Le paquet TVA et les avocats - Nouvelles formalités et renforcement des contrôles : mais pourquoi donc ?Par Christian Amand [Loyens & Loeff]Vendredi 18.12.09 |
A partir du 1er janvier 2010, les avocats établis en Belgique auront l’obligation de s’identifier à la TVA dès qu’ils fourniront des services à des confrères ou à des clients eux-mêmes identifiés à la TVA et établis dans d’autres Etats membres de l’Union Européenne. Sur les notes d’honoraires qu’ils leurs adresseront, ils devront mentionner leur numéro d’identification à la TVA ainsi que celui de leurs confrères ou clients étrangers. Ils devront communiquer au fisc, chaque trimestre, le montant total de ces honoraires, ventilés par client ou confrère établi et identifié à la TVA dans un autre Etat Membre de l’UE. Ces formalités nouvelles s’ajoutent à l’obligation existante d’acquitter la TVA belge sur certains services et biens reçus de l’étranger. Ceci ne devrait entraîner aucun accroissement de la charge fiscale, sauf, dans certains cas, pour l’arbitrage.
Pour l’application de la TVA en Belgique, la situation des avocats inscrits au tableau de l’Ordre d’un des barreaux belges ou d’un des barreaux de l’Union Européenne (les « avocats communautaires ») (Note 1) se distingue de celle de la plupart des entreprises en ce que leurs services sont exemptés de la taxe en Belgique (Note 2). Cette exemption évite aux avocats non seulement de percevoir la TVA, mais également de déposer des déclarations périodiques à la TVA, ainsi qu’un listing annuel des clients assujettis en Belgique.
Il s’agit d’une dérogation à la sixième directive TVA (Note 3) qui avait été obtenue à titre transitoire par la Belgique. Celle-ci, en contrepartie, verse une compensation pour les pertes de ressources financières que cette dérogation cause aux institutions européennes (Note 4). En effet, contrairement à la Belgique, les autres Etats membres de l’UE appliquent la TVA sur les prestations des avocats (Note 5).
L’exemption ne signifie pas que les avocats sont déchargés de toute obligation en matière de TVA, comme c’est le cas pour une personne privée (Note 6). Comme les autres entreprises, les avocats exercent une activité économique. Cette situation en fait des assujettis à la TVA et les soumet, à ce titre, au respect d’un certain nombre d’obligations (Note 7).
Toutefois, en pratique, beaucoup d’avocats ne sont jamais confrontés à de telles obligations et ne le seront probablement jamais, dans la mesure où leur activité ne les conduit pas à acquérir des biens et services à l’étranger ou d’y fournir des services (Note 8).
Les formalités avant 2010
Jusqu’en 1992, lors des rares cas d’acquisitions à l’étranger de certains services qui, conformément aux règles de localisation, étaient taxables en Belgique, il convenait d’apposer des timbres fiscaux sur les factures. Les marchandises acquises à l’étranger étaient soumises à la TVA lors de leur importation en Belgique.
Depuis le 1er janvier 1993, les avocats communautaires établis en Belgique sont tenus à la demande d’une identification à la TVA (Note 9), ainsi qu’au dépôt de « déclarations spéciales à la TVA » (Note 10) afin de déclarer et payer la TVA au fisc belge dans les cas suivants :
- lorsqu’ils reçoivent depuis l’étranger (même hors Union Européenne) des services réputés se situer en Belgique et qui y sont taxables (et non exemptés). Cela vise en pratique tous les services, à l’exception des services financiers (exemptés) ou des services fournis par des avocats inscrits au tableau de l’Ordre d’un des barreaux de l’Union Européenne et établis hors de la Belgique. Contrairement aux marchandises acquises dans d’autres Etats membres, il n’existe pas de seuil minimal d’identification à la TVA en cas d’acquisition de services.
Exemple
Lorsqu’un avocat établi en Belgique fait appel aux services d’un avocat non communautaire (peu importe le pays d’établissement hors de Belgique), d’un auditeur ou d’un développeur de système informatique établis hors de Belgique, le preneur est redevable de la TVA en Belgique (Note 11).
