Imprimer cet article


Consolidation du dispositif prévention anti-blanchiment de capitaux et contre le financement du terrorisme

Par E. Boigelot & A. Blaffart [Dal & Veldekens]

Lundi 15.03.10

La loi du 18 janvier 2010 modifiant la loi du 11 janvier 1993 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme, et le Code des sociétés (MB 26 janvier 2010) renforce, une fois de plus, le dispositif prévenant le blanchiment et le financement du terrorisme instauré par la loi du 11 janvier 1993 – cette loi avait par ailleurs déjà fait l’objet d’importantes modifications suite à la loi du 12 janvier 2004.

Si elle n’entraine pas en soi de modifications substantielles pour le secteur financier, elle constitue toutefois une révolution certaine pour les professions non financières.

Cette loi du 18 janvier a principalement deux objectifs : d’une part, la transposition en droit belge de la troisième directive anti blanchiment 2005/60/CE et de la directive d’exécution 2006/70/CE de la Commission du 1er août 2006, et d’autre part, la mise en conformité du système aux recommandations formulées par le GAFI et l’efficacité du dispositif belge de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.


I. Extension du champ d’application rationae materiae

1.
Dans la formulation utilisée pour désigner les diverses catégories de personnes ou d’organismes visés, le nouvel article 2, § 1 de la loi de 1993 – dans sa version consolidée – se réfère à la définition légale des activités exercées plutôt qu’aux critères (i) de l’inscription sur les listes officielles d’établissements agréés, inscrits ou enregistrés ou (ii) de l’obtention effective d’un agrément, d’une inscription ou d’un enregistrement.

Par ailleurs, le champ d’application de la loi est étendu aux organismes de placement collectif qui commercialisent directement leurs titres auprès du public, ainsi qu’aux organismes de liquidation qui exercent une activité de teneur de comptes agréé pour la détention de titres dématérialisés.

2.
L’article 2 § 2 prévoit aussi que les personnes physiques ou morales qui n’exercent une activité financière qu’à titre occasionnel ou à une échelle très limitée, peuvent être exemptées par le Roi, dans les conditions qu’il détermine, de l’application des dispositions de la loi.


II. Nouveautés concernant le champ d’application rationae materiae

3.
Auparavant, la loi définissait le financement du terrorisme par référence, d’une part, à l’article 2, § 2, b), de la décision-cadre du Conseil de l'Union européenne du 13 juin 2002 relative à la lutte contre le terrorisme et, d’autre part, à l’article 2 de la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, faite à New York le 9 décembre 1999, ce qui en rendait la lecture, voire la compréhension, peu aisée.

Le financement du terrorisme est dorénavant expressément défini comme « le fait de fournir ou de réunir des fonds, directement ou indirectement et par quelque moyen que ce soit, dans l’intention de les voir utilisés ou en sachant qu’ils seront utilisés, en tout ou en partie, par un terroriste ou une organisation terroriste ou pour la commission d’un ou plusieurs actes terroristes » (article 5 § 2).


III. Vigilance à l’égard des clients et des bénéficiaires effectifs

4.
Les organismes et les personnes visés doivent identifier leurs clients et vérifier leur identité, au moyen d'un document probant lorsque : 1° le client souhaite nouer des relations d'affaires qui feront de lui un client habituel ; 2° le client souhaite réaliser, en dehors des relations d'affaires visées au 1°, une opération dont le montant atteint ou excède 10 000 euros, ou qui consiste en un virement de fonds ; 3° il y a soupçon de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme ; 4° il existe des doutes quant à la véracité ou à l'exactitude des données d'identification au sujet d'un client déjà identifié (article 7 § 1er).
Pour les personnes physiques, l'identification et la vérification de l’identité portent sur le nom, le prénom, le lieu concernant l’adresse des personnes identifiées. Pour les personnes morales, les trusts, les fiducies et les constructions juridiques similaires, l’identification et la vérification de l’identité portent sur la dénomination sociale, le siège social, les administrateurs et la connaissance des dispositions régissant le pouvoir d’engager la personne(article 7 § 1er).

5.
En ce qui concerne l’identification des mandataires du client, elle porte sur les mêmes exigences que celles qui concernent le client lui-même. Ce devoir de vigilance doit être accompli au plus tard lorsque ce mandataire entend poser le premier acte au nom et pour le compte du client (article 7 § 2).

6.
Le cas échéant, les organismes et les personnes visés doivent identifier le ou les bénéficiaires effectifs du client. La loi, définit ce qu’il faut entendre par bénéficiaires effectifs, à savoir : « la ou les personnes physiques pour le compte ou au bénéfice de laquelle ou desquelles une transaction est exécutée ou une relation d’affaires nouée ou encore la ou les personnes physiques qui possèdent ou contrôlent en dernier ressort le client » (article 8).

