée, le condamné doit satisfaire aux conditions de temps prévues par la loi du 17 mai 2006 (articles 4, §§ 2 et 3, et 7, 1°) et il ne doit pas exister dans son chef de contre-indications auxquelles la fixation de conditions particulières ne puissent répondre (articles 5, 2°, et 7, 2°). Ces contre-indications portent sur trois aspects : le risque de se soustraire à l’exécution de sa peine, le risque d’importuner les victimes et le risque de commettre de nouvelles infractions graves. Enfin, il faut que le condamné marque son accord aux conditions qui peuvent assortir la décision d’octroi (articles 5, 3° et 7, 3°), c’est-à-dire à la condition générale de ne pas commettre de nouvelles infractions et, éventuellement, à des conditions particulières destinées à compenser la présence d’un ou plusieurs risques (art. 11, § 3).

3. L’I.N.C.C. a été mandaté par la Direction générale des établissements pénitentiaires (DG EPi) pour analyser le traitement des demandes de permission de sortie et de congé pénitentiaire par les directions pénitentiaires locales et la Direction Gestion de la détention (DGD). Plus particulièrement, la DG EPi souhaitait être mieux informée des divergences qui existent dans le cadre de ce processus décisionnel notamment entre les avis émis par des directions pénitentiaires locales et les décisions de la DGD.

Certes, les directeurs pénitentiaires locaux et les attachés du Service juridique externe de la DGD occupent des positions différentes dans ce processus, auxquelles correspondent des obligations légales particulières. Cependant, à cette distinction d’ordre structurel et organisationnel s’ajoute un certain nombre d’autres divergences mises en évidence au cours de la recherche.

Quelques unes d’entres elles sont brièvement évoquées ici.

4. On peut tout d’abord observer au niveau des sources d’information mobilisée que le dossier sur lequel s’appuient les directeurs et les attachés est différent, les premiers disposent d’un dossier par détention tandis que les seconds disposent d’un dossier par détenu (lequel reprend l’information relative aux éventuelles détentions antérieures). En outre, les attachés prennent leur décisions sur la base d’une procédure exclusivement écrite tandis que les directeurs émettent leurs avis en s’appuyant sur une procédure écrite et orale.

Une base de données rassemblant toutes les décisions prises en la matière par la DGD entre le 1er juin et le 31 août 2012 a été élaborée pour les besoins de la recherche. L’information collectée dans cette base de données concerne au total 2244 décisions et avis correspondants relatifs à des demandes de permission de sortie occasionnelle (pour des raisons qui exigent ponctuellement la présence du condamné en dehors de la prison), de permission de sortie périodique (destinée à préparer la réinsertion sociale du condamné) et de congé pénitentiaire.

Une distinction apparaît au niveau de la modalité et de la nature de l’avis émis. En effet, l’analyse de la base de données susmentionnée montre que les demandes de congé pénitentiaire font plus souvent l’objet d’un rejet par les attachés du Service juridique externe de la DGD que les demandes de permission de sortie. Nous avons ainsi observé que, sur 181 décisions relatives à une permission de sortie occasionnelle, 75 décisions sont « positives » (soit 41,4%), c’est-à-dire que la modalité sollicitée par le détenu est accordée par la DGD, que, sur 1164 décisions relatives à une permission de sortie périodique, 519 décisions d’entre elles sont « positives » (soit 44,6 %) et que, sur 899 décisions concernant un congé pénitentiaire, seulement 200 décisions sont « positives » (soit 22,2 %). Or, la circulaire ministérielle n° 1794 du 7 février 2007 souligne que le congé pénitentiaire fait partie du régime standard de tout condamné, c’est-à-dire qu’il ne peut être refusé si les conditions prescrites sont remplies.

5. Par ailleurs, les demandes de permission de sortie ou de congé pénitentiaire pour lesquelles le directeur a émis un avis négatif font quasi exclusivement toujours l’objet d’une décision négative. A l’exception d’une seule décision positive après un avis négatif du directeur, toutes les autres demandes pour lesquelles le directeur a remis un avis négatif (823) ont été suivies d’une décision de rejet de la DGD (c’est-à-dire que la modalité sollicitée n’a pas été octroyée). Ce « triage sélectif » s’explique, entre autres, par la masse de demandes à traiter dans les délais légaux impartis, lesquels ne permettent pas de traiter toutes les demandes de la même manière. Seules les demandes accompagnées d’un avis positif de la direction pénitentiaire locale sont soumises à une étude approfondie car, dans ce cas, à défaut de décision dans le délai prévu, la DGD est réputée avoir accordé la permission de sortie ou le congé pénitentiaire (article 10, § 4). 75 demandes de permission de sortie occasionnelle sur 124 demandes (60,5 %), 519 demandes d’une permission de sortie périodique sur 878 demandes (59,1 %) et 199 demandes de congé pénitentiaire sur 418 demandes (47,6 %) ont ainsi fait l’objet d’une décision d’octroi de la part de la DGD après un avis positif du directeur. L’avis du directeur de prison s’avère donc déterminant pour la nature de la décision dans un seul cas de figure (s’il est négatif, la décision le sera aussi).

6. Enfin, l’examen d’un échantillon de 200 avis et 200 décisions tiré de la base de données susmentionnée (lequel est composé à 80 % de décisions qui divergent de l’avis de la direction) révèle quant à lui une divergence au niveau de l’analyse respective des directeurs et des attachés au sens où nous sommes en présence de deux types différents d’analyse, mobilisant chacune ses propres arguments en référence explicite ou non à l’examen de l’une des contre-indications légales ; rares sont en effet les arguments communs à l’avis et à la décision. Autrement dit, du point de vue de leur contenu, les divergences entre les avis et les décisions portent moins sur une mobilisation divergente d’un même argument dans l’examen d’une ou plusieurs contre-indications que sur une analyse différente de la demande.

7. Si ces quelques résultats descriptifs invitent à aller plus loin, nous espérons qu’ils aient déjà pu satisfaire quelque peu à la curiosité des lecteurs.




Benjamin Mine
Luc Robert
Chercheurs au sein de la Direction opérationnelle Criminologie de l’I.N.C.C.





Note:

Cet article a été publié sur Justice en ligne le 4 juin 2013.











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