- lorsqu’ils acquièrent des biens depuis un autre Etat membre pour un montant annuel dépassant 11 200 EUR, ou dans l’hypothèse où ils ont communiqué leur numéro de TVA belge, même si le montant total de leurs acquisitions intra-communautaires ne dépasse pas 11 200 EUR (Note 12). En effet, à partir du moment où un avocat communique à son fournisseur étranger un numéro de TVA avec le préfixe BE, cet avocat est redevable de la TVA belge, même si le montant total de ses acquisitions de biens ne s’élevait pas à plus de 11 200 EUR sur base annuelle (Note 13).
Applicables depuis le 1er janvier 1993, ces formalités seront maintenues, à quelques détails près, et étendues à partir de 2010.
Les nouvelles formalités à partir de 2010
Concernant les obligations administratives des avocats, une importante modification entrera en vigueur à partir du 1er janvier 2010 (Note 14). Dès qu’un avocat communautaire, établi en Belgique, fournira des services à des confrères ou à des clients établis dans un autre Etat membre de l’Union Européenne, il aura l’obligation de s’identifier à la TVA (Note 15). Ce numéro comportera un préfixe BE. Toutefois, le fait de disposer d’un tel numéro pour l’acquisition de services à l’étranger n’implique pas l’obligation de l’utiliser pour l’acquisition de biens, aussi longtemps que le seuil des achats de biens ne dépasse pas 11 200 euros par an (Note 16).
Les avocats communautaires devront introduire un formulaire de commencement d’activité (Note 17) et le communiquer au contrôle TVA local (Note 18). Ce dernier activera alors le numéro d’entreprise, lequel a normalement déjà été attribué à tout avocat, à la société par laquelle il exerce sa profession ou à son association.
Les notes d’honoraires adressées à des confrères ou à des clients établis dans d’autres Etats membres de l’Union Européenne devront porter mention du numéro d’identification à la TVA (précédé des lettres BE) de l’avocat belge ou de son association, ainsi que celui de son client (également précédé des lettres indiquant l’Etat Membre en question, tel que par exemple LU pour le grand-duché de Luxembourg, DE pour l’Allemagne,…). Ceci suppose que le client ait préalablement communiqué le numéro de TVA qui lui a été attribué par les autorités fiscales de son Etat membre (Note 19).
Bien que ceci ne soit pas prévu par le Code (Note 20), ces notes d’honoraires devraient logiquement mentionner un identifiant unique ou un numéro séquentiel, une description sommaire des services ainsi que la cause de l’exemption de TVA. En effet, le preneur de service établi dans un autre Etat membre doit détenir une facture valable, comportant les mentions minimales détaillées à l’article 226 de la directive TVA (Note 21), afin de pouvoir déduire la taxe (Note 22). Et ces notes d’honoraires devraient être reprises dans des facturiers d’entrée et de sortie comparables à ceux qui sont utilisés par les assujettis ordinaires.
Le total de ces honoraires, ventilés par client ou confrère établi et identifié à la TVA dans un autre Etat membre de l’UE, devra être communiqué au fisc (art.53 sexies, §1er, 3° nouveau CTVA). Un arrêté royal prévoira normalement que cette communication sera trimestrielle (et non mensuelle) (Note 23), et qu’elle aura donc lieu au plus tard le 20 du mois qui suit l’expiration de chaque trimestre (les 20 avril, 20 juillet, 20 octobre et 20 janvier), comme le prévoit l’article 53 octies, §1er CTVA. Jusqu’à présent, un tel listing existait uniquement pour les livraisons intra-communautaires de marchandises. Une des principales nouveautés du régime introduit à partir du 1er janvier 2010 est que le listing sera étendu aux prestations de services.
Quant au livre journal imposé par l'arrêté ministériel du 17 décembre 1998, celui-ci ne subit pas de modification (Note 24).