Une modification importante apportée par la directive consiste à introduire un seuil à partir duquel une personne physique est présumée exercer un pouvoir de contrôle sur une société et, partant, constituer le bénéficiaire effectif : tel est le cas si cette personne physique possède ou contrôle, directement ou indirectement, et en dernier ressort, plus de 25% des actions ou des droits de vote d’une société, exception faite des sociétés cotées sur les marchés réglementés soumis à des obligations de publicité conformes à la législation communautaire, ou qui exerce autrement le pouvoir de contrôle sur la direction de la société.

Lorsque le client est une personne morale, autre qu’une société, telle une fondation, une association sans but lucratif, un trust, une fiducie ou une construction juridique similaire, qui gère ou distribue des fonds, un seuil de 25% est également introduit et vise les personnes physiques bénéficiaires (déjà désignées ou, à défaut, le groupe in abstracto dans l’intérêt duquel la construction juridique a été principalement constituée ou a principalement produit ses effets) des biens de la personne morale ou de la construction juridique, ou les personnes physiques qui exercent un contrôle sur les biens de la personne morale ou de la construction juridique (article 8).

Par ailleurs, la loi du 18 janvier 2010 prévoit que la personne physique ou morale qui, au moment de l’entrée en vigueur de la loi, possède ou contrôle directement ou indirectement plus de 25% des actions ou des droits de vote le notifie à la société concernée au plus tard dans un délai de 6 mois à compter de cette date.

7.
Deux mesures sont introduites afin de simplifier l’identification du bénéficiaire effectif du client. La première consiste à imposer aux sociétés clientes de fournir aux personnes et organismes avec lesquels elles entrent en relation d’affaires ou réalisent une opération occasionnelle les informations requises concernant leurs actionnaires qui sont leurs bénéficiaires effectifs (article 8 §3). La seconde consiste à introduire dans le Code des sociétés une disposition étendant l’obligation de déclaration des participations importantes, à partir du seuil de 25 %, aux sociétés non cotées ayant émis des actions au porteur ou dématérialisées et ce, afin que les sociétés disposent elles-mêmes des informations nécessaires pour remplir leur obligation de transmission d’informations aux personnes et organismes assujettis (article 515 bis code des sociétés). C’est là un renforcement important du contrôle de l’actionnariat.

8.
Lorsque les organismes et les personnes visés ne peuvent accomplir leurs devoirs de vigilance – à l’égard du client, de son mandataire ou de son bénéficiaire effectif –, ils ne peuvent ni nouer ou maintenir une relation d'affaires, ni effectuer une opération pour le client. Dans ce cas, ils déterminent s'il y a lieu d'en informer la Cellule de traitement des informations financières (articles 7 § 4 et 8 § 4).Concernant les avocats, s’ils sont également soumis à l’obligation d’identifier leurs clients – le mandataire de celui-ci ou son bénéficiaire effectif – ils ne sont pas tenus de mettre fin à leur relation d’affaires lorsqu’ils évaluent la situation juridique de leur client ou lorsqu’ils exercent leur mission de défense ou de représentation de ce client dans une procédure judiciaire ou dans le cadre d’une procédure judiciaire, y compris des conseils dans la perspective d’une telle procédure et en particulier la manière d’engager ou d’éviter une procédure (articles 7 § 5 et 8 § 5).

9.
Enfin, la loi prévoit des obligations de vigilance simplifiées pour certains clients ou bénéficiaires effectifs (article 11 § 1er), et énumère les situations dans lesquelles un allègement des devoirs de vigilance peut être admis à l’égard du client en raison des risques réduits attachés à certains produits ou transactions (article 11 § 2 et 3).La loi nouvelle instaure également une obligation générale d’évaluer le risque et d’appliquer des mesures de vigilance renforcées à l'égard de la clientèle, dans les situations qui, de par leur nature, peuvent présenter un risque élevé de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme (article 12).


IV. Vigilance à l’égard des opérations et des relations d’affaires

10.
Les organismes et les personnes visés doivent exercer une vigilance constante à l'égard de la relation d'affaires et procéder à un examen attentif des opérations effectuées et, lorsque cela est nécessaire, de l'origine des fonds, et ce, afin de s'assurer que celles-ci sont cohérentes avec la connaissance qu'ils ont de leur client, de ses activités professionnelles et de son profil de risque. Ils sont par ailleurs tenus d’examiner avec une attention particulière, toute opération ou tout fait qu'ils considèrent particulièrement susceptible d’être lié au blanchiment de capitaux ou au financement du terrorisme (article 14 § 1er).

L’obligation d’établir un rapport écrit suite à l’examen d’une opération ou d’un fait particulièrement susceptible d’être lié au blanchiment de capitaux ou au financement du terrorisme est étendue aux professions non financières (article 14 § 2).


V. Organisation interne des organismes et des personnes visés aux articles 2, § 1er, 3 et 4

11.
Les organismes et les personnes visés aux articles 2, § 1er, 3 et 4 sont tenus de mettre en œuvre des mesures et des procédures de contrôle interne adéquates en vue d’assurer le respect des dispositions de la présente loi ainsi que des procédures de communication et de centralisation des informations afin de prévenir, de détecter et d’empêcher la réalisation d’opérations liées au blanchiment de capitaux et au financement du terrorisme.

