Imprimer cet article


Voyageurs de transports en commun : usagers faibles au même titre que le piéton

Par Estelle Delaunoy [Thelius]

Jeudi 22.04.10

1. L’indemnisation automatique des usagers faibles

Certaines victimes d’un accident de la circulation, qui ont été blessées, ainsi que les ayants droit des victimes d’un accident mortel, bénéficient d’une indemnisation automatique. Ce sont les « usagers faibles ». Ces mots ne figurent pas dans la loi mais désignent communément toute victime d'un accident de la circulation autre que le conducteur d’un véhicule automoteur, soit les piétons, les cyclistes et les passagers d’un véhicule automoteur (voiture, cyclomoteur, bus, tram, train, métro) (cf. Note 1) .

Ce système d’indemnisation automatique des usagers faibles a été inséré sous l'article 29bis de la loi du 21 novembre 1989 sur l’assurance obligatoire de la responsabilité civile en matière de véhicules automoteurs (cf. Note 2) , par une loi du 30 mars 1994 (cf. Note 3) .

Après une première modification de cet article par une loi réparatrice du 13 avril 1995 (cf. Note 4) (étendant le champ d'application aux passagers des véhicules automoteurs), le législateur a procédé à une nouvelle modification des dispositions de l’article 29bis par une loi du 19 janvier 2001 (cf. Note 5) . Les modifications concernent principalement :

-l’extension du système d’indemnisation aux accidents dans lesquels sont impliqués des véhicules sur rails, comme par exemple les trains, les trams…
-la prise en charge des dégâts causés aux vêtements de la victime
-la prise en charge du préjudice que le conducteur subit par répercussion
-le remplacement du concept de faute inexcusable de la victime par celui de l’acte intentionnel.

Depuis cette dernière modification, l’usager d’un tram ou d’un train, blessé lors d’un accident impliquant ce tram ou ce train, bénéficie donc de l’indemnisation automatique. Il peut en effet obtenir une réparation intégrale de son dommage auprès du propriétaire du véhicule sur rails.

L’indemnisation intervient indépendamment des enquêtes qui sont ouvertes et des poursuites qui sont menées afin de déterminer les responsabilités. (cf. Note 6)

Les récentes victimes de la catastrophe ferroviaire de Buizingen peuvent donc dès à présent, sans attendre la fin de l’instruction ou l’issue du procès pénal futur, s’adresser à la SNCB pour obtenir réparation de leur dommage.


2. Les conditions d’indemnisation

Le législateur a instauré un système " d’indemnisation automatique ". L’assureur RC d’un véhicule automoteur qui est impliqué dans un accident de la circulation est tenu d’indemniser les victimes de cet accident, à l'exception du conducteur de chaque véhicule automoteur impliqué. Le propriétaire d’un véhicule sur rails (la SNCB, la STIB, de LIJN, la TEC) est tenu des mêmes obligations que l’assureur RC d’un véhicule automoteur.

Contrairement au système ‘classique’ de responsabilité, reposant sur la faute, la victime ne doit pas démontrer une faute dans le chef du conducteur du véhicule impliqué. L’indemnisation se fait donc indépendamment de l’existence d’une faute. Même la faute de la victime n’est pas un obstacle à la mise en œuvre de l’indemnisation automatique, sauf lorsque la faute est intentionnelle, pour autant, dans ce dernier cas, que la victime ait plus de 14 ans.

Le mécanisme d'indemnisation automatique sera dès lors mis en œuvre :
- en cas d'accident de la circulation
- impliquant un ou plusieurs véhicules automoteurs (voiture, cyclomoteur, bus, tram, train, métro…) (cf. Note 7)
- ayant provoqué un dommage résultant de lésions corporelles ou du décès chez une personne autre que le conducteur d’un de ces véhicules.


3. La notion d’accident de la circulation

Bien que ce soit une condition d’indemnisation automatique, cette notion n’est pas définie par la loi.

La loi du 21 novembre 1989 relative à l'assurance obligatoire de la responsabilité en matière de véhicules automoteurs précise par contre que pour qu’il y ait un accident au sens de cette loi, celui-ci doit être survenu dans la circulation sur la voie publique, sur un terrain ouvert au public ou sur les terrains non publics mais ouverts à certaines personnes ayant le droit de les fréquenter. (art.2§1 de ladite loi)

La Cour de cassation en déduit qu’un accident de la circulation au sens de l'article 29bis de la loi du 21 novembre 1989 est l'accident qui survient sur la voie publique et sur les terrains, fût-ce non publics, mais accessibles à un certain nombre de personnes ayant le droit de les fréquenter. (cf. Note 8)

En ce qui concerne les notions d’accident et de circulation, ce sont la jurisprudence et la doctrine qui en ont donné les caractéristiques essentielles.