Les confrères, établis dans d’autres Etats membres de l’UE et inscrits au tableau de l’Ordre dans un autre Etat membre de l’UE, seront soumis à des obligations comparables mais pas identiques. Une seule réserve toutefois : ils n’auront pas l’obligation de déclarer des services qui sont exemptés dans un autre Etat membre, comme c’est le cas pour les services des avocats en Belgique.
Le non-respect de ces formalités sera passible d’amendes :
- 250 Eur par infraction, en cas de non-communication du numéro d’identification à un client ou à un fournisseur (Note 25)
- 10% de la taxe due avec un minimum de 25 Eur et un maximum de 500 Eur, en cas de non-dépôt d’une déclaration de commencement d’activité (Note 26)
- 2500 Eur, en cas de non-dépôt d’une déclaration d’opérations intra-communautaires (Note 27).
Des changements découlant de la mise en œuvre du VAT package
Ces nouvelles obligations découlent de la transposition en droit belge (Note 28) de ce que l’on appelle le « VAT package » ou paquet TVA, qui comprend trois directives et deux règlements :
1° La directive 2008/8/CE du 12 février 2008 concernant le lieu des prestations de services
Le nombre de critères permettant de déterminer le pays compétent pour l’application de la TVA dépasse la trentaine (Note 29). Ceci a créé des cas de double imposition, de non imposition, ainsi que des charges financières et administratives. Le nouveau régime simplifie les règles de localisation et prévoit, comme nouvelle règle générale (Note 30), que la TVA sera due dans le pays du preneur lorsque ce dernier est identifié à la TVA dans l’UE, peu importe qu’il soit ou non assujetti pour tout ou partie de ses activités (Note 31).
Les principaux changements de localisation concernent les services de management, les prestations des arbitres, celles des exécuteurs testamentaires, la location de voitures et de bateaux de plaisance, les travaux sur les biens meubles, les services de transport ou encore l’accès et l’organisation de foires et d’expositions. Il ne s’agit bien entendu ici que d’exemples (Note 32).
2° La directive 2008/9/CE du 12 février 2008 concernant les modalités de remboursement de la TVA aux assujettis étrangers
Lorsque la TVA était due à l’étranger, les administrations fiscales de certains Etats membres se montraient à ce point tatillonnes, concernant le remboursement de la TVA à des assujettis étrangers, que nombre d’entreprises n’en obtenaient jamais le remboursement ou en étaient dissuadées du fait de ces difficultés administratives. Si l’Italie était célèbre, le grand-duché de Luxembourg, l’Allemagne ou encore la France n’avaient guère meilleure réputation.
Dorénavant, la demande de remboursement de la TVA étrangère sera introduite par l’assujetti non établi dans l’Etat membre du remboursement, de manière électronique, auprès de son administration nationale (Note 33).
Le nouveau régime intègre la jurisprudence de la Cour de Justice en la matière, en instaurant un cumul des limitations des droits à déduction dans le pays du prestataire et dans celui du preneur (Note 34). C’est ainsi qu’un avocat communautaire, établi à l’étranger, ne pourra jamais demander le remboursement de la TVA belge (Note 35). En revanche, l’avocat français pourra par exemple demander le remboursement d’une TVA luxembourgeoise et inversement.
3°La directive 2008/117/CE du 16 décembre 2008 (mesures anti-fraude) ; le règlement 143/2008 du 12 février 2008 (coopération administrative et échange d’information) ; le règlement 37/2009 du 16 décembre 2008 (coopération administrative afin de lutter contre la fraude fiscale liée aux opérations intracommunautaires)
Pour beaucoup d’entreprises, la mise en œuvre des nouvelles règles implique un aménagement des formalités existantes. En Belgique, cela signifie deux grilles supplémentaires dans les déclarations TVA et une nouvelle répartition de la déclaration des opérations intra-communautaires, ainsi que la mention des services dans les listings intra-communautaires, lesquels devront être déposés mensuellement pour la plupart des entreprises (Note 36).
En pratique, il s’agit globalement d’une simplification, même si les textes européens et belges sont d’une redoutable complexité. Ils nécessiteront l’adoption d’arrêtés royaux d’application, qui ne seront connus qu’au début 2010, et ils devraient également faire l’objet d’un règlement européen interprétatif de la directive TVA afin d’assurer une application plus ou moins uniforme des textes par les Etats membres.
