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La vie privée au travail

Par P. Van den Bulck & N. Vassal [McGuireWoods]

Jeudi 11.06.09

Les entreprises n’utilisent pas exclusivement les nouvelles technologies à leur disposition dans le but d’améliorer leur productivité ou d’accroître leur chiffre d’affaires. Les systèmes d’enregistrement et les techniques de collecte de données ont ainsi pu être communément employés afin de contrôler, évaluer, et occasionnellement sanctionner des employés.

Afin de protéger les droits des salariés sur leur lieu de travail, différentes institutions ont donc mis l’accent sur leur droit au respect de leur vie privée, et les juridictions ont depuis tenté de trouver un juste équilibre entre les droits de l’employeur et ceux du salarié.

L’article 8 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales accorde à tous le “droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance”.

Ce droit fondamental au respect de la vie privée a été entendu par la Cour Européenne des Droits de l’Homme comme s’étendant aux activités de nature professionnelle ou commerciale dans l’arrêt Niemietz c/ Allemagne. Il a depuis été utilisé comme base légale de la protection de la vie privée au travail.

Divers principes généraux ont par la suite été définis pour assurer le respect du droit des salariés à la vie privée au travail et encadrer le développement des techniques de collecte de données.


Principes généraux sur la vie privée au travail

Le droit du salarié au respect de sa vie privée est en permanence mis en balance avec les intérêts de l’entreprise. Le droit pour un employeur de contrôler le salarié est en effet une conséquence logique du lien de subordination issu du contrat de travail.

C’est en fait l’usage de techniques de collecte de données pour exercer ce pouvoir de contrôle qui est strictement encadré.

La directive européenne n°95/46 est un bon exemple du cadre législatif organisant la collecte de données. Pour être légales, les méthodes de contrôle doivent être utilisées pour “des finalités déterminées, explicites et légitimes” et être “adéquates, pertinentes et non excessives au regard des finalités pour lesquelles elles sont collectées”.

Quatre grands principes peuvent être tirés de ce texte: les principes de légalité (une base légale est nécessaire), de finalité (la collecte doit poursuivre un but légitime), de proportionnalité et de transparence (les moyens et finalités de contrôle doivent être énoncés). Ces principes ont pour conséquence de limiter les ingérences dans la vie privée du salarié.

Ce cadre général a été transposé dans les différents droits nationaux, et pris en compte par les juridictions dans des cas qui ont souvent eu un certain retentissement, notamment ceux concernant la vidéosurveillance et l’usage d’internet.


Communications électroniques et droit au respect de la vie privée

De nombreux emplois nécessitent aujourd’hui l’usage d’une connexion internet, qui est mise à la disposition du salarié par l’employeur. Bien qu’il s’agisse d’un outil de travail, un usage privé limité est généralement toléré. Cependant, un usage excessif d’internet à des fins privées est indubitablement susceptible d’affecter la qualité du travail d’un salarié, et la question de l’équilibre entre le droit de contrôle de l’employeur et le droit du salarié au respect de sa vie privée se pose alors.

Dans une décision du 2 mai 2000, le Tribunal du travail de Bruxelles a ainsi jugé qu’un employeur avait le droit de contrôler l’usage des communications électroniques par un salarié si ce contrôle était effectué en conformité avec les principes généraux encadrant la collecte de données. Les modalités du contrôle effectué par l’employeur n’ont pas fait ici l’objet d’un examen attentif, la juridiction se contentant d’un rappel des principes. Cependant, l’attitude du juge est intéressante, qui refuse de prendre connaissance du contenu des e-mails en cause afin de ne pas aggraver l’atteinte à la vie privée du salarié. Finalement dans cette affaire le juge décida que la correspondance personnelle du salarié, bien qu’ayant affecté la qualité de son travail, ne pouvait être assimilée à une faute lourde justifiant le licenciement.