L'accident se définit généralement comme un événement dommageable, soudain, imprévisible et qui intervient en dehors de toute volonté humaine. C'est un événement fortuit.

Le tribunal apprécie en fait, si au moment de l'accident le véhicule participait d'une façon ou d'une autre à la circulation.

Ainsi selon la jurisprudence :

« La notion d'accident de la circulation comprend tout accident survenu sur la voie publique, causé par le non-respect des règles de circulation ou par l'état de la voirie, du moyen de transport ou de l'usager circulant sur la voie publique. Il doit s'agir d'un dommage résultant d'un accident de la circulation, et non d'un dommage résultant uniquement de l'usage d'un véhicule. » (cf. Note 9)

La doctrine s’accorde pour dire que la notion d’accident de la circulation suppose qu’au moment de l’accident, au moins un des véhicules impliqués participe ou se rattache d’une manière ou d’une autre à la circulation comme instrument de déplacement. (cf. Note 10)

La Cour de cassation confirme ce principe :

« L’assurance obligatoire de la responsabilité civile en matière de véhicules automoteurs couvre les dommages causés par la circulation du véhicule assuré sur la voie publique et sur les terrains qui y sont assimilés ; il est requis, à cet égard, qu’il existe une relation de cause à effet entre le dommage et l’utilisation, quelle qu’elle soit, du véhicule dans la circulation, soit par la place qu’il y occupe, soit par son état ou encore par une manœuvre quelconque, et, plus précisément, que le dommage ne soit pas causé exclusivement par une utilisation du véhicule comme machine-outil. » (cf. Note 11)


4. La notion d’implication d’un véhicule automoteur

L'accident doit, selon les termes de l’article 29bis de la loi du 21 novembre 1989, impliquer un véhicule automoteur.

Une fois de plus, le législateur a omis de définir ce qu'il entend par « implication », laissant aux Cours et Tribunaux le soin de préciser les contours de cette notion.

Par référence à la législation française, dont la loi belge est largement inspirée, la Cour de cassation nous enseigne qu’un véhicule automoteur est impliqué dans un accident de la circulation lorsqu'il a joué un rôle quelconque dans cet accident. Il n'est pas requis à cet égard qu'il existe un lien de causalité entre la présence du véhicule automoteur et la survenance de l'accident de la circulation ni a fortiori que son conducteur ait commis une faute en relation causale avec l'accident. (cf. Note 12)

La reconnaissance de l'implication d'un véhicule rend l'assureur de ce véhicule débiteur de l'indemnisation vis-à-vis de la victime - usager faible.


5. Quels sont les dommages pris en compte par l’indemnisation automatique ?

Tous les dommages découlant du préjudice corporel ou d’un décès, ainsi que les dégâts aux vêtements et aux prothèses fonctionnelles (telles que des lunettes ou un appareil auditif) seront réparés automatiquement.

Les dommages matériels, tels que les dégâts au vélo, ne sont par contre pas pris en compte.


6. Sur qui repose l’obligation d’indemniser ?

C'est l’assureur qui couvre la responsabilité relative au véhicule automoteur ou le propriétaire du véhicule sur rails impliqué dans l'accident qui devra indemniser automatiquement la victime d’un dommage corporel ou les ayants droit d’une victime décédée.

Si l’accident implique plusieurs véhicules motorisés et que, par conséquent, plusieurs entreprises d'assurances et/ou un propriétaire de véhicules sur rails doivent intervenir, la victime peut s’adresser au choix à une de ces entreprises ou au propriétaire, qui, vis-à-vis d’elle, est tenue à une indemnisation intégrale.




Estelle Delaunoy
Avocat - Associée chez Thelius




Notes:


(1) Seuls sont concernés les véhicules destinés à circuler sur le sol : article 1 de la loi du 21 novembre 1989 relative à l'assurance obligatoire de la responsabilité en matière de véhicules automoteurs.

(2) M.B. 8 décembre 1989.

(3) M.B. 31 mars 1994.

(4) M.B. 27 juin 1995.

(5) M.B. 21 février 2001.