Pas d’obligation des confrères étrangers de communiquer à leur fisc les services rendus à des avocats belges
La directive TVA prévoit explicitement que le fournisseur ne doit pas communiquer le chiffre d’affaires si l’opération en question est exemptée dans le pays du preneur (Note 37). En d’autres termes, un confrère français ne devra pas mentionner les montants des prestations fournies à des avocats établis en Belgique et inscrits à un barreau belge. En revanche, ce même confrère devra indiquer, aussi bien dans sa déclaration TVA que dans les listings intra-communautaires, le chiffre d’affaires réalisé avec des avocats établis par exemple au grand-duché de Luxembourg ou aux Pays-Bas, ou avec des avocats non communautaires établis en Belgique. L’absence de déclaration, par des prestataires établis dans d’autres Etats membres de l’UE, ne vise que les prestations en tant qu’avocats et non les autres prestations (autres que les services financiers). Il est toutefois vraisemblable que les confrères étrangers déclareront tous leurs services, y compris ceux exemptés en Belgique, en se retranchant derrière des contraintes informatiques. Cela ne leur posera aucun problème, étant donné qu’une telle déclaration ne devrait normalement avoir aucun impact en Belgique. Il se pourrait même qu’ils déclarent les prestations d’arbitrages ou de conseils, au motif qu’il ne s’agit pas de prestations d’avocats entendues dans le sens donné par la Cour de Justice dans son arrêt von Hoffmann (Note 38).
Les fournisseurs établis dans d’autres Etats membres (autres que des avocats inscrits au tableau de l’Ordre d’un de ces Etas) devront sans le moindre doute déclarer les prestations fournies à des avocats établis en Belgique, auxquels ils auront préalablement demandé le numéro de TVA. Ils auront en toute vraisemblance vérifié ce numéro dans la banque de donnée VIES de la Commission Européenne, ou dans une banque de donnée nationale reprenant les mêmes informations (Note 39).
Pas de taxes nouvelles sur les services fournis par les avocats
Si des formalités nouvelles sont applicables lorsque des avocats établis en Belgique fournissent des services à des confrères ou à des clients établis dans d’autres Etats membres de l’Union Européenne, cette situation n’a en revanche pas pour conséquence de soumettre ces prestations à des taxes nouvelles. Toutefois, jusqu’à la fin de l’année 2009, les prestations d’arbitrage (Note 40) et d’exécuteurs testamentaires (Note 41) sont réputées se situer dans le pays du prestataire. A partir de 2010, ces services seront taxés de la même manière que les prestations des avocats.
Une difficulté découle de ce que la TVA frappe des activités objectives et très rarement des professions ou des opérations juridiques. Une même personne peut donc être amenée à fournir des prestations taxables ou exemptées de la TVA, et de ce fait soumises à un régime différent.
Il convient dès lors de distinguer trois types de situations, suivant que le client est établi en Belgique, dans un autre Etat membre de l’Union Européenne ou en dehors de l’Union Européenne.
Client établi en Belgique
Un avocat établi en Belgique adressant une note d’honoraires à un client ou à un confrère également établi en Belgique ne devra pas appliquer de TVA. Sur base des règles de localisation, la Belgique est en effet compétente pour taxer, mais elle est autorisée à ne pas taxer les prestations des avocats. Il n’est pas nécessaire de vérifier si le confrère est identifié à la TVA.
Client établi dans un autre Etat membre de l’UE
Si le client est établi dans un autre Etat membre de l’Union Européenne, il conviendra d’abord de vérifier ce que l’on entend par territoire TVA de l’Etat membre en question. C’est ainsi que les Canaries font partie du territoire politique de l’Espagne, du territoire douanier de l’UE, mais elles sont un pays tiers pour la TVA. Il en est de même pour les îles anglo-normandes. En revanche, Monaco est assimilée à la France et l’île de Man au Royaume-Uni pour l’application de la TVA. Il ne s’agit là que des cas principaux (Note 42).