Dans une décision française du 30 janvier 2009, les juges ont opéré un examen plus strict de la légitimité du contrôle. Ils ont conclu que la constatation de l’existence d’une correspondance électronique à caractère privée abondante lors d’un contrôle de l’ordinateur ayant pour but de sécuriser le réseau informatique ne constituait pas une atteinte à la vie privée du salarié, et que l’abondance de la correspondance justifiait le licenciement. Si le secret des correspondances électroniques avait été reconnu comme composante du droit au respect de la vie privée du salarié par la Cour de Cassation dans l’arrêt Nikon du 2 octobre 2001, la prise de connaissance en est autorisée par exception lorsque les actes sont accomplis dans le but d’assurer le bon fonctionnement du réseau.

Afin de parer aux problèmes que peut poser l’usage d’Internet, il est donc généralement conseillé aux employeurs d’édicter un code définissant des règles d’utilisation sur le lieu de travail. Un tel code devra en principe être communiqué aux représentants du personnel s’il prévoit des mesures de contrôle.


Vidéosurveillance

L’usage de la vidéosurveillance sur le lieu de travail doit se faire dans le respect des principes qui gouvernent la collecte de données, et ces principes sont strictement mis en œuvre.

Ainsi, en droit belge, la Convention Collective de Travail n°68 prévoit que la vidéosurveillance ne peut être utilisée que pour remplir des objectifs visant la sécurité et la santé, la protection des biens de l’entreprise, le contrôle du processus de production ou du travail du salarié.

L’information quant à la mise en place et l’utilisation de telles mesures de contrôle ne se limite pas nécessairement aux représentants du personnel : en France, la Commission Nationale Informatique et Liberté doit ainsi être notifiée si les données collectées sont conservées.

Enfin, l’usage des images enregistrées est strictement encadré et leur conservation ne peut excéder un mois.

Mais une décision française a pu juger que la vidéosurveillance d’un espace de l’entreprise qui n’est pas accessible aux salariés (ici, un entrepôt) n’est pas assimilée à une mesure de contrôle et n’est donc pas soumise aux principes susmentionnés.


Validité de la preuve obtenue illégalement

Un employeur ayant collecté des informations prouvant la faute du salarié sera tenté de les utiliser afin de justifier un licenciement, et comme preuves lors d’un éventuel procès. Cependant, des problèmes se poseront lorsque ces preuves ont été collectées en violation du droit du salarié au respect de sa vie privée.

Les juridictions françaises ont tendance à rejeter la preuve obtenue grâce à des moyens de collecte de données utilisés illégalement. Dans un arrêt de la Cour de Cassation de 1991, un salarié poursuivait son employeur pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. La Cour d’Appel avait jugé que le licenciement était justifié, se basant sur des preuves obtenues au moyen d’une caméra cachée dans une caisse enregistreuse. La Cour de Cassation cassa l’arrêt au motif que la preuve obtenue illégalement ne pouvait être retenue contre le salarié.

Les juridictions belges adoptaient une position similaire jusqu’à une décision de la Cour de Cassation du 10 mars 2008. D’après cette décision, la preuve obtenue illégalement ne doit pas être systématiquement rejetée mais peut au contraire être prise en considération si par exemple l’infraction est plus grave que ne l’est la violation du droit du salarié au respect de sa vie privée. Le juge doit ainsi trouver un équilibre entre les deux actes contrevenants.


Conclusion

Le droit pour un employeur de contrôler le salarié est strictement encadré quand ce contrôle est mis en œuvre au moyen de techniques de collecte de données. L’usage de telles techniques doit se faire dans les limites prévues par la loi qui protège le droit du salarié au respect de sa vie privée, et nécessite donc de la prudence.


Paul Van den Bulck
Avocat associé
pvandenbulck@mcguirewoods.com

Nicolas Vassal
Juriste
nvassal@mcguirewoods.com






Source : DroitBelge.Net - En pratique - 11 juin 2009


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