Cette nouvelle disposition étend aux professions non financières l’obligation – qui existait déjà auparavant pour les institutions financières – de mettre en place des procédures de contrôle interne. Enfin, soulignons aussi que l’article 18 étend l’obligation de désigner un responsable blanchiment pour les professions et organismes non financiers.

Lorsqu’un responsable anti-blanchiment a été désigné, c’est lui qui signalera les transactions suspectes à la CTIF. Si aucun responsable anti-blanchiment n’a été nommé, l’obligation de déclaration incombe au titulaire de la profession lui-même.


VI. Paiements en espèces

12.
Lorsque le prix de la vente de biens par un commerçant atteint 15.000 € – ou plus –, ce prix ne peut plus être acquitté en espèces, et ce quand bien même la vente se fait sous la forme d’opérations fractionnaires mais qui apparaissent toutefois liées (article 21).

13.
Le texte nouveau se veut plus précis et plus restrictif que ce que prévoyait, auparavant, l’article 10ter, le seuil retenu n’étant plus applicable à la valeur d’un seul bien, outre l’apparition de la notion d’opérations liées.


VII. Obligation de déclaration à la CTIF et secret professionnel

14.
Lorsque les organismes ou les personnes visés savent ou soupçonnent qu’une opération à exécuter est liée au blanchiment de capitaux ou au financement du terrorisme, ils en informent par écrit ou par voie
électronique la Cellule de traitement des informations financières, avant d’exécuter l’opération, en indiquant, le cas échéant, le délai dans lequel celle-ci doit être exécutée (article 23).

Il existe cependant des tempéraments importants, visant à prendre en compte le secret professionnel non seulement des avocats, mais aussi des notaires, des reviseurs d’entreprises, des experts-comptables et des conseils fiscaux (article 26).

Les avocats connaissaient déjà un régime distinct, sous l’empire de l’ancien texte : ils ne doivent notifier les transactions douteuses qu’à leur bâtonnier, qui assure le cas échéant le suivi auprès de la CTIF. Ils sont en outre dispensés de l’obligation de déclaration si ces informations ont été reçues d'un de leurs clients ou obtenues sur un de leurs clients lors de l'évaluation de la situation juridique de ce client ou dans l'exercice de leur mission de défense ou de représentation de ce client dans une procédure judiciaire ou concernant une telle procédure, y compris dans le cadre de conseils relatifs à la manière d'engager ou d'éviter une procédure, que ces informations soient reçues ou obtenues avant, pendant ou après cette procédure.

15.
Le régime dérogatoire applicable aux avocats est étendu aux autres professions non-financières, soumises à un secret professionnel sanctionné pénalement – sont ainsi visés les notaires, réviseurs d’entreprises, experts-comptables externes et conseils fiscaux –. Ces professions sont soustraites à l’obligation de déclaration lorsque les informations suspectes ont été reçues d’un de leurs clients ou obtenues sur un de leurs clients dans le cadre de leur activité professionnelle, lors de l’évaluation de la situation juridique de ce dernier.

Toutefois, la loi précise dorénavant que le secret professionnel ne peut pas être invoqué par ces professionnels lorsqu’ils prennent part eux-mêmes à des activités de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme, lorsqu’ils fournissent un conseil juridique à des fins de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme, ou encore lorsqu’ils savent que leur client a sollicité un conseil juridique à des fins de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme.


VIII. Protection des déclarants

16.
L’article 30 § 4 prévoit que les autorités compétentes prennent toute mesure appropriée afin de protéger de toute menace ou acte hostile les employés des établissements ou des personnes soumis à la présente loi qui font état à l’intérieur de l’entreprise ou à la Cellule de traitement des informations financières, d’un soupçon de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme.

Le rapport transmis par la CTIF aux autorités judiciaires ne contient jamais la déclaration de soupçon aux fins d’assurer l’anonymat du déclarant (article 36).


IX. Dérogation à l’interdiction du « Tipping off »

17.
Le principe est que la loi interdit de porter à la connaissance du client ou de tiers, le fait que des informations ont été transmises à la CTIF, ou qu’une information du chef de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme est en cours ou pourrait être ouverte (article 30 § 1er).

La loi introduit toutefois une dérogation à ce principe, en ce qu’elle permet la divulgation d’informations entre notaires, experts-comptables, conseils fiscaux, réviseurs d’entreprises et avocats qui appartiennent à une même société, ainsi qu’entre ces personnes et des personnes exerçant les mêmes professions lorsqu’elles interviennent en relation avec un même client et dans le cadre d’une même transaction (article 30 § 2 et 3).


X. Contrôle

18.
La loi précise enfin quels sont les organes compétents pour contrôler le respect de la loi anti-
blanchiment au sein de chaque profession (articles 38 et 39).


XI. Entrée en vigueur

19.
La présente loi est entrée en vigueur le 5 février 2010.



Eric Boigelot et Aurélie Blaffart
DAL & VELDEKENS




Source : DroitBelge.Net - Actualités


Imprimer cet article (Format A4)

* *
*


Bookmark and Share