La situation diffère suivant que le client (Note 43), quelle que soit sa nationalité, étant établi dans un autre Etat membre, est identifié ou non à la TVA :
Pas plus qu’avant 2010, les avocats établis en Belgique ne devront se soucier du fait que la TVA est effectivement perçue sur leurs services réputés se situer à l’étranger, puisque c’est leur client étranger qui se charge des éventuelles formalités. La TVA a ceci de particulier que, puisque c’est une taxe sur la consommation, l’assujetti à la TVA n’est qu’un collecteur de la taxe. Le poids de celle-ci est en effet supporté par le consommateur final. En ce sens, il importe peu que le collecteur de la taxe (ou plus précisément le redevable) soit tantôt le prestataire du service, tantôt le preneur, voire même un tiers désigné à cet effet. Pour les services de nature intellectuelle fournis à des preneurs établis à l’étranger, c’est le preneur qui est le redevable de la TVA et qui est responsable du paiement de la taxe au fisc de son pays (Note 49).
Exemple
Un avocat établi en Belgique adresse une note d’honoraires à un client ou un confrère établi en France et identifié à la TVA dans ce pays : l’avocat belge émettra une facture sans TVA belge. Puisque la prestation sera réputée se situer en France (où les services sont soumis à la TVA), le preneur français paiera et déduira la TVA dans sa déclaration périodique (application du mécanisme dit de « l’autoliquidation »). Par la suite, l’avocat français facturera ses services à ses clients établis en France avec de la TVA française.
Client établi hors de l’Union Européenne
Les services des avocats seront réputés se situer dans le pays du preneur, peu importe le fait que le client exerce une activité économique (Note 50) ou soit une personne privée (Note 51).
Le preneur n’étant pas établi dans un Etat membre de l’Union européenne, il n’est pas nécessaire de lui demander de communiquer son numéro de TVA, ni de reprendre le chiffre d’affaires dans les listings.
Pas de taxes nouvelles sur des services reçus par les avocats belges depuis l’étranger
Si les services sont fournis depuis l’étranger à un avocat belge, le lieu de la prestation sera le plus souvent la Belgique (Note 52). La Belgique étant de ce fait compétente pour taxer, il conviendra de vérifier si le service reçu est ou non soumis à la TVA dans notre pays :
- si le service concerne une prestation d’un avocat inscrit au tableau de l’Ordre d’un Etat membre, aucune TVA n’est due en Belgique puisqu’un tel service est exempté de TVA sur base de l’article 44, §1er, 1° CTVA. Il importe peu que le preneur soit un avocat, une personne privée ou une entreprise, avec ou sans droit à déduction de la TVA.
Exemple
Si l’avocat belge reçoit des avis d’un confrère français, l’avocat établi en Belgique ne devra appliquer aucune TVA belge, puisque le service est réputé se situer en Belgique et que, en Belgique, les honoraires d’avocats communautaires établis dans l’Union Européenne ne sont pas soumis à la TVA.
- s’il s’agit d’un autre service (service d’avocat non européen, service de réparation, logiciels, abonnements à des banques de données…), il sera taxable en Belgique, à moins qu’il ne s’agisse d’un service financier (Note 53).
Exemples
i) Les services d’un confrère suisse, américain, norvégien ou établi à Jersey, ou encore ceux d’un bureau américain établi à Londres (avocats non communautaires) seront soumis à la TVA en Belgique. Si le service est taxable en Belgique, l’avocat belge devra acquitter la TVA et déposer une déclaration trimestrielle spéciale (Note 54).
ii) L’avocat belge reçoit un rapport d’un consultant français. Cet avocat sera redevable de la TVA belge et devra déposer une déclaration spéciale à la TVA (déclaration trimestrielle).
iii) L’avocat belge, dont la voiture tombe en panne alors qu’il est allé plaider à Lille, devra veiller à ce que le garagiste français ne lui facture pas de la TVA française car de la TVA belge est due (nouveau régime à partir du 1er janvier 2010), et le fisc belge pourrait très bien le lui rappeler (Note 55).
