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Contestation de la filiation paternelle dans le mariage : la Cour constitutionnelle va-t-elle trop loin en écartant la « possession d’état »?

Par Nicole Gallus

Mardi 01.03.11

Un tout récent arrêt de la Cour constitutionnelle vient de passer inaperçu, alors qu’il bouleverse une des règles de base du droit belge de la filiation : l’arrêt n° 20/2011 du 3 février 2011 déclare contraire au droit à la vie privée l’article 318, § 1, du Code civil qui, au nom de la « paix des familles », empêche le mari de la mère de contester sa paternité à l’égard d’un enfant qui a, vis-à-vis de lui, la « possession d’état », ce qui signifie que ce mari a traité cet enfant comme le sien, l’a présenté comme tel aux tiers et a été considéré par tous comme le père.

Tout ceci illustre le rôle fondamental du juge sur ces questions, qui touchent pourtant au plus profond de notre construction personnelle et collective, mais cette controverse montre aussi que le droit n’est pas à l’abri des discussions qui divisent la société en cette matière comme dans d’autres.

La loi belge a toujours voulu limiter les possibilités de contestation de la paternité. Il ne s’agit de l’autoriser que dans des conditions permettant la sauvegarde de l’intérêt de l’enfant.

A cet effet, depuis 2006, le père biologique de l’enfant peut contester la paternité d’un autre homme à l’égard d’un enfant, sauf en cas de possession d’état..

La possession d’état représente la parenté vécue, l’engagement parental dans l’affectif et la responsabilité assumée par ceux qui élèvent l’enfant au titre de père ou de mère, sans nécessairement être toujours le parent génétique. Cette notion de possession d’état a toujours été fondamentale dans notre droit parce qu’elle protège le vécu affectif de l’enfant. Elle représente le pilier socio-affectif de la parenté. L’arrêt du 3 février 2011 constitue une réelle menace pour l’équilibre réalisé jusqu’à présent entre la vérité biologique et l’intérêt de l’enfant, puisé dans son vécu affectif.

Filiation et procréation sont des concepts différents et la fonction du droit est précisément de ne pas les confondre en retenant la dimension culturelle et affective de la parenté.

Le risque est grand, en mettant en cause la fonction de la possession d’état, de dénaturer la parenté en permettant à celui qui a assumé la fonction de parent pendant une longue période, de décider unilatéralement et donc au mépris de l’intérêt de l’enfant, de mettre fin à son engagement. Ce risque se présente également dans la paternité hors mariage établie par reconnaissance puisque la possession d’état y joue également le rôle de fin de non recevoir générale de la contestation d’une reconnaissance mensongère.

Certes, la Cour constitutionnelle prend soin de rappeler qu’il est pertinent de ne pas laisser prévaloir a priori la réalité biologique sur la réalité socio-affective de la paternité et de souligner que la critique qu’elle fait de l’article 318 du Code civil tient au caractère absolu de la fin de non recevoir et non à la fin elle-même.

Ce raisonnement ne nous paraît pas de nature à exclure ni même à atténuer les critiques que nous pensons devoir réserver à cet arrêt et ce, pour plusieurs motifs.

Prétendre, comme le fait la Cour, que le caractère absolu des égards dus à la possession d’état est critiquable revient à rendre indispensable une réforme de l’article 318 du Code civil puisqu’on imagine mal le juge du fond exercer un pouvoir d’appréciation, au cas par cas, sur l’application de fin de non recevoir dans l’état actuel du texte ; cela crée l’insécurité juridique.

Nous ne pensons pas qu’une telle réforme est opportune et préférons considérer que le véritable point central du débat tient à une définition précise de la possession d’état : celle-ci n’est pas une « apparence » éventuellement trompeuse , de parenté, mais un réel engagement tel que l’intérêt de l’enfant s’oppose à toute rupture du lien créé.

Autre critique : la motivation de l’arrêt est centrée exclusivement sur le droit au respect de la vie privée et familiale du mari, alors que la parenté est une relation réciproque entre un parent et un enfant et que ce dernier a aussi droit au respect de sa vie privée et familiale. Elle oublie de tenir compte de l’incidence de l’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant et de l’article 22bis de la Constitution, qui font de l’intérêt de l’enfant la considération primordiale dans toute décision qui le concerne.

Les références à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme est également critiquable, ne tenant pas suffisamment compte des particularités des affaires qui avaient été jugées par cette Cour, qui expliquaient la primauté due à la vérité biologique

L’arrêt de la Cour constitutionnelle du 3 février 2011 va à l’encontre de l’équilibrage recherché et, à ce titre, risque de porter préjudice à l’intérêt de l’enfant à ne pas être privé du lien de parenté longtemps vécu et générateur de droits dont le père légal ne devrait pas pouvoir se désengager unilatéralement.


Nicole Gallus
Avocat au Barreau de Bruxelles - VAN DIEREN, GALLUS & TOUSSAINT




Note:

Cet article a été publié sur Justice en ligne.




Source : Justice en ligne


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