(6) La Cour de cassation a souligné que l’obligation d’indemnisation instituée par l'art. 29bis de la loi du 21 novembre 1989 relative à l'assurance obligatoire de la responsabilité en matière de véhicules automoteurs « existe en l'absence de preuve d'une responsabilité quelconque de l'assuré et n'est pas fondée sur une infraction commise par celui-ci » et que « le juge répressif ne peut allouer des dommages et intérêts à la partie civile que dans la mesure où l'action exercée par celle-ci a pour objet la réparation du dommage causé par une infraction. » Le juge pénal est donc sans compétence pour connaître de l’action des victimes et ayants droits fondée sur l’article 29bis de la loi du 21 novembre 1989. Cass. 21 juin 2000, www.cass.be et Cass. 12 décembre 2001, Pas. 2001, I, 2106.

(7) Notons que la notion de véhicule automoteur au sens de l'article 29bis est plus large que la définition qu'en donne l'article 1er de la loi du 21 novembre 1989 dans laquelle il est inséré (Cass. RG C.07.0130.N, 3 octobre 2008, www.cass.be (23 octobre 2008)).
En effet, l'article 1er de la loi du 21 novembre 1989 sur l'assurance obligatoire de la responsabilité en matière de véhicules automoteurs définit ceux-ci comme « destinés à circuler sur le sol et qui peuvent être actionnés par une force mécanique, sans être liés à une voie ferrée ».
Sous l'empire de l'ancienne législation, une victime faible qui était blessée, par un tram ou un train, dans un accident de la circulation ne bénéficiait pas du régime d'indemnisation automatique.
L’article 29bis a toutefois été modifié en ce sens que désormais, « en cas d'accident de la circulation impliquant un véhicule automoteur lié à une voie ferrée, l'obligation de réparer les dommages prévus à l'aliéna précédent incombe au propriétaire de ce véhicule » (nouvel alinéa 2 ).
Il faut voir dans cette modification législative l'influence de la Cour d'Arbitrage qui, par arrêt du 15 juillet 1998, avait considéré qu'il existait une différence de traitement parmi les victimes d'accidents de la circulation suivant que le véhicule automoteur impliqué dans l'accident était lié à une voie ferrée ou ne l'était pas.

(8) Cass. RG C.07.0306.N, 15 mai 2008, www.cass.be (2 juin 2008), Pas. 2008, liv. 5, 1188.

(9) Pol. Bruxelles 26 octobre 1998, Journ. proc. 1998, liv. 359, 27, note P., TOUSSAINT ; voy. également Anvers 14 septembre 1994, Turnh. Rechtsl. 1994-95, 92 ; Gand 22 janvier 2003, R.G.A.R. 2003, liv. 10, n° 13.789 ; Pol. Bruges 30 mai 2002, T.A.V.W. 2003, afl. 3, 248.

(10) P. JOURDAIN, « La notion d’accident de la circulation ou la délimitation du champ d’application de la loi /005, p. 10. Badinter », Rev. trim. Dr. civ., avr-juin 1987, p. 329 ; Th. PAPART, « Champ d’application de l’article 29 bis : véhicule automoteur, accident de la circulation, implication : essai de définition », in L’indemnisation des usagers faibles de la route, Larcier, Bruxelles, 2002, p. 93 ; D. PHILIPPE, « Les conditions d’application de la nouvelle loi. L’implication du véhicule automoteur », in L’indemnisation automatique de certaines victimes d’accidents de la circulation, Bruxelles, Academia-Bruylant, 1995 p. 54.

(11) Cass. 24 avril 1979, Pas. 1979, I, p. 994-999 ; Voy. également Cass. 12 février 1980, Bull. ass. 1981, 733.

(12) Cass. RG P.07.1891.F, 7 janvier 2008, www.cass.be (5 mai 2009) ; Cass. RG C.04.0519.N, 9 janvier 2006, www.cass.be (13 mars 2006), Pas. 2006, liv. 1, 87.
Les travaux préparatoires de la loi française, dite loi Badinter exposent en effet qu’il « suffit que le véhicule (terrestre à moteur) soit intervenu à quelque titre que ce soit ou à quelque moment que ce soit dans la réalisation de l'accident, et l'on ne devrait pas discuter du rôle causal ou non, actif ou passif, du véhicule pour déterminer le champ d'application du texte.» (Travaux préparatoires loi Badinter, J.O. Sénat, 11 avril 1985, p. 193).


Source : DroitBelge.Net - Actualités - 22 avril 2010


Imprimer cet article (Format A4)

* *
*


Bookmark and Share