Sauf cas particuliers (tel que la réparation des voitures à l’étranger), le régime applicable à partir du 1er janvier 2010 ne modifie pratiquement pas les règles de localisation des services fournis par des avocats à des clients ou preneurs étrangers, ou inversement ceux que des confrères ou des fournisseurs étrangers prestent à des avocats belges. Il n’y a donc pas de taxes nouvelles.
Les opérations internationales, le point faible de la TVA
La TVA est un impôt sur la consommation finale, dont le contrôle est assuré par une perception fractionnée à chaque stade de la production de biens et de services (Note 56), combinée avec une déduction globale de la taxe supportée sur les coûts (Note 57). Cette neutralité fiscale sur le processus de production s’est avérée être également un excellent moyen de contrôle à l’intérieur d’une juridiction fiscale ou d’un pays, puisque toute opération non déclarée à la sortie ne permet pas de déduire la TVA à l’entrée. Les assujettis ont donc un incitant financier à ne pas frauder, du moins à l’intérieur du pays.
Les relations avec les autres pays ou juridictions fiscales se caractérisent par, tout d’abord, un mécanisme de remboursement de la charge fiscale en amont lors de l’exportation, avec ensuite une taxation à l’importation. La TVA a été adoptée en Europe parce que ce mécanisme évitait des discriminations entre les marchandises importées et celles produites sur le marché national (Note 58). Jusqu’en 1992, ce mécanisme de contrôle aux frontières était assuré par des documents douaniers d’exportation et d’importation. Un contrôle physique est essentiel pour les marchandises, dans la mesure où il serait facile d’adresser une facture à un soi-disant acquéreur établi hors de Belgique, mais en réalité de livrer la marchandise en Belgique et de se faire payer en noir : la marchandise sort ainsi du circuit de distribution contrôlé et peut être revendue sans TVA. En plus des pertes fiscales, cette manière de faire fausse gravement les conditions de concurrence. Ce type de fraude est aussi ancien que la TVA, et il a pu être limité grâce à un contrôle des mouvements internationaux des marchandises. Toutefois, en raison du volume des transactions intra-communautaires, ce contrôle douanier perdait de son efficacité et devenait un obstacle à la liberté de circulation des marchandises. Pour combattre efficacement la fraude, l’idéal aurait été de traiter les opérations à l’intérieur des frontières de l’Union Européenne comme des opérations intérieures de chaque Etat membre, en ce sens qu’au sein de l’Union Européenne, toutes les opérations auraient été soumises à la TVA, sans détaxation, lorsque l’acquéreur ou le preneur serait établi hors du territoire d’un Etat membre (Note 59).
Depuis 1993, les contrôles douaniers n’ont été maintenus que pour les opérations avec les pays tiers. Pour les mouvements de marchandises entre Etats Membres et au sein de l’Union Européenne, le principe de la détaxation à l’exportation et de la taxation à l’importation a été maintenu, mais les contrôles douaniers ont été remplacés par des contrôles administratifs tels que la communication du numéro de TVA, sa vérification et la communication périodique du chiffre d’affaires réalisé avec des clients établis dans un autre Etat membre. Les faiblesses de ce type de contrôle ont permis la prolifération de fraudes de type carrousel (Note 60), lesquelles ont entraîné des réactions de la part de la Cour de justice : tout assujetti est solidairement responsable de toute fraude dans la chaîne de productions, à partir du moment ou il savait ou aurait dû savoir qu’il y a fraude (Note 61).
Renforcement du contrôle des services internationaux
Jusqu’à fin 2009, pour des services internationaux, le fisc pouvait difficilement partir du fournisseur pour contrôler le client. Mais ceci présentait moins d’importance qu’au niveau des marchandises. En effet, sauf dans des secteurs purement nationaux et en contact direct avec les consommateurs finaux, tels que la construction, la restauration ou le secteur automobile pour lesquels il existe des mesures particulières, il est difficile de facturer des services à un acheteur étranger fictif et se les faire payer par un client réel local. De plus, un service n’a de valeur que pour celui qui le paie. Enfin, la majorité des grands consommateurs de services depuis l’étranger sont des assujettis avec droit à déduction. Ils n’ont donc aucune raison de frauder. Toutefois, avec la mise en place du marché intérieur, tout ceci n’est plus tout à fait correct, notamment pour le secteur financier et le secteur public, ce qui a entraîné une augmentation des risques de fraude.
Concernant les services, jusque fin 2009, le fisc belge devait se rendre dans l’entreprise pour savoir si elle avait ou non acquitté la TVA sur les services reçus depuis l’étranger.
A partir de 2010, le « VAT package » étendra aux services les mécanismes de contrôle applicables depuis 1993 aux marchandises. La communication du chiffre d’affaires réalisé par des avocats belges avec des clients ou des confrères établis dans un autre Etat membre permettra au fisc étranger de vérifier plus facilement si ces derniers ont bien acquitté la TVA dans leur pays sur les services fournis par des avocats belges.
Inversement, à partir de 2010, le fisc belge pourra connaître sans difficulté le montant précis des services, obtenus par des avocats belges de fournisseurs étrangers (Note 62), et réclamer le paiement de la TVA dans un délai pouvant atteindre 8 ans (Note 63) si, par inadvertance, la taxe n’avait pas été versée par le redevable (c'est-à-dire le preneur établi en Belgique). Ce type de contrôle sera d’autant plus rentable pour le fisc que les avocats n’ont aucun droit à déduction de la TVA. Avec le paquet fiscal, le fisc pourra mieux cibler les contrôles, de manière automatique et sans déplacement, grâce à la procédure du « data mining » qui permet d’affiner la typologie des redevables de la TVA.
Des mesures de contrôle disproportionnées ?
Y a-t-il véritablement un sens à imposer des sanctions mais surtout des formalités aussi lourdes pour la déclaration des services ? Ce point a été soulevé par le député de Donnéa dans sa question n° 494 du 6 juillet 2009 adressée au Ministre des Finances, ce dernier s’étant jusqu’à présent gardé d’y répondre. La question se pose donc de savoir si les nouvelles formalités ne violent pas le principe de proportionnalité des mesures de contrôle, qui est un principe fondamental de droit communautaire (Note 64). En effet, ce type de contrôle n’existera que pour les opérations avec des clients ou des fournisseurs établis dans d’autres Etats membres. D’ailleurs, le listing n’existe pas et ne sera jamais introduit pour les services avec les pays tiers.
Sur le plan strict de la lutte contre la fraude, on peut émettre des doutes quant à l’utilité de communiquer le chiffre d’affaires relatif aux services et d’appliquer une procédure indispensable à la perception de la TVA sur les marchandises. A l’exception peut-être des certificats CO² et des brevets, les services sont, de par leur nature, moins susceptibles de fraudes de type carrousel que les marchandises. En effet, on peut facturer les marchandises à un acheteur fictif étranger et les livrer à un client local, ce qui est impossible pour les services.
On peut également se demander si les fiscs, le belge ou un de ceux des autres Etats Membres, n’utiliseront jamais ces informations qui leurs seront communiquées à grand frais par les assujettis. On pense généralement que le contenu des listings intracommunautaires est transmis automatiquement au fisc étranger. Or, l’article 17 du règlement 1798/2003 du Conseil précise les trois cas dans lesquels un échange d’information peut avoir lieu sans demande préalable de l’administration étrangère, à savoir : le risque de pertes fiscales dans l’autre Etat membre, en cas de présomption de fraude et lorsque l’efficacité du contrôle dépend des informations fournies (Note 65). Même en cas de communication spontanée, l’information est préalablement triée et les Etats membres ont la possibilité de ne pas communiquer toute une série d’informations. Cet échange spontané dépendra vraisemblablement de considérations de politique fiscale nationale. Certes, cet échange sur demande est toujours possible, mais son efficacité est limitée par la capacité des administrations nationales à y répondre et surtout leur capacité à poser les bonnes questions. On n’a peut-être pas encore véritablement perçu l’ampleur des difficultés des administrations dans le traitement des données interprétées de façon variable d’un Etat membre à l’autre, voire même de manière totalement divergente. Ceci constitue une limite technique au système actuel de contrôle des opérations internationales et obligera tôt ou tard à envisager de nouvelles évolutions.
Même si les informations pourront difficilement être exploitées par les administrations nationales, le volume du chiffre d’affaires entre certaines entreprises et certains cabinets d’avocats constituera une indication précieuse de l’existence de certaines opérations en cours ou de certains risques de litiges.
Les obligations en matière de facturation pourraient également porter atteinte au secret professionnel. C’est ainsi qu’il convient de mentionner sur les factures le prix unitaire d’un bien ou d’un service. Le ministre des Finances a estimé que cela impliquait, par exemple, que les comptables devaient mentionner le nombre d’heures passées sur le dossier d’un client, ainsi que le tarif horaire (Note 66). Il est probable qu’une telle obligation ne doive peut-être pas être interprétée trop littéralement : tout d’abord, il n’est pas certain que beaucoup de comptables appliquent eux-mêmes cette obligation. Ensuite, conformément au principe de proportionnalité, la description des activités doit tout au plus pouvoir permettre l’établissement du taux de la Taxe ainsi que le pays où elle est due.
Quels objectifs ces nouvelles formalités poursuivent-elles ?
Ces formalités nouvelles et ce renforcement du contrôle n’ont pas été voulus par les entreprises, lesquelles ne demandaient qu’une simplification des règles de localisation des prestations de services qui étaient source de doubles taxations.
De leur côté, les administrations souhaitaient mettre fin à des cas de non taxation au niveau des locations de voitures, des livraisons de yachts, de fourniture de services de gestion,… La lutte contre les carrousels TVA devenait une priorité, mais une stratégie claire peinait à se dégager.
Il semble que ce soit le gouvernement français qui, vers la fin des négociations du « VAT package », ait suggéré la déclaration périodique du chiffre d’affaires des services. Ce point n’a jamais fait l’objet de débats, sauf peut-être au sein du Conseil des ministres des finances ou des groupes d’experts des Etats membres. En effet, si les associations professionnelles européennes ont eu l’occasion d’intervenir au stade de la proposition de la Commission, au stade du Comité Economique et Social ainsi qu’au niveau du Parlement européen, elles n’ont pas pu intervenir au moment crucial des décisions, à savoir devant le Conseil des Ministres des finances (Ecofin). Les travaux de ce dernier sont en effet secrets et, de plus, seuls peuvent s’y exprimer les administrations fiscales nationales et la Commission Européenne.
La Commission européenne était soulagée de mener à leur terme des négociations interminables et épuisantes. En outre, elle a toujours cette volonté d’imposer à long terme la taxation de toutes les opérations à l’intérieur de l’Union européenne, avec l’espoir de renforcer le mécanisme de contrôle de la taxe et de mettre ainsi fin à des sanctions pénalisantes pour le bon fonctionnement de l’économie européenne. Toutefois, ceci impliquerait nécessairement une plus grande harmonisation des mécanismes de la TVA et la disparition d’exceptions telles que l’exemption des services d’avocats en Belgique, en ce compris les prestations des avocats en matière d’arbitrage ou de curatelle de faillite (Note 67).
Cette nouvelle étape consisterait à appliquer la TVA sur toutes les circulations de biens et de services dans l’UE (Note 68). Ceci permettrait non seulement un renforcement des contrôles, mais pourrait également réduire les formalités administratives. Mais les administrations fiscales ne sont certainement pas encore prêtes pour une telle évolution. A moins que, comme ils l’on fait Allemagne dans les années 1960, les avocats ne contestent activement les discriminations et les incohérences de ce régime fiscal, et ne forcent ainsi les gouvernements européens à se mettre d’accord sur des changements aussi importants que ceux qui ont abouti à l’adoption de la TVA en Europe en 1967 et puis, très vite, dans le monde entier. Mais ceci est une autre histoire…
Christian Amand
christian.amand@loyensloeff.com
Avocat - Loyens